Campus n°102

Chimie

A la chasse aux métaux lourds

Les sondes submersibles développées par Marylou Tercier-Waeber permettent de détecter in situ, en temps réel et avec une très grande précision, la concentration des métaux lourds. Robustes et exigeant peu de maintenance, ces appareils offrent de nouvelles perspectives pour la surveillance des zones à risques et l’évaluation de l’impact à long terme des métaux lourds sur les milieux aquatiques

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L’adversaire est redoutable. Potentiellement nocifs pour les végétaux, les animaux et l’homme, les métaux lourds peuvent provoquer des cancers, des mutations génétiques, des troubles neurologiques ou des lésions osseuses. Ils ont également l’inconvénient de ne pas se dégrader, contrairement à la plupart des polluants organiques, et de s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Leur toxicité dépend toutefois fortement de leurs concentrations et des formes chimiques sous lesquelles ils se trouvent. D’où l’intérêt de pouvoir détecter leur présence de manière aussi fine que possible.

Robustes et performants

C’est dans cette perspective que Marylou Tercier-Waeber, ingénieure de recherche au Département de chimie minérale, analytique et appliquée, développe depuis une quinzaine d’années, en collaboration avec la compagnie Idronaut à Milan et l’Institut de microtechnique de l’Université de Neuchâtel (IMT), des sondes submersibles dont les premiers modèles sont déjà commercialisés. Robustes, bon marché, nécessitant peu de maintenance tout en étant extrêmement performants, ces systèmes, qui n’ont pour l’instant aucun équivalent au monde, offrent des perspectives prometteuses pour traquer les pollutions aux métaux lourds dans les zones à risques. Ils devraient également permettre de mieux -comprendre l’impact toxicologique des métaux sur les milieux aquatiques.

A l’instar de la plupart des appareils actuels utilisés pour des mesures dans des milieux aquatiques, les sondes mises au point dans le cadre des recherches de Marylou Tercier-Waeber permettent d’analyser les caractéristiques physico-chimiques du milieu: pH, température, proportion d’oxygène dissous, conductivité, salinité, turbidité, taux de chlorophylle A.

Ce qui fait leur spécificité, c’est la présence de capteurs chimiques miniaturisés permettant de détecter simultanément des traces de cuivre, de plomb, de cadmium et de zinc – et peut-être bientôt de mercure et d’arsenic – même à des concentrations extrêmement faibles de l’ordre de quelques dizaines de pico-gramme par litre (soit 10-12 grammes par litre). Mieux: ces sondes permettent de distinguer les diverses formes chimiques sous lesquelles ces métaux peuvent se rencontrer. Et ce grâce à l’intégration au système de techniques analytiques miniaturisées permettant d’effectuer in situ des étapes de séparation, pré-concentration ou dissolution chimiques.

«La difficulté, c’est que dans l’eau, les métaux sont répartis sous différentes formes, dont la proportion dépend des conditions physico-chimiques du milieu, explique Marylou Tercier-Waeber. Ces formes n’ont pas toutes le même potentiel toxique. Ce qu’on appelle la fraction dynamique (soit les formes libres et labiles qui mesurent quelques nanomètres) peut être potentiellement assimilée par les organismes et représente par conséquent le plus grand risque en termes d’écotoxicité. En revanche, une partie des métaux va également se fixer sur divers colloïdes et particules, ce qui va la rendre plus inerte et donc moins nocive. C’est un aspect que les mesures traditionnelles, basées sur la concentration totale des métaux lourds, ne permettent pas de prendre en compte.» L’information est pourtant précieuse puisqu’une variation de pH due aux processus biologiques de photosynthèse et de respiration peuvent suffire à modifier l’état chimique de certains métaux et donc leur impact sur l’environnement.

Coûts réduits

L’autre grand avantage des sondes développées par Marylou Tercier-Waeber, c’est qu’elles sont beaucoup moins chères et moins lourdes d’utilisation que les méthodes traditionnelles. Jusqu’ici en effet, pour obtenir le même type de données, il fallait procéder à des collectes d’échantillons puis les traiter et les analyser dans un laboratoire équipé d’une salle blanche et d’instruments analytiques spécifiques tels qu’un spectromètre de masse, dont le coût avoisine à lui seul les 200 000 francs. Cela sans compter des chercheurs qualifiés, l’utilisation de produits de grande pureté pour le nettoyage du matériel et de gaz rare pour les analyses.

«Le coût commercial d’une de nos sondes est de l’ordre de 35 000 francs, explique Marylou Tercier-Weaber. Par ailleurs, une fois déployé dans l’eau, le dispositif permet d’effectuer des mesures autonomes en surface ou à différentes profondeurs, à intervalle d’une heure, selon un cycle préprogrammé. Cela quasiment sans maintenance pendant un mois, ce qui correspond à la durée de vie des capteurs.»

De manière tout à fait classique, ces nouveaux outils peuvent être immergés à partir d’un bateau ou d’infrastructures fixes. Mais ils peuvent également être déployés de manière automatique à partir de systèmes autonomes, tels que le kayak mis au point par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer Brest). Un engin qui peut soit être télécommandé sur le point de déploiement, soit suivre un parcours préprogrammé.

Des applications multiples

Plusieurs solutions sont également possibles pour la transmission des données. S’il est nécessaire de couvrir de très grandes distances, les informations peuvent être envoyées vers une station côtière à l’aide d’un téléphone cellulaire ou par satellite, ce qui reste toutefois relativement coûteux. A plus petite échelle, le signal peut également transiter par un réseau de bouées équipées de nœuds de communication miniaturisés développés par le Centre suisse d’électronique et de microtechnique de Neuchâtel (CSEM) et fonctionnant par ondes radio sur une distance allant jusqu’à 600 mètres, Dans l’idée d’augmenter l’autonomie du réseau, l’Imperial College de Londres étudie actuellement la possibilité de produire des systèmes accumulant l’énergie générée par le mouvement des vagues, le flux des masses d’eau ou le vent.

Testées en milieu marin côtier, mais également dans des estuaires, des rivières, des lacs ou des eaux souterraines dans le cadre de différents projets européens, ces nouvelles sondes submersibles ont apporté la preuve de leur efficacité aussi bien en milieu salin qu’en eau douce. Quant aux applications futures, elles sont légion. Outre leur utilité pour mieux comprendre les cycles bio-géochimiques des métaux lourds dans les milieux aquatiques, ainsi que leur propagation et leur devenir, elles peuvent également permettre de repérer de façon précoce de nouvelles pollutions ou de surveiller plus efficacement et à moindres frais certaines zones particulièrement exposées à ce type de contamination. «Dans les régions qui ont connu une importante activité minière, de nombreux déchets contenant des métaux lourds ont été dispersés dans la nature, remarque Marylou Tercier-Waeber. Dans certains cas, on sait où se trouvent ces déchets, mais le plus souvent, leur trace a été perdue, ce qui constitue un danger potentiel à chaque événement pluvieux majeur. Grâce à nos appareils, il est tout à fait possible de remonter rapidement à la source de la pollution et de circonscrire les zones concernées.»

A plus ou moins long terme, les sondes développées pourraient également être adaptées à la recherche d’autres types d’éléments que les métaux lourds. Techniquement parlant, il est en effet tout à fait imaginable de concevoir des capteurs permettant la détection électrochimique d’éléments inorganiques ou organiques comme les phosphates, les nitrates, les sulfates, les résidus pharmaceutiques ou les pesticides, voire la teneur en méthane ou CO2 dans les eaux. Enfin, les capteurs actuels, permettant d’effectuer des mesures directes dans les milieux complexes, pourraient également être profitables au domaine bio-médical pour détecter une contamination par les métaux lourds dans le sang ou dans l’urine.

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