Campus n°89

Dossier/Chine

Des Genevois guignent la station spatiale chinoise

Une équipe de l’Observatoire de l’Université de Genève collabore avec des chercheurs chinois pour placer en orbite un détecteur de rayons gamma appelé POLAR

«Il règne en Chine un dynamisme incroyable qui donne l’impression que tout est possible, que ce soit pour l’homme de la rue qui se lance dans une entreprise privée, ou pour le scientifique désireux de voir aboutir ses projets. Et nous, astrophysiciens suisses, nous avons la chance de pouvoir surfer sur cette vague.» Nicolas Produit, collaborateur scientifique à l’ISDC (Integral Science Data Center), rattaché à l’Observatoire de l’Université de Genève, vit depuis quelques mois une expérience inédite. Le chercheur genevois a en effet reçu une proposition pour qu’un détecteur de rayons cosmiques qu’il est en train de développer soit monté sur la future station spatiale chinoise. Si cette opération se réalisait – ce vaisseau n’existe, officiellement du moins, qu’à l’état de projet –, lui est ses collaborateurs deviendraient la première équipe étrangère à toucher au programme spatial habité de la puissance asiatique émergente.

L’opportunité qui s’offre à Nicolas Produit découle d’une rencontre d’intérêts pour l’astrophysique des hautes énergies. L’appareil qu’il a proposé de fabriquer il y a trois ans déjà, baptisé POLAR, est en effet destiné à mesurer la polarisation des photons émis par des événements cosmologiques d’une rare puissance: les sursauts gamma. Ces gigantesques explosions ont lieu en moyenne une fois par jour, dans un endroit quelconque du ciel et ne durent que quelques secondes, voire quelques minutes. Elles produisent une bouffée d’énergie, plus intense que tout ce qui existe dans l’univers observable, qui parvient au voisinage de la Terre sous forme de rayons gamma. Leur origine est toujours une galaxie active très lointaine.

«Il existe encore des doutes quant à la cause des sursauts gamma, explique Nicolas Produit. Leur étude était d’ailleurs l’une des missions du satellite spatial Integral, lancé en 2002 et dont les données sont récupérées et rassemblées à l’ISDC près de Versoix. Cet appareil mesure l’intensité et la couleur du rayonnement ainsi que les coordonnées de la source. Les résultats obtenus sur ces trois paramètres ont permis d’échafauder plusieurs théories concernant l’origine de ces sursauts. Aucune n’est absolument convaincante. Il existe toutefois un quatrième paramètre que l’on peut mesurer et qui permettrait peut-être de choisir entre les scénarios possibles: la polarisation. Mais pour cela, il faut envoyer dans l’espace un détecteur spécifique auquel personne n’avait encore pensé. Une lacune que devrait combler POLAR, un projet qui réunit des chercheurs suisses, français et polonais. Nous avons décroché une bourse de 800 000 francs du Fonds national pour la recherche scientifique qui nous permet de nous lancer dans la conception de cet appareil.»

Parallèlement, la Chine, qui a décidé de développer ses activités en astronomie spatiale, a également choisi de concentrer ses efforts sur les rayonnements gamma, un domaine récent et en pleine expansion. Pour arriver à ses fins, elle a notamment réussi à convaincre un chercheur talentueux de la Nasa, Shuang Nan Zhang, de revenir au pays pour diriger le programme. Ce dernier prévoit de lancer d’ici à 2010 un satellite similaire à Integral, mais de fabrication chinoise (HXMT). Le pays est également engagé dans une collaboration avec la France pour la construction d’un satellite spécialisé dans la traque des sursauts gamma (SVOM) et dont le lancement est prévu en 2011. C’est dans ce cadre que les responsables chinois ont eu vent du projet POLAR, qui semble parfaitement compléter leur stratégie. Ils ont donc pris contact avec Nicolas Produit.

«J’ai été ravi de recevoir une proposition de la part des chercheurs chinois, estime le chercheur genevois. Notre détecteur, qu’on doit pouvoir achever d’ici à 2010 environ, devrait tenir dans une boîte à chaussures. Ce qu’il nous faudra ensuite pour réaliser l’expérience, c’est un lanceur pour l’envoyer en orbite et une plateforme sur laquelle l’installer. Les Chinois disposent déjà du premier élément avec leurs fusées «Longue Marche» et bientôt du second avec la station spatiale, qui devrait accueillir notre appareil.»

Nicolas Produit et ses collègues ont été conviés en Chine pour présenter POLAR, un projet qui a été préféré à trois ou quatre autres. Il a tout de même fallu négocier un peu, car les Chinois voulaient d’abord s’approprier entièrement le détecteur. Ce que les chercheurs genevois ont refusé. Les parties se sont néanmoins mises d’accord sur la rédaction d’un memorandum of understanding, c’est-à-dire un accord de principe sur le partage des tâches entre les différents membres d’une collaboration scientifique. Ne manque plus que la signature. «Nous fabriquons le détecteur et eux se chargent du reste (attache sur une plateforme, interface avec les appareils au sol, lancement, etc.), ce qui représente tout de même le plus gros du travail», explique Daniel Haas, un des collaborateurs du projet.

La partie n’est toutefois pas encore totalement gagnée. Premier problème: le projet de la future station spatiale est encore tenu secret. Officiellement, les autorités nient même que sa construction fasse partie de ses priorités. Les astronomes genevois ont eux-mêmes de la peine à obtenir certaines informations techniques sur l’engin qui sont indispensables au développement de leur détecteur. Autre souci: certains éléments électroniques contenus dans POLAR sont hautement sensibles, du point de vue du transfert de technologie classée «spatial», et risquent d’être soumis à des restrictions à l’exportation vers la Chine. Finalement, ayant appris l’intérêt des Asiatiques pour POLAR, l’Agence spatiale européenne (ESA) semble être tentée de faire revenir les chercheurs genevois dans son giron en leur trouvant un peu plus rapidement que prévu initialement des vols sur un de leur lanceur et une place sur un satellite. Une solution de repli que Nicolas Produit et ses collègues ne rejettent pas. Sait-on jamais?

ISDC 
Agence spatiale chinoise 
Institut de physique des hautes énergies à Pékin 

Le programme spatial chinois en dates

1956 Début du programme spatial de la République populaire de Chine, concentré sur le déve-loppement de missiles balistiques avec l’aide de l’URSS.
1964 Lancement du premier missile Dongfeng
1970 Lancement du premier satellite Dong Fang Hong I avec une fusée Longue Marche, basée sur la même technologe que le Dongfeng
1985 Début d’un programme de lancement commercial avec des fusées Longue Marche. Plus de 30 satellites étrangers, européens et asiatiques, sont placés en orbite.
1999 Lancement d’un premier lanceur habitable vide Shenzhou 1
2001 Lancement de Shenzhou 2 avec à son bord des animaux.
2002 Lancement de Shenzhou 3 et 4 avec des mannequins.
2003 Lancement de Shenzhou 5 avec à son bord Yang Liwei, qui est resté durant 21 heures dans l’espace, faisant de la Chine la troisième Nation à avoir envoyé un homme en orbite.
2004 Annonce du lancement du projet d’exploration lunaire qui pourrait culminer avec une mission habitée vers 2020.
2007 Première photo de la surface de la Lune prise avec le satellite Chang’e 1 actuellement en orbite autour de l’astre.