Campus n°140

La musique en orchestre, c’est bon pour la tête

140 - RE1.JPG

En suivant 300 enfants pratiquant de la musique en orchestre dans le cadre du projet « Démos », Donald Glowinski et ses collègues ont montré que cette activité permettait d’augmenter fortement les aptitudes cognitives et émotionnelles.

La musique, paraît-il, adoucit les mœurs. Il semblerait même que, pratiquée en orchestre, elle ait un effet favorable sur des compétences psychosociales telles que la mémoire, la flexibilité cognitive, l’autonomie ou l’empathie. C’est en tout cas ce qu’indique une récente étude menée sur mandat de la Philharmonie de Paris-Cité par une équipe du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA) en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Gênes et de l’Institut de recherche et coordination acoustique de Paris (Ircam).
Lancé en 2010, le projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) vise à favoriser l’accès à la musique classique par la pratique instrumentale en orchestre. Cela afin de lutter contre l’érosion naturelle d’un public vieillissant mais aussi avec l’idée de donner à de futurs citoyens issus de quartiers défavorisés des clés pour optimiser le « vivre-ensemble ». Centré sur les zones d’éducation prioritaires (ZEP) françaises, Démos regroupe aujourd’hui une quarantaine de formations comprenant chacune une centaine d’enfants âgés de 7 à 13 ans.

Boîte à outils

Au-delà de l’enthousiasme dont témoignent les participants, les parents et les éducateurs impliqués dans le projet, mesurer de manière objective les retombées d’une telle initiative en termes de développement cognitif ou d’inclusion sociale est une véritable gageure. Relever ce défi, c’est précisément la mission qui a été confiée il y a trois ans à l’équipe pilotée par Donald Glowinski, chargé de cours à la Section de psychologie et responsable du nouveau programme de formation continue de l’UNIGE sur les compétences émotionnelles en situation professionnelle.
« Notre objectif consistait à développer des outils d’évaluation qui soient à la fois solides sur le plan scientifique et suffisamment accessibles pour pouvoir être ensuite transmis aux praticiens, à savoir les professeur-e-s de musique et les éducatrices et éducateurs qui travaillent directement avec ces enfants », résume le chercheur.


Briser la glace

Voilà pour la théorie. En pratique, il a d’abord fallu que l’équipe de recherche montre patte blanche. « Lorsque vous débarquez en banlieue, dans un atelier où le timing est rigoureusement minuté et où la priorité reste de faire de la musique, vous n’êtes pas forcément accueilli à bras ouverts en tant que scientifique, précise Donald Glowinski. Au départ, les éducateurs sociaux, notamment, étaient assez sceptiques, ils ne voyaient pas vraiment à quoi tout cela pourrait leur servir. Il a donc fallu discuter, rassurer, s’adapter afin de perturber le moins possible le déroulement du cours. Cela a demandé pas mal de temps, mais cette dimension participative était absolument essentielle à nos yeux pour que nos travaux soient réellement utiles au-delà de leur publication. »
Une fois la glace brisée, l’équipe de scientifiques est intervenue au sein de trois orchestres de niveaux différents (débutant, intermédiaire, avancé) en commençant à chaque fois par un questionnaire général portant sur la relation aux autres, au travail en orchestre, au projet Démos, etc.
Dans un deuxième temps, elle a sélectionné des jeux dont la validité a largement été démontrée par la littérature scientifique permettant de mesurer la mémoire de travail (soit le nombre d’informations retenues à court terme par un individu), la réponse émotionnelle face à telle ou telle situation, la capacité d’attention ou encore la flexibilité cognitive, autrement dit la faculté à intégrer une consigne, à agir en conséquence et s’adapter à un changement de règle.
Pour des raisons logistiques, mais aussi pour les rendre plus attractifs aux yeux des jeunes générations, les tests utilisés ont au préalable été adaptés pour pouvoir être déployés sur une tablette numérique.

Évaluations interactives

La troisième série de mesures a, elle, été conduite par l’entremise d’applications interactives spécialement conçues pour l’expérience afin d’évaluer de manière ludique le degré de précision et de synchronisation des apprentis musiciens lors de tâches d’imitation effectuées en groupe.
« L’enjeu majeur dans le cas présent était de créer des scénarios d’interactions musicales collectives basés sur des exercices et des pratiques pédagogiques existantes comme les échauffements ou les exercices de groupe, détaille le chercheur. L’application que nous avons développée en collaboration avec l’Ircam permet de jouer des sons et de les moduler en fonction des postures et des mouvements de l’utilisateur ou de l’utilisatrice par le biais d’un iPod fixé au poignet. Grâce à l’accéléromètre et au gyroscope 3D contenus dans l’appareil, les données individuelles sont quantifiées de manière très précise. »
Globalement, les résultats obtenus après deux ans de suivi montrent une évolution significative du développement des capacités cognitives et émotionnelles des enfants dès la première année de participation au projet en comparaison avec des enfants du même âge ne faisant pas de musique en groupe. Mais c’est surtout entre la deuxième et la troisième année de pratique que les changements sont les plus spectaculaires, puisque la marge de progression en matière de mémoire de travail, de reconnaissance émotionnelle et de flexibilité cognitive est multipliée par un facteur allant de 3 à 5 selon l’âge concerné.
« Les premières années passées au sein de l’orchestre semblent surtout favoriser les capacités à imiter des mouvements continus et à se synchroniser collectivement, ce qui est en adéquation avec la pédagogie particulière de Démos, où l’apprentissage du mouvement et de la pratique collective est particulièrement mise en avant durant cette période, commente Donald Glowinski. Les progrès constatés ensuite concernent, eux, plus spécifiquement la gestion des émotions. Ils se traduisent notamment par des gains en autonomie, une meilleure qualité d’écoute et une plus grande capacité à entrer en résonance avec les autres. » Autant d’atouts qui vont bien au-delà de la simple réussite scolaire et qui pourraient s’avérer très précieux dans un monde où il semble plus compliqué que jamais de réaliser des projets en commun.


Vincent Monnet