Campus n°87

Recherche/neuroloscience

L’éveil est une longue inhibition du sommeil

Un organisme vivant partage son temps entre des périodes de veille où il est actif et des périodes de sommeil où il récupère ses forces. L’alternance de ces périodes demande une gestion complexe au niveau du cerveau

sommeil
Le sommeil survient généralement avec la nuit et s’en va avec le jour. Ce qui semble une évidence pour la majorité de la population devient une gageure pour ceux qui tentent d’en démontrer les fondements neurophysiologiques. Des chercheurs genevois ont cependant commencé à défricher le terrain. Ils ont en effet montré qu’il existe une connexion neuronale entre l’horloge biologique interne et le centre cérébral responsable du sommeil. En d’autres termes, cette découverte, parue dans la revue Journal of Neuroscience du mois de juin dernier, indique que le système chargé de caler toutes les parties de l’organisme sur un rythme de 24 heures, contrôle probablement aussi la mécanique neuronale qui assure l’alternance des phases de sommeil et d’éveil.

mécanique de haute précision

L’horloge biologique est une mécanique de haute précision et d’une très grande complexité. En réalité, toutes les cellules d’un organisme ont leur propre horloge réglée sur une période d’environ 24 heures. Pour éviter que cette gigantesque symphonie ne devienne un chaos total, un chef d’orchestre maintient tout le monde en cadence. Il s’agit d’une petite structure appelée le noyau suprachiasmatique (NSC) situé dans le cerveau au niveau de l’hypothalamus (centre de régulation de nombreuses fonctions physiologiques vitales). C’est lui qui se cale chaque jour sur le cycle du Soleil et assure qu’aucune cellule de l’organisme ne se décale trop par rapport aux autres. Ce rythme circadien (de circa diem, environ un jour) doit être régulier pour assurer le bon déroulement de nombreuses fonctions physiologiques et comportementales: l’alimentation, la régulation des taux hormonaux, les variations de la température corporelle et, de toute évidence, l’alternance entre périodes d’éveil et de sommeil.

Ce sont justement les mécanismes qui régissent les phases d’éveil et de sommeil chez les mammifères qui intéressent Mauro Serafin, chercheur dans l’équipe de Michel Mühlethaler, professeur au Département de neurosciences fondamentales. «On peut imaginer les choses comme une lutte perpétuelle entre un système neurologique qui réveille le cerveau et un autre qui l’endort, explique-t-il. Sur 24 heures, chacun l’emporte à tour de rôle. D’un côté, des travaux antérieurs ont montré qu’il existe de nombreux centres dans le cerveau qui permettent le maintien de l’état d’éveil. De l’autre, il y a le noyau préoptique ventro-latéral (VLPO), situé près de l’hypothalamus, qui est l’unique centre connu du sommeil.»

Le VLPO, dont on savait déjà que la lésion provoque de profondes insomnies, a été identifié chez le rat. Cette région du cerveau compte une quantité particulièrement élevée de neurones capables de délivrer du GABA (acide gamma aminobutyrique), qui est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central. Autrement dit, le cerveau s’endort lorsque les neurones du VLPO se réveillent et libèrent du GABA.

En 2000, l’équipe de Michel Mühlethaler avait déjà décrit dans la revue Nature les propriétés des neurones du VLPO et leur réponse aux principaux neurotransmetteurs libérés par les centres d’éveil. En fait, centres d’éveil et VLPO sont connectés de manière réciproque. Lors des périodes d’activité, les premiers libèrent des neurotransmetteurs capables d’inhiber la décharge des neurones du second. Quand vient la fatigue, par des mécanismes encore à l’étude, c’est au tour des neurones du VLPO d’inhiber les centres de l’éveil. C’est ainsi que se crée l’alternance entre les périodes de veille et celles de sommeil.

Imiter les conditions réelles

La nouveauté est que les chercheurs genevois ont montré qu’il existe un lien entre le noyau suprachiasmatique, c’est-à-dire l’horloge biologique centrale et le VLPO. Pour étudier cette connexion entre ces deux régions cérébrales, qui sont physiquement très proches l’une de l’autre, les scientifiques ont utilisé une technique in vitro innovante: ils ont prélevé une portion du cerveau d’un rat contenant les deux zones d’intérêt et, en maintenant l’échantillon vivant, ils ont pu étudier leurs interactions.

Pour ce faire, les chercheurs ont stimulé des neurones du NSC de manière à imiter au mieux leur fonctionnement en conditions réelles. Simultanément, ils ont enregistré l’activité des neurones du VLPO. Leurs résultats ont permis de montrer qu’il existe bel et bien une relation physiologique entre ces deux centres et que le NSC est en mesure d’inhiber le VLPO, et ce, dans certaines conditions, de manière durable.

«En d’autres termes, précise Mauro Serafin, le noyau suprachiasmatique contrôle non seulement le rythme journalier de nombreuses fonctions physiologiques et comportementales, mais participe aussi à la régulation des transitions entre périodes de veille et de sommeil, notamment via sa capacité à inhiber des neurones du VLPO.»

Le NSC n’est pas le seul régulateur du système éveil/sommeil. Il en existe d’autres, comme la prostaglandine ou l’adénosine. Cette dernière est un produit de dégradation qui s’accumule lors des périodes d’activité cérébrale intense durant l’éveil. L’adénosine serait une substance hypnogène qui, en grande quantité, favoriserait l’endormissement. Sa concentration décroîtrait ensuite pendant le sommeil pour permettre une nouvelle période active.

La recherche menée par l’équipe de Michel Mühlethaler, outre son intérêt en biologie fondamentale, améliore également la compréhension des mécanismes impliqués dans le contrôle des états de vigilance et, partant, de leurs dérèglements. A terme, il est envisageable qu’elle contribue un jour à l’élaboration de traitements plus ciblés contre des troubles tels que l’insomnie ou la narcolepsie.

Cécile Rudio

Laboratory of sleep networks