Le bon roi Dagobert, faux fondateur de Saint-Denis
On attribue au roi mérovingien la fondation de l’abbaye de Saint-Denis, nécropole de la royauté française. En réalité, il s’agit d’une « fake news » inventée deux cents ans après sa mort à des fins politiques.
Certains « faits alternatifs », comme dirait Kellyanne Conway, ancienne conseillère du président Donald Trump, traversent les siècles. Ainsi, de nombreuses sources médiévales, reprises par les manuels scolaires, des livres d’histoire et autres articles de Wikipédia affirment, d’une même voix, que le roi Dagobert (~ 602 – ~ 638) serait le fondateur de Saint-Denis, la prestigieuse église située au nord de Paris et qui a joué un rôle de première importance pour la royauté française. En réalité, il semblerait que cette information, venue du milieu du Moyen Âge, soit pure invention. Un mensonge d’une gravité toute relative aujourd’hui mais qui, à l’époque, répondait à des enjeux politiques et dont Sarah Olivier, assistante au Département d’histoire générale (Faculté des lettres), a raconté l’origine et l’évolution lors du cours public qu’elle a donné ce printemps dans le cadre d’un cycle intitulé Récit, invention, mensonge : fables et affabulations au Moyen Âge.
« C’est à Saint-Denis, qui devient la nécropole royale à partir du XIe siècle, que se trouvent presque toutes les sépultures des rois de France depuis le Moyen Âge, précise Sarah Olivier. L’église représente aussi un haut lieu de l’historiographie française avec notamment le développement du scriptorium aux XIe et XIIe siècles et la rédaction entre le XIIIe et le XIVe siècle des Grandes chroniques de France qui retracent une histoire générale de la royauté. Une histoire dans laquelle Dagobert, arrière-arrière-petit-fils de Clovis, est systématiquement cité comme le fondateur de la prestigieuse église. »
Un peu trop systématiquement, à vrai dire. Pour avoir le cœur net sur l’attribution de cette fondation, l’historienne genevoise s’est plongée dans les rares sources contemporaines du plus connu des rois mérovingiens. Le monarque est mentionné dans certaines vies de saints datant de cette époque qui le décrivent comme un homme bon et très pieux mais sans pour autant mentionner l’église de Saint-Denis. Une première connexion entre les deux apparaît dans la petite poignée d’actes diplomatiques souscrits par le roi qui sont aujourd’hui jugés authentiques. Ces textes attestent en effet de donations de certaines villes des alentours à l’église. Finalement, la chronique dite de Frédégaire, commencée au VIIe siècle, précise que Dagobert est inhumé dans cet édifice religieux destiné à recevoir par la suite les dépouilles de nombreuses autres têtes couronnées.
Sainte Geneviève
Il existe par ailleurs une autre légende évoquant l’origine de Saint-Denis bien avant la naissance de Dagobert. Elle provient de la vie de sainte Geneviève (~ 420 – ~ 500). Cette hagiographie ne peut pas être considérée comme une source factuelle fiable, mais elle précise tout de même que c’est la sainte qui aurait érigé la première église à l’endroit où reposaient les corps de saint Denis (premier évêque de Paris mort décapité au IIIe siècle) et de ses compagnons les saints Éleuthère et Rustique.
« Au vu des sources contemporaines à Dagobert, il semble difficile d’en faire le fondateur de Saint-Denis, constate Sarah Olivier. Il existe certes des liens entre le roi et l’église, mais ils suggèrent tout au plus un attachement particulier. »
La relation amorce néanmoins un virage au IXe siècle, deux cents ans après la mort du roi Dagobert, en plein milieu de la dynastie des Carolingiens. C’est en effet dans les années 830 que sont composés les Gesta Dagoberti, le seul texte, en dehors des paroles de la célèbre chanson, qui soit entièrement consacré au roi Dagobert. Cette chronique, rédigée à Saint-Denis sous la supervision de l’abbé Hilduin, raconte le règne du monarque en y ajoutant quelques éléments imaginaires. On y découvre une légende qui se déroule sur plusieurs épisodes. Elle commence avec Dagobert, encore adolescent, chassant un cerf. L’animal, tentant de s’échapper, pénètre dans une petite chapelle située à 5 miles de Paris. Surprise, les chiens lancés sur ses traces ne peuvent pas pénétrer dans la bâtisse, comme si une force invisible protégeait le lieu.
Dagobert vs Clothaire
L’histoire se poursuit avec une querelle qui éclate des années plus tard entre Dagobert et son père, le roi Clothaire II. Prenant la fuite, Dagobert repense à l’épisode du cerf et décide de se réfugier dans la chapelle. Les Gesta Dagoberti rappellent alors, comme dans un flash-back, l’histoire de sainte Geneviève qui aurait construit l’édifice pour entourer les saints décapités inhumés à cet endroit. Ces derniers, comme ils l’avaient fait pour le cerf, protègent le fuyard pourchassé par son père. La nuit venue, Dagobert s’endort et reçoit une vision en songe dans laquelle il rencontre les trois martyrs avec lesquels il conclut un marché. Denis, Éleuthère et Rustique lui promettent de calmer ses angoisses à condition que le futur roi érige pour eux une sépulture digne de ce nom. La chapelle tombe en effet en décrépitude et le souvenir des trois saints commence à s’estomper parmi la population.
Chose promise, chose due, une fois sur le trône, Dagobert exhume les corps des saints et construit, selon l’auteur des Gesta Dagoberti, une nouvelle église « depuis ses fondements ». Le terme de « fondation » est lâché. Rien n’arrêtera plus la réputation de bâtisseur de Dagobert.
« L’association est faite et à partir de ce moment, dans la plupart des sources des milieux dionysiens et parisiens, Dagobert sera présenté de manière récurrente comme le fondateur de Saint-Denis, explique Sarah Olivier. Les Gesta Dagoberti sont en effet très diffusés au Moyen Âge. On le sait parce qu’un grand nombre d’exemplaires nous sont parvenus et qu’il existe aussi un abrégé de cet ouvrage qui témoigne de sa popularité. C’est encore une hypothèse, mais je prétends qu’aux XIVe et XVe siècles, la figure de Dagobert en tant que fondateur de Saint-Denis s’émancipe des sources strictement liées à l’église et imprègne la littérature. Elle est en tout cas reprise dans plusieurs chansons de gestes de cette époque. Un sacré succès pour une invention qui, au départ, relevait de la politique, voire de la propagande. »
Pour l’historienne, en effet, cette opération de réécriture de l’histoire commencée dans les Gesta Dagoberti est un échange de bons procédés entre l’abbaye et la royauté. La première y gagne puisqu’elle peut, grâce à Dagobert, attester de l’ancienneté des relations entre les deux institutions. La seconde y trouve également son compte puisqu’elle peut véhiculer l’image d’un roi pieux placé sous la protection de ce saint parisien très populaire, une image qui rejaillit sur elle à travers les siècles.
« Au Moyen Âge, réécrire des chroniques, inventer des faits, intercaler ou omettre des passages sont considérés comme de véritables actes d’écriture et non de falsification, souligne Sarah Olivier. À cette époque, le texte est profondément ouvert. Il est voué à être remanié, prolongé, traduit, etc. C’est pourquoi de telles modifications ne suscitent pas de véritables remises en cause au Moyen Âge contrairement à ce qui se passerait aujourd’hui. »
Assistante au Département d’histoire générale, Faculté des lettres.
Prépare une thèse questionnant la manière dont l’époque mérovingienne est réinterprétée et transmise à la fin du Moyen Âge pour légitimer la position des rois de France dans une période troublée.
Décroche en septembre 2017 la troisième place de la finale internationale de «Ma thèse en 180 secondes» après avoir remporté les finales genevoises en Suisse.