2002

Collaboration Musée d'art et d'histoire-Université - Les arts au temps de Charles II de Savoie


Collaborateuir Defendente Ferrari, partie principale du tableau, détail © Musée d'art et d'histoire

L'intégration européenne marque le retour en force des régionalismes. Le territoire genevois n'échappe pas à cette tendance. Depuis quelques années, la cité du bout du lac se cherche des affinités au-delà des frontières nationales avec la région Rhône-Alpes et le Piémont principalement. Les recherches menées en histoire de l'art par le prof. Mauro Natale et Frédéric Elsig, tous deux enseignants au Département d'histoire de l'art de l'Université de Genève, apportent un éclairage passionnant sur l'histoire de ce territoire tampon à cheval sur les versants nord et sud des Alpes. Ces recherches ont servi de script à l'exposition "La Renaissance en Savoie", à voir actuellement au Musée d'art et d'histoire de Genève.

 

Partie inférieure du tableau retrouvée au Musée de Schaffhouse  © Musée d'art et d'histoirePoint de départ de ce qui s'apparente parfois à une véritable enquête policière: un tableau fragmentaire datant de la première moitié du XVIe siècle, et conservé au Musée d'art et d'histoire (MAH). Il serait peut-être resté en cet état incomplet, si Mauro Natale n'avait découvert la part manquante au Musée de Schaffhouse il y a quelques années. Celle-ci était attribuée à un peintre allemand. "Le caractère fragmentaire est éloquent", commente le chercheur. "Il témoigne d'un patrimoine dispersé géographiquement et d'une situation historique relativement mouvementée. Le Duché de Savoie, qui domine alors la région, est politiquement et économiquement affaibli face aux puissances française et impériale. La région importe des artistes, venus surtout du Piémont. Ce qui explique que l'on retrouve, par exemple, des oeuvres à caractère très italien dans le Jura."

C'est également une époque charnière pour Genève, jusqu'alors plutôt tournée vers la culture méridionale et qui, suite à la Réforme, se découvre une attirance pour le nord de l'Europe. Mais cette dispersion géographique indique aussi la méconnaissance du patrimoine local. Une lacune que les travaux de Mauro Natale et Frédéric Elsig vont permettre de combler. "C'est d'ailleurs l'un des grands mérites de l'exposition que de rassembler des indices pour dégager une image plus cohérente de la culture régionale", souligne Mauro Natale.

Reste à connaître le fin mot de l'énigme: dans quelles conditions une oeuvre a-t-elle pu se retrouver dispersée à deux endroits sous des identifications apparemment contradictoires? La partie principale du tableau a été retrouvée à Genève dans les années 20 et a été attribuée à un collaborateur du peintre piémontais Defendente Ferrari, qui aurait produit un nombre considérable de travaux destinés à la dévotion. Quant au fragment retrouvé à Schaffhouse, représentant un enfant Jésus, il a été acheté comme pièce indépendante par le peintre bernois Victor Surbek qui l'a ensuite légué à la ville de Schaffhouse dans les années 30.

Mais pourquoi avoir découpé le tableau? "La coupure date vraisemblablement du XIXe siècle, à une époque où l'on redécouvre les réalités régionales et où des collectionneurs se chargent de rassembler ce que l'on considère alors comme des 'oeuvres primitives', fortement influencées par des éléments germaniques, d'où l'attribution erronée à un peintre allemand", explique Mauro Natale. C'est d'ailleurs le propre de la production artistique de la région à cette époque que de mêler au style italien des éléments plus rustiques. En faisant deux tableaux à partir d'un seul, les marchands d'art de l'époque doublaient leur profit.

Cette oeuvre s'inscrit dans l'exposition parmi un ensemble d'une douzaine d'objets, peints ou sculptés, "tous des travaux de premier plan", selon Mauro Natale. A noter aussi la publication du catalogue qui accompagne l'exposition, La Renaissance en Savoie, les arts au temps du Duc Charles II (1504-1553), de Mauro Natale et Frédéric Elsig, richement documenté et illustré, avec des contributions de Vittorio Natale, Marcel Granjean, Paul Guichonnet, Bernard Andenmatten, Pierre Lafargue, Victor Gameiro Lopes, Anna Rosa Nicola et Anne Rinuy.

Un colloque-séminaire, organisé dans le cadre de cette collaboration entre Université et Musée genevois, aura lieu les vendredi et samedi 19 avril et 20 avril, 24 et 25 mai 2002. Il sera consacré, sous la direction de Serena Romano (Université de Lausanne) et de Mauro Natale, aux différents aspects de la production artistique de la région alpine du XIIe au XVIe siècle.

Renseignements: Musée d'art de d'histoire (2 rue Charles-Galland Genève),
tél: 022/418.26.00

15 avril 2002
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