Campus n°91

Dossier/Colonisation

Les limites du droit

Le recours aux tribunaux pour solder les comptes de la colonisation est un chemin pavé d’embûches. D’autres solutions sont cependant imaginables

Penser que les contentieux soulevés par la colonisation ou la traite négrière peuvent être réglés devant les tribunaux est une illusion. Principe de base du droit pénal, la non-rétroactivité des règles de droit ne permet en effet pas de juger selon les critères du présent des actes qui n’étaient pas proscrits hier. En ce qui concerne l’esclavage, cela rend caduque toute plainte relative à des événements antérieurs au début du XIXe siècle et donc une large part des doléances exprimées lors de la Conférence de Durban en 2001. Pour contourner ce mur apparemment infranchissable, des solutions sont cependant imaginables.

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«La colonisation en tant que telle n’a jamais été interdite par une norme juridique, explique Laurence Boisson de Chazournes, professeure au Département de droit international public et organisation internationale. Au moment où ces actes ont été commis, ils n’enfreignaient pas le droit. Il ne sert à rien de chercher à faire dire à ce dernier ce qu’il n’a pas dit. Mais cela ne signifie pas que l’on ne peut rien faire.»

A défaut d’attaquer le problème frontalement, le développement qu’a connu le droit international au cours du XXe siècle permet de recourir à d’autres voies. La reconnaissance par les Nations unies du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’apparition de normes interdisant des comportements tels que les crimes contre l’humanité, les crimes contre la paix ou les violations graves des droits de l’homme, ainsi que la définition des concepts de minorité ou de populations autochtones constituent ainsi autant d’instruments qui permettent aux victimes de la colonisation, de la traite négrière ou de l’esclavage de faire entendre leurs doléances. «Ces évolutions ont permis de réhabiliter un certain nombre de peuples indigènes et de leur restituer des droits, explique Laurence Boisson de Chazournes. Ce type de solution fonctionne toutefois surtout à l’intérieur des frontières d’un même pays. C’est beaucoup plus difficile à mettre en place au niveau international, où l’on ne peut souvent s’en remettre qu’à des démarches entreprises à titre gracieux.»

Dans un tel cas de figure, il s’agit pour les anciens Etats colonisateurs de dédommager les victimes par le biais de programmes d’assistance en matière d’éducation, par exemple, ou la mise sur pied de trust fund dont les intérêts seraient alloués à des actions communes. Ceci sans pour autant reconnaître leur responsabilité. Des plans d’aide visant à créer des espaces permettant de reconstruire une mémoire longtemps niée – à l’image de ce qui se fait en Afrique du Sud au sein des commissions «vérité et réconciliation» – peuvent également être imaginés, à condition toutefois d’en avoir la volonté politique.

«Nous sommes dans une époque où règne le primat du contentieux, conclut Laurence Boisson de Chazournes. On pense que tout peut se régler en termes d’adversité juridique et de procès pénaux. Cette logique a tendance à nous faire oublier que si le passé est important, dans la mesure où il nourrit ce que nous sommes aujourd’hui, ce qui importe avant tout, c’est de trouver le moyen de construire un futur plus harmonieux.»

«Crimes de l’histoire et réparations: les réponses du droit et de la justice», sous la dir. de Laurence Boisson de Chazournes, Jean-François Quéguiner et Santiago Villalpando, Editions Bruylant 2004, 401 p.