Campus n°86

Extra-muros/Chili

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Chasseur de planètes dans la nuit

Stéphane Udry et ses collègues ont découvert ce printemps la plus petite planète extrasolaire connue. Sa masse vaut cinq fois celle de la Terre et elle remplit les conditions pour abriter de l’eau à l’état liquide

«J’aime bien partir en mission d’observation au printemps. Je suis allergique au pollen: cela me donne quelques semaines de répit.» L’antidote de Stéphane Udry, professeur à l’Observatoire de Genève, est radical. C’est en effet au Chili, à plus de 2400 mètres d’altitude, aux abords d’un des déserts les plus secs de la planète, qu’il se rend habituellement pour échapper à son mal. Mais la raison principale du voyage, ce n’est pas le rhume des foins. C’est la traque des planètes extrasolaires. Membre de l’équipe du professeur Michel Mayor, codécouvreur de la première d’entre elles en 1995, Stéphane Udry a d’ailleurs à son tour marqué cette quête d’une pierre blanche. Il est le premier auteur de la découverte, annoncée ce printemps, d’une planète 5 fois plus massive que la Terre et située à la bonne distance de son étoile pour pouvoir accueillir, en théorie, de l’eau liquide, ingrédient indispensable à l’éclosion de la vie telle que nous la connaissons.

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Précision suisse

La détection des petits mouvements de l’étoile Gliese 581, trahissant la présence de ce compagnon invisible, a été réalisée à La Silla, un coin aride et reculé des Andes, à l’aide du télescope de 3,6 mètres de diamètre de l’ESO (Observatoire européen austral). Ce vieil appareil, bâti en 1976, a reçu un sérieux coup de jeune lorsqu’il a été doté en 2003 d’un spectrographe de très haute précision et de fabrication helvétique, HARPS (lire Campus n°66). Depuis, il est devenu l’outil le plus efficace, et de loin, dont peut rêver un chasseur de planètes extrasolaires.

«HARPS, au fur et à mesure de son utilisation, dévoile des capacités qui dépassent nos attentes et celles de nos concurrents, dont certains n’avaient pourtant pas caché leur scepticisme, explique Stéphane Udry. Sa précision et sa stabilité sont extraordinaires. L’appareil appartient à l’ESO, mais comme nous l’avons construit pour l’essentiel, nous avons reçu sous forme de salaire 500 nuits d’observation pour cinq ans en plus de celles que nous obtenons sur concours. Du coup, notre équipe dispose du meilleur dispositif existant et de beaucoup de temps pour l’utiliser. Les résultats suivent: 11 des 13 planètes connues à ce jour ayant une masse de moins de 20 fois celle de la Terre ont été découvertes grâce à HARPS.»

La détection autour de Gliese 581 de la «super Terre», comme l’appellent les astronomes, n’a pas été immédiate. Car ce n’est pas en collant simplement l’œil au télescope que l’on réalise des découvertes aujourd’hui.

«Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un astronome moderne passe la majorité de son temps au bureau, derrière son ordinateur, précise Stéphane Udry. Ce n’est que pour les colloques internationaux ou les campagnes d’observation (5 semaines par an en ce qui me concerne) que nous sortons de nos murs. Cela dit, le métier d’astronome conserve un côté ermite qui demeure très romantique. Quand, la nuit tombante dans un paysage sublime, je suis seul au télescope, j’ouvre le dôme et monte me promener sur le chemin de ronde autour de la coupole, je me sens comme un capitaine sur son bateau: seul maître à bord après Dieu.»

Là-haut sur la montagne, tout est parfaitement organisé pour perdre le moins de temps possible. Les chercheurs venus d’Europe sont pris en charge dès leur arrivée à l’aéroport. Sur place, on leur prépare à manger, range leur chambre, bref, un véritable baby-sitting. Tout est fait pour que les astronomes n’aient à se préoccuper que de leur travail. «Ce n’est pas comme dans certains autres observatoires manquant d’infrastructures, se souvient le chercheur. Un de mes collègues s’est rendu une fois dans un endroit, en Arizona, où il fallait faire les courses et la cuisine soi-même. Il a aussi dû chasser l’ours qui rôdait dans les parages.»

D’une étoile à l’autre

A l’ESO, dans les grands télescopes, les astronomes sont dorlotés jusque sous la coupole. Le pointage du télescope est automatique et c’est souvent un technicien, qui travaille à l’année à l’observatoire chilien, qui prépare l’appareil en entrant les coordonnées fournies à l’avance par l’astronome. Les nuits sont ainsi préprogrammées, le télescope passant alors docilement, dès le crépuscule, d’une étoile à l’autre, emmagasinant de la lumière venue du cosmos et la restituant sous forme de graphes, courbes et listes de nombres. L’astronome est sur place en cas de doute ou de pépin, le plus souvent pour surveiller le déroulement de l’enregistrement. «Je ne peux pas jouer tout seul avec le télescope, avoue Stéphane Udry. Mais je mets ces nuits à profit en travaillant de manière efficace. Il n’y a personne pour me déranger. C’est le meilleur moment pour analyser les premiers résultats.»

C’est au cours d’une de ces campagnes, en 2005, que l’astronome genevois et ses collègues découvrent une première planète orbitant autour de Gliese 581. Il ne s’agit pas encore de la super Terre, mais d’une «Neptune», dont la masse vaut 15 fois celle de la Terre. Cependant, à y regarder de plus près, les courbes retraçant les minuscules mouvements de l’étoile semblent cacher quelque chose, peut-être un ou deux autres compagnons. Dans ce genre de cas, il convient de rester discret pour ne pas éveiller les soupçons chez les concurrents – il y en a de sérieux – et éviter de se faire coiffer sur le poteau. Pas un mot donc lors de l’annonce de la découverte de la «Neptune» lors du colloque tenu en août 2005 à l’Observatoire de Haute Provence en l’honneur du 10e anniversaire de la détection de la première planète extrasolaire, 51Pegb.

Dès que l’occasion s’est présentée pour effectuer des mesures complémentaires, les chercheurs ont pu dessiner avec davantage de précision les oscillations de Gliese 581. Les choses sont alors allées très vite et deux autres planètes (une de cinq et une de huit fois la masse de la Terre) ont pu être identifiées, la plus petite se trouvant juste à la bonne distance de son astre. Le 25 avril 2007, la nouvelle fait le tour du monde: on a découvert une «planète extrasolaire potentiellement capable de supporter la vie».

Anton Vos

Exoplanètes 

Fiche technique

> La planète extrasolaire, découverte par les chercheurs de l’Observatoire de Genève, de trois laboratoires français associés au CNRS et d’une équipe de l’Université de Lisbonne est la plus petite connue à ce jour. Sa masse est 5 fois plus importante que celle de la Terre.

> Elle tourne autour d’une naine rouge, Gliese 581, située à 20,5 années-lumière. Ce type d’astres, très abondant, est relativement peu lumineux. Par conséquent, la zone «habitable», où les conditions de vie sont théoriquement réunies, est plus proche de l’étoile et les planètes qui y évoluent sont plus facilement détectables.

> Le système de Gliese 581 est formé d’au moins trois planètes. La première, aussi massive que Neptune, a été découverte en 2005. En plus de la super Terre, les mouvements de l’étoile indiquent qu’un troisième larron (de 8 fois la masse de la Terre) fait partie de la danse.

> La super Terre effectue une révolution autour de son étoile en 13 jours. La température moyenne à sa surface serait comprise entre 0 et 40°C. Ces conditions permettent la présence d’eau liquide.

> La planète est soit rocheuse, soit couverte par un océan. La gravité est de 2,2 fois celle de la Terre et son rayon probablement entre 1,5 et 2 fois plus grand que celui de notre planète.