Campus n°128

L’énorme potentiel du génome médical

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Une clinique du génome a ouvert ses portes il y a deux ans à Genève. Destinée à faire bénéficier la population des avancées en matière de médecine génétique, elle séquence l’ADN de patients soupçonnés de souffrir de maladies rares et parvient à poser un diagnostic pour 40 % d’entre eux.

Il existe à Genève depuis 2014 une clinique du génome. On n’y soigne pas l’ADN, mais on le séquence à la recherche de mutations responsables de maladies génétiques. En trois ans, près de 450 personnes se sont déjà présentées à la porte de cette institution, pionnière en Suisse, hébergée par le Service de médecine génétique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elles le font, car elles ont de forts soupçons de souffrir ou d’être porteuses d’une maladie dite mendélienne, ou monogénique, c’est-à-dire causée par la mutation d’un seul gène. Et leur démarche a de grandes chances de déboucher sur une réponse. Aujourd’hui, environ 40 % des patients ressortent en effet de la consultation avec un diagnostic pour une de ces maladies génétiques rares. Un taux qu’il faut comparer aux 2 ou 3 % d’avant le décryptage du génome humain en 2002 et qui est destiné à augmenter encore au cours des prochaines années, précise Stylianos Antonarakis, professeur au Département de médecine génétique (Faculté de médecine) et responsable de la clinique du génome.
Bénéficiant d’un environnement pluridisciplinaire (elle rassemble des médecins, des généticiens, des biologistes, des bio-informaticiens, des éthiciens, des économistes et même des juristes spécialisés dans le secteur de la santé), la clinique tente d’optimiser la prise en charge de chaque patient. En connaissant le défaut génétique précis, il existe parfois des traitements, comme c’est le cas pour la mucoviscidose contre laquelle deux médicaments bloquant l’activité du gène muté sont commercialisés. Lorsque la démarche ne donne aucun résultat, cela ne signifie pas forcément qu’il n’existe aucune mutation génétique. Cette dernière peut très bien toucher un gène ou une région non codante mais régulatrice qui n’ont pas encore fait l’objet d’études assez poussées ou qui ne sont pas comprises dans le séquençage effectué à Genève.
« Le succès de la clinique du génome ne fait qu’augmenter avec les années, explique Stylianos Antonarakis. De plus en plus de patients viennent nous consulter. Nous avons récemment convaincu l’Office fédéral de la santé publique de considérer le séquençage du génome – uniquement ses parties codantes, à savoir les gènes, pour être précis – comme un test faisant partie de la liste des analyses à effectuer chez des patients ayant une indication pour une maladie monogénique. Cela signifie que dans ces cas-là, cette analyse est remboursée par les assurances. »

Séquençage haut débit

La clinique dispose des dernières techniques de séquençage de l’ADN à haut débit qui permettent, à partir d’une prise de sang, de décoder et analyser les 20 000 gènes humains, soit 1,5 % du génome entier, en quelques semaines et pour seulement 1000 francs. À titre de comparaison, il y a 15 ans, le premier génome d’Homo sapiens était publié après avoir englouti plus d’une décennie de travail et un budget de 3 milliards de dollars.
« Sur ces 20 000 gènes, les chercheurs en ont pour l’instant identifié 3880 qui, lorsqu’ils sont touchés par une mutation, provoquent des maladies, précise Stylianos Antonarakis. Il s’agit de certaines formes de troubles du développement, de retards mentaux, d’épilepsie, des troubles neurologiques, sanguins, rénaux, osseux, etc. Toutes les mutations des maladies monogéniques n’ont pas encore été trouvées, mais d’ici à cinq ans, je pense qu’elles le seront. Et le taux de diagnostic de la clinique du génome devrait augmenter en conséquence. »
Les pathologies monogéniques sont rares, leur prévalence allant d’un sur 2000 pour les plus fréquentes jusqu’à moins d’un sur 100 000. Mais leur cumul fait que quasiment toutes les familles présentent au moins une de ces mutations dans leur génome sans forcément développer la maladie. Si cette dernière est récessive, il faudrait en effet que les deux copies du gène en question (celle de la mère et celle du père) soient touchées pour qu’elle se déclare. En revanche, une seule mutation suffit dans le cas de maladies monogéniques dominantes (1800 ont été identifiées comme telles à l’heure actuelle).
La clinique du génome propose d’ailleurs également de dépister les mutations pathogènes chez les parents proches des patients afin de découvrir d’éventuels porteurs sains. Cette information s’avère en effet utile lorsqu’il s’agit de vérifier si deux partenaires désireux de faire des enfants ne présentent pas le risque de leur transmettre une maladie génétique.
« À Genève, le diagnostic génomique est réservé aux patients ayant une indication de maladie monogénique, précise Stylianos Antonarakis. Aux États-Unis, il existe en revanche des compagnies privées qui, pour quelques milliers de dollars, proposent aux futurs parents le séquençage de leurs 20 000 gènes ainsi qu’une analyse permettant de vérifier si la combinaison de leur ADN ne comporte pas de risques pour le bébé. Cette pratique se répandra très probablement en Europe d’ici à moins de cinq ans, quand les coûts auront encore baissé. »
Pour le chercheur, du moment qu’elles sont accréditées par les autorités, ces sociétés sont fiables. Les contrôles de qualité sont en effet rigoureux et il est notamment exigé que chaque nucléotide soit « lu » au moins 50 fois par la machine. La puissance de ce test se limite néanmoins pour l’instant aux 3880 gènes connus pour être associés à des maladies monogéniques, même si ce chiffre est en constante augmentation.
D’ici à cinq ans, le diagnostic prénatal non invasif, actuellement en essai dans le cadre de la recherche scientifique, devrait lui aussi entrer dans la pratique courante. Il est en effet possible d’effectuer un test génétique sur le futur bébé en analysant l’ADN du fœtus présent dans le sang de la mère. Il sera possible du même coup de se passer de l’amniocentèse, plus invasive et donc plus risquée.

Cancer

Les progrès dans le séquençage et l’analyse du génome ne bénéficient pas seulement aux maladies monogéniques. Le cancer, par exemple, est une maladie impliquant non pas une mais toute une série de mutations, souvent propres à chaque patient. Depuis quinze ans, de grandes études ont permis d’identifier, pour l’ensemble des types de tumeurs, les plus importantes de ces mutations, celles qui favorisent la survie ou la reproduction des cellules (elles sont appelées driver mutations). Il est désormais possible d’établir là aussi un diagnostic génétique pour chaque cas de cancer. Les chercheurs comptent exploiter cette connaissance pour, bientôt, ajuster le choix des médicaments à utiliser pour chaque patient ou décider d’un changement de thérapie en cas de récidive. Un certain nombre d’études allant dans ce sens sont en cours, notamment concernant les cancers du poumon et du côlon.
« Le diagnostic moléculaire du cancer est d'ailleurs sur le point de connaître une véritable révolution, note Stylianos Antonarakis. Comme dans le cas de l’ADN fœtal, on peut détecter l’ADN anormal appartenant à des cellules tumorales dans le sang des patients. D’ici à quelques années, on pourra donc poser un diagnostic à l’aide d’une prise de sang et même détecter de manière précoce l’apparition de métastases. »
De manière plus générale, la génomique est un des moteurs principaux actuels de la médecine dite personnalisée. L’analyse de l’ADN permet notamment de prévoir la réponse d’un organisme à un traitement donné, du moins pour les médicaments les plus récents étant passés par des tests de pharmacogénomiques avant leur commercialisation. L’idée consiste à calculer les doses à administrer ou encore à identifier à l’avance les patients susceptibles de développer des réactions excessives.
Dans un futur relativement proche, les chercheurs espèrent également pouvoir exploiter l’ARN messager, qui est le produit de l’ADN et fait lui aussi partie de ce qu’on appelle le « génome fonctionnel » au sens large. L’analyse régulière du transcriptome pourrait ainsi fournir des informations précieuses sur les prédispositions ou la détection précoce de certaines maladies à composante génétique, comme le diabète de type II.
En attendant, l’ADN n’a pas encore révélé tous ses secrets, loin de là. Ce que les chercheurs appellent le génome médical, c’est-à-dire la portion de l’ADN humain qui permet une action médicale, se limite aujourd’hui à des mutations localisées sur quelques milliers de gènes, soit à environ 0,3 % du génome. Mais le potentiel est beaucoup plus important que cela. Si l’on prend en considération l’ensemble des gènes (environ 20 000), tous les sites qui codent pour des petits brins d’ARN régulant l’expression des gènes (les micro-ARN, environ 7000 séquences), toutes les régions qui régulent directement les gènes par contact (un million de sites au moins) ainsi que toutes les séquences qui sont conservées entre les individus, voire les espèces et dont la probabilité est forte pour qu’elles soient fonctionnelles, on obtient un génome médical qui pourrait potentiellement recouvrir environ 45 % du génome (les 55 % restants ont une probabilité plus faible de servir à quelque chose).
« Je pense qu’il faudra encore au moins cinquante ans de recherches avant que l’on comprenne tout cela », admet toutefois Stylianos Antonarakis.