Campus n°84

Recherche/santé

Cancer à Genève: on préfère guérir que prévenir

Le Registre genevois des tumeurs a publié son rapport quadriennal en octobre dernier. Genève affiche la plus faible mortalité d’Europe, mais aussi le nombre de nouveaux cas le plus élevé. Explications

Montrez-moi vos statistiques sur le cancer, et je vous dirai qui vous êtes. De cet exercice, si l’on en croit les dernières statistiques du Registre genevois des tumeurs publiées en octobre dernier, Genève ne sortirait pas grandie, mais empêtrée dans une profonde incohérence.

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D’un côté, le canton du bout du lac est la région d’Europe où la mortalité liée au cancer est la plus faible, conséquence sans doute d’un des systèmes de santé les plus efficaces (et les plus chers) au monde. De l’autre, le canton est aujourd’hui la région d’Europe qui enregistre le taux le plus élevé de nouveaux cas par année. Et ça, c’est le résultat, avec quinze ans de décalage, de la combinaison la moins recommandable qui soit de comportements individuels et de mesures collectives: consommation élevée de tabac et d’alcool, alimentation riche en viande et en produits laitiers, sédentarisation généralisée, maternités tardives et moins fréquentes, pollution de l’air, prévention timide des comportements à risques, dépistage inégalitaire, etc. Les Genevois vivent donc le résultat d’un curieux choix de société selon lequel il vaudrait mieux guérir que prévenir.

Une prévention efficace, pourtant, pourrait avoir une influence considérable sur les méfaits des tumeurs. En effet, dans un monde idéal, si chacun adoptait des règles de vie saines, l’incidence du cancer diminuerait probablement de 30 ou 40%. Mais pour parvenir à un tel résultat, même approchant, il faudrait investir beaucoup d’argent. Ce qui est loin d’être le cas à une époque où les cigarettiers dépensent des sommes beaucoup plus importantes pour encourager les jeunes à fumer que l’administration à les en empêcher. «Et puis, investir dans la prévention signifie la plupart du temps investir dans les générations futures, note Christine Bouchardy, médecin-adjoint et responsable du Registre genevois des tumeurs (RGT). Peu de personnalités politiques se risquent dans des aventures qui dépassent d’aussi loin une législature.»

En matière de prévention, la Suisse court même le risque de reculer sur certains points. Les milieux médicaux et les représentants des patients vont en effet devoir plaider cette année à Berne la cause de la mammographie pour qu’elle ne soit pas retirée, après sept ans à l’essai, de l’assurance maladie de base (qui comprend notamment le remboursement d’un examen tous les deux ans pour les femmes de plus de 50 ans à condition qu’il existe un programme de dépistage cantonal). Et ce alors que les bienfaits de tels contrôles ont été démontrés par de nombreuses études cliniques internationales, qu’ils sont menés dans de nombreux pays européens et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) les recommande instamment. Mais en ces temps de vaches maigres et de coûts de la santé croissants, la tentation est grande d’économiser tous azimuts.

«Il ne faut surtout pas mettre les deux systèmes – guérir et prévenir – en concurrence, met en garde Christine Bouchardy. Améliorer la prévention au détriment des soins, comme s’il s’agissait de vases communicants, est une erreur qui entraînerait des résultats catastrophiques. A quoi cela servirait- il en effet de dépister le plus tôt possible des tumeurs s’il n’est pas possible de les traiter correctement? Les autorités politiques doivent comprendre que ce n’est qu’en alliant la meilleure prévention possible et les soins les plus complets que l’on arrivera à circonscrire l’épidémie de cancer et à la faire reculer. Cela coûte de l’argent, c’est vrai. Mais la tendance actuelle, qui consiste à faire des économies dans le domaine de la santé sans planification, ne donnera certainement pas de bons résultats en termes de santé publique.»

Base de données précieuse

Le cancer est la maladie qui tue le plus à Genève. Deux mille cinquante-cinq nouveaux cas par an sont enregistrés, responsables de 432 décès chez l’homme et 356 chez la femme. De manière générale, la mortalité tend à diminuer, mais l’incidence augmente en raison de l’augmentation de la population et de son vieillissement. Chez l’homme, selon le rapport du RGT sur l’incidence, la mortalité et la survie du cancer à Genève (publié tous les quatre ans), c’est la prostate qui est le plus souvent touchée (27,1% des cas), mais c’est le cancer du poumon (13,8% des cas) qui tue le plus puisqu’il est responsable de 22,9% des décès. Cette affection, liée à la consommation du tabac, a semblé plafonner dans les années 1980 puis reculer avant de se stabiliser actuellement.

Chez la femme, c’est le cancer du sein qui est le plus fréquent (36,8% des cas) et responsable du plus grand nombre de mort (18% des décès liés au cancer). Il est suivi par les tumeurs du côlon et du rectum (11,6% des cas et responsable de 12,1% des décès) puis par ceux du poumon. Ce dernier est légèrement moins fréquent (7,9%), mais nettement plus mortel, puisqu’il est responsable de 15,1% des décès. La mauvaise nouvelle est que ce dernier chiffre est en hausse constante.

Anton Vos

Régistre genevois des tumeurs

Document de l'OMS

Un registre dédié à la recherche

Le Registre genevois des tumeurs (RGT), le plus ancien de Suisse et l’un des pionniers en Europe, a été créé en 1970 pour suivre l’évolution du cancer à Genève. Il possède une base de données qui rassemble les dossiers de 100 000 patients ayant été atteints du cancer lors de ces trente-six dernières années. Chaque nouveau cas y est répertorié. Toutes les informations sur le diagnostic, le traitement, les années de survie, le décès, le statut social ou la nationalité y sont inscrites, offrant ainsi aux chercheurs la possibilité d’étudier avec exactitude l’épidémiologie du cancer. Le RGT exploite régulièrement ses données dans le cadre d’études épidémiologiques. Voici les résultats des dernières d’entre elles.

> Les femmes issues de classes sociales défavorisées ont un risque 2,4 fois plus élevé de mourir du cancer du sein que les autres. Ces personnes sont souvent des étrangères, découvrent plus rarement leur tumeur grâce au dépistage et se trouvent généralement à un stade plus avancé de la maladie lors du diagnostic. Elles subissent moins souvent d’opérations chirurgicales, de thérapies hormonales ou de chimiothérapies. Même en ajustant les calculs pour que ces paramètres ne jouent plus de rôle, le risque de mourir du cancer du sein chez les femmes défavorisées demeure 1,8 fois plus élevé que chez les autres. (International Journal of Cancer du 1er septembre 2006).

> L’ablation complète de la tumeur primaire, dans le cas d’un cancer du sein, améliore de 40% les chances de survie des patientes présentant déjà des métastases au moment du diagnostic. Ce résultat contredit la pratique habituelle basée sur la considération qu’un cancer du sein métastasé serait incurable et pour lequel une opération serait inutile. (Journal of Clinical Oncology du 20 juin 2006).

> Selon les statistiques des périodes 1975-1979 et 1985-1989, le risque de développer un cancer du sein augmente avec l’âge, le maximum se situant à 85 ans et plus. Dès 1997, cependant, ce pic se déplace vers une tranche d’âge moins élevé, celle des 60-65 ans, le risque diminuant pour les femmes plus vieilles. Cette variation est due à des tumeurs précoces et sensibles aux oestrogènes, apparues principalement chez des femmes ayant suivi une thérapie hormonale de substitution. (BioMed-Central Cancer du 22 mars 2006).