Campus n°105

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n°105 septembre-novembre 2011
Perspectives | Rajna Gibson Brandon

Ces agences de notation qui font trembler les Etats

Rajna
Rajna Gibson Brandon, professeure au Geneva Finance Research Institute de l’Université de Genève, analyse l’impact des agences de notation sur la politique et l’économie mondiales

En faisant chuter la note de la Grèce, en abaissant celle des Etats-Unis puis celle du Japon, les agences de notation Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch semblent souffler le chaud et le froid sur les marchés et dans les capitales. Qui sont ces gens?

Rajna Gibson Brandon: L’idée des agences de notation est de réaliser une évaluation aussi objective que possible de la capacité et de la solidité financières d’un débiteur. Les notes informent les investisseurs des risques qu’ils prennent en achetant, par exemple, des obligations de tel ou tel pays. La première de ces agences, Standard & Poor’s, existe depuis 1860. Créées historiquement pour évaluer le risque de défaut des entreprises ferroviaires, les agences de notation se sont, par la suite, aussi intéressées aux Etats. Ce qui est nouveau, c’est qu’au lieu de dégrader la note de pays émergents, comme elles le faisaient dans le passé sans créer de remous excessifs, c’est à celle des pays développés qu’elles s’attaquent, indiquant par là que leur qualité en tant que débiteurs se détériore.

Comment cette note est-elle calculée?

Les agences tiennent compte de critères financiers, économiques et politiques qu’elles pondèrent ensuite. Le résultat de leurs calculs et de leurs concertations internes se traduit par une probabilité que leur «client» se retrouve en défaut de paiement. Selon le barème utilisé par Standard & Poor’s, cette probabilité est proche de 0 pour la note AAA et de 100% pour D.

Peut-on évaluer un pays comme on le ferait pour une entreprise?

Les pays ne sont pas soumis aux mêmes conditions qu’une entreprise. Il faut tenir compte de la capacité de l’Etat à rembourser sa dette mais aussi de sa volonté politique à le faire. On entre alors dans des appréciations plus subjectives telles que la qualité de la structure légale d’un Etat, le taux de corruption, ou, dans le cas des Etats-Unis, le processus politique devant aboutir à la maîtrise de la dette publique.

C’est-à-dire?

Quand les agences ont averti qu’elles risquaient de baisser la note des Etats-Unis, ce n’était pas parce que le risque de défaut de paiement du pays s’était accru. Mais plutôt parce qu’elles doutaient du fait que les politiciens parviennent à se mettre d’accord pour réduire leur dette ce qui, à terme, risque de devenir intolérable. Cela dit, les marchés avaient déjà anticipé les conséquences de ce manque de consensus politique. Lorsque Standard & Poor’s a fait passer la note du pays de AAA à AA, cela n’a eu qu’un impact mineur sur les cours des obligations émises par le gouvernement américain.

Un pays qui a une mauvaise note voit le taux d’intérêt de ses emprunts monter. Pourquoi?

L’octroi d’un prêt est basé sur l’évaluation des risques et en particulier du risque de défaut de l’émetteur. La règle est élémentaire: plus le risque est élevé, plus le taux d’intérêt assorti au prêt l’est aussi. Et l’indicateur le plus simple en la matière est celui fourni par les agences de notation. Du coup, tout le monde l’utilise et il représente la base de nombreuses réglementations financières. Dans le cas des banques ou des compagnies d’assurances, par exemple, le capital légal qu’elles doivent détenir pour faire des affaires ou disposer d’un coussin de sécurité est fonction des évaluations de ces agences. Dans le cas de la détention pour compte propre d’une obligation, les réglementations bancaires prévoient le montant qu’il faut provisionner en fonction de la note du pays concerné. Les banques centrales, elles aussi, évaluent le risque qu’elles prennent dans leurs transactions sur la base de ces notes.

Tout le monde fait donc confiance à ces trois seules agences?

Oui. Il en existe d’autres mais seules ces trois-là ont une vocation mondiale. L’agence chinoise, Dagong, n’a pas encore réussi à percer. Il existe des velléités d’en créer une supranationale en Europe, mais cela ne s’est pas encore concrétisé.

Ne peuvent-elles pas se tromper?

Elles ne sont pas infaillibles. On l’a vu notamment avec la crise des subprimes en 2008. Jusqu’au dernier moment, elles avaient donné d’excellentes notes à des instruments financiers qui étaient en réalité beaucoup plus risqués et dont la chute a précipité le monde dans la tourmente économique. Ce n’est qu’un exemple du danger de conflit d’intérêts qui existe dans ce système. Ce sont en effet les entreprises émettrices qui paient les agences de notation pour qu’elles évaluent leurs propres produits.

Les agences n’aggravent-elles pas la situation des pays déjà en difficulté en faisant grimper les taux d’intérêt?

En réalité, elles jouent le rôle de garde-fous en obligeant les pays à se discipliner afin de conserver une bonne note et, ainsi, une bonne réputation, ce qui est essentiel sur les marchés financiers. Au fond, il n’existe pas de garantie qu’un Etat rembourse ses dettes. La réputation de l’Etat souverain est donc une arme précieuse dont disposent les créanciers pour protéger leurs prêts. Et cette note joue le rôle d’un signal d’alarme: un mauvais score rend tout nouvel emprunt plus problématique et plus onéreux.

Propos recueillis par Anton Vos