Campus n°89

Recherche/médecine

Une usine à enzymes si difficile à soigner

Il n’existe aucun médicament efficace contre l’inflammation aiguë du pancréas. C’est un défi lancé au corps médical qu’une équipe genevoise tente de relever

Le pancréas n’a pas la cote. Lors du dernier grand congrès en son honneur, organisé en novembre 2007 à Chicago par l’American Pancreatic Association, il n’a rassemblé autour de lui que 250 experts venus du monde entier. A titre de comparaison, le foie, pour rester dans le système digestif, attire régulièrement plus de 10 000 hépatologues. Ce manque de vocation pour l’organe sécréteur de la plupart des enzymes digestives de notre organisme vient probablement du fait que lorsqu’il tombe malade, le médecin ne dispose d’aucun médicament efficace. La pancréatite aiguë, c’est-à-dire l’inflammation aiguë de l’organe, déroute tout particulièrement le personnel soignant. Jean- Louis Frossard, chargé de cours au Département de médecine interne et sa collègue, Catherine Pastor, privat-docent, font partie des rares chercheurs qui tentent de mieux cerner les mécanismes physiologiques de cette maladie. Une activité à la fois clinique et expérimentale qui les a amenés à rédiger plusieurs articles. Le dernier, paru dans la revue The Lancet du 12 janvier 2008, fait le point sur les thérapies et la prise en charge clinique.

Plusieurs mois à l’hôpital
«Cette maladie est responsable de 200 hospitalisations chaque année à Genève, précise Catherine Pastor. Les patients viennent aux urgences presque toujours en raison de fortes douleurs abdominales. Dans la majorité des cas, l’affection évolue vers une forme bénigne, et l’organe retrouve une fonction normale sans séquelles après l’épisode aigu. Mais il arrive que des patients restent plusieurs mois à l’hôpital. Environ 7% des patients développent des complications qui peuvent s’avérer très graves.»

Le problème est que la pancréatite aiguë ne répond à aucun traitement. Les soins prodigués ne reviennent souvent qu’à offrir à l’organe les meilleures conditions pour qu’il se rétablisse tout seul: oxygénation, solution de remplissage pour améliorer le débit sanguin du pancréas, et administration d’antidouleur.

«Ce chiffre de 7%, dernière statistique en date, reflète néanmoins une nette diminution, note Jean- Louis Frossard. Cela vient du fait que l’on traite mieux les malades dès leur entrée à l’hôpital. Nous assurons également un suivi plus strict de l’évolution de la maladie et nous savons mieux distinguer les patients dont l’état risque le plus de s’aggraver.»

Les chercheurs genevois tentent d’ailleurs d’améliorer ce dernier point et travaillent depuis plusieurs années à la recherche de marqueurs biologiques permettant de détecter le plus précocement possible les cas qui vont évoluer vers une forme sévère de la maladie. Dans un article paru en 2006, ils ont ainsi montré que le plus utile de ces marqueurs est la protéine réactive C, une molécule associée au processus d’inflammation.

En parallèle, Catherine Pastor et Jean-Louis Frossard cherchent aussi à mieux comprendre les mécanismes moléculaires responsables de la maladie et de ses complications en développant des modèles de pancréatite aiguë chez le rat et la souris.

Les causes les plus fréquentes de la pancréatite aiguë sont la présence d’un calcul biliaire obstruant la voie principale du pancréas (38%) et la consommation excessive d’alcool (36%). Plusieurs autres facteurs déclenchant, moins fréquents, ont été découverts, mais dans environ 20% des cas ils demeurent indéterminés.

Le problème avec le pancréas, c’est qu’il s’agit d’une usine à enzymes. Lorsque la maladie démarre, elle est suivie par une activation en chaîne de ces protéines digestives qui ne fait qu’empirer les choses. «Le pancréas fabrique et sécrète la plupart des enzymes destinées à la digestion du bol alimentaire, explique Catherine Pastor. En temps normal, pour éviter qu’elles ne digèrent les tissus du pancréas eux-mêmes, ces molécules sont maintenues inactives jusqu’au moment où elles sont relâchées dans le duodénum. L’obstruction du canal pancréatique (par un calcul par exemple, qui provoque une augmentation de la pression interne) ou la toxicité de l’alcool peuvent avoir comme conséquence d’activer certaines enzymes dans les cellules pancréatiques entraînant ainsi des lésions dans l’organe. A cela s’ajoute alors une réaction inflammatoire qui correspond au début de la pancréatite aiguë.»

«L’affection est complexe et aucun traitement n’est efficace, ajoute Jean-Louis Frossard. Ni les anti-inflammatoires ni les antiprotéases (censées inhiber l’activation enzymatique). Les patients développant une forme sévère de la maladie sont donc hospitalisés au Service des soins intensifs où ils mobilisent les compétences de plusieurs spécialistes: gastrœntérologues, chirurgiens et radiologues. Le traitement de la cause, comme l’ablation du calcul, peut dans certains cas faciliter la guérison de la maladie. D’autres stratégies, comme l’administration d’antibiotiques et une meilleure alimentation font encore le sujet de débats dans les publications scientifiques.»

Anton Vos