Campus n°134

Une carte identifie les populations victimes de morsures de serpent

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Mieux comprendre les échanges de gaz à effet de serre entre les océans et l’atmosphère : tel est l’objectif de l’Expédition « The wind of change » qui vient de boucler la traversée de l’océan indien.

En juin dernier, soit deux mois à peine avant sa disparition à l’âge de 80 ans, Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, Prix Nobel de la paix et docteur honoris causa de l’Université de Genève, tirait la sonnette d’alarme dans une tribune publiée par le journal Le Monde. Le but de cette ultime prise de position : attirer l’attention de la communauté internationale sur une grave crise de santé publique, à savoir les ravages causés par les attaques de serpents venimeux. Encore largement ignoré de l’opinion, ce fléau tue cinq fois plus que la dengue. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classé en juin 2017 parmi les maladies tropicales négligées prioritaires et appelle tous les acteurs impliqués dans cette problématique à collaborer afin d’améliorer la collecte de données épidémiologiques fiables, le contrôle réglementaire des sérums antivenimeux et les politiques de distribution.

C’est dans le cadre de la feuille de route globale établie par l’agence onusienne que s’inscrit la carte publiée au mois de juillet dans la revue The Lancet par un groupe international de scientifiques auquel participent notamment François Chappuis et Nicolas Ray, respectivement professeur au Département de santé et médecine communautaire (Faculté de médecine) et chargé de cours à l’Institut de santé globale et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UNIGE, ainsi que le Dr Rafael Ruiz de Castañeda (Institut de santé globale) et le Dr Gabriel Alcoba, chef de clinique au Service de médecine tropicale et des voyages des HUG. Un document qui permet d’identifier avec précision les populations les plus vulnérables  face à cette problématique et pour lesquelles il convient d’agir en priorité.

Sauver des vies

Les données du problème sont relativement claires. Chaque année, plus de 5 millions de personnes sont mordues par l’une des 278 espèces de serpents dangereuses recensées par l’OMS. Il en résulte environ 125 000 décès, tandis que près d’un demi-­million de survivants souffrent d’importantes séquelles (physiques ou psychologiques) qui les empêchent de reprendre une existence normale. Ce très lourd bilan pourrait pourtant facilement être allégé. Contrairement à ce qui se passe pour de nombreux autres états pathologiques graves, il existe en effet, dans la plupart des cas, un traitement très efficace contre les morsures de serpent. De nombreux  décès pourraient donc être évités grâce à la prise rapide d’un sérum antivenimeux de qualité.

« Afin d’éviter une issue fatale en cas de morsure, il faut réagir vite, avoir accès à des antivenins et à une assistance respiratoire dans les heures qui suivent, précise François Chappuis. De plus, il est essentiel de pouvoir identifier l’espèce responsable de l’attaque afin de déterminer quel antivenin administrer. Or, pour l’heure, les connaissances dont nous disposons en matière d’herpétologie sont encore insuffisantes. »

Carte des risques

L’étude publiée cet été vise à combler cette lacune en dressant une cartographie très détaillée des populations les plus exposées à ce type de risque. Pour réaliser ce document, les chercheurs ont commencé par modéliser la distribution géographique de l’ensemble des espèces dangereuses dans le monde. Ils ont ensuite fait de même avec l’accès aux soins en termes de temps de transport, puis avec la qualité des soins au niveau national et enfin avec la disponibilité de soins spécialisés (antivenins, etc.). Les résultats obtenus permettent d’identifier les zones qui cumulent la proximité des reptiles, l’éloignement des hôpitaux et une qualité de soins moindre. Des « points chauds » qui se trouvent principalement en Afrique centrale et en Asie.

Comme le précisent les auteurs, la prévalence des attaques mortelles est étroitement liée au mode de vie des populations et au contexte socio-économique. Ainsi, l’Australie, qui héberge pourtant les espèces les plus dangereuses au monde, ne connaît en moyenne qu’une victime par année. D’une part, parce que les infrastructures permettent aux secours d’intervenir rapidement. De l’autre, parce que les serpents dangereux vivent essentiellement dans des régions quasiment inhabitées.

En parallèle à ces travaux, François Chappuis, Nicolas Ray et leurs équipes ont lancé ce printemps une autre étude d’envergure qui vise cette fois à préciser l’impact des morsures de serpent sur les populations humaines et animales. Financé à hauteur de 835 000 francs par le Fonds national de la recherche scientifique pour une durée de quatre ans, le projet « SNAKE-BYTE » donnera lieu à une collecte de données sans précédent au Cameroun et au Népal qui débouchera sur une mesure d’impact plus précise dans les communautés incluant une cartographie de l’accessibilité aux soins salvateurs: les antivenins et l’assistance ventilatoire. Travail qui pourrait contribuer à revoir à la hausse l’ampleur du phénomène.

Victimes invisibles

Les chiffres sur lesquels se basent les estimations actuelles de l’OMS sont en effet tirés des registres transmis aux autorités par les hôpitaux et semblent ne refléter qu’une faible proportion de la morbidité et de la mortalité réelles.

De nombreuses victimes ne parviennent jamais jusqu’aux établissements de soins et ne sont donc pas enregistrées. Par ailleurs, certaines personnes préfèrent se tourner vers la médecine traditionnelle que vers les hôpitaux, échappant ainsi également aux relevés statistiques. Une étude communautaire menée en 2000 dans l’est du Népal a ainsi recensé plus de 4000 morsures pour près de 400 décès alors que les chiffres avancés par le Ministère de la santé faisaient état de 480 morsures dont 22 mortelles pour la même période dans l’ensemble du pays. En Inde, des travaux comparables sont arrivés à un résultat 30 fois supérieur au chiffre officiel avancé par le gouvernement.

En attendant d’y voir plus clair, les chercheurs de la Faculté de médecine s’efforcent depuis plusieurs années déjà d’agir directement dans les régions concernées.
Dans la plaine du Teraï (toujours au Népal), François Chappuis et ses collègues ont ainsi mis en place en 2004 un système de volontaires à moto permettant de relier les villages isolés de la région aux centres de soins disposant d’anti-venins. Après une phase de test, le programme a rapidement été étendu à un bassin de population d’environ 300 000 personnes. Et les résultats sont spectaculaires puisque la mortalité liée aux morsures de serpent a subi une réduction de pratiquement 90 % (lire Campus 116).

 

Vincent Monnet