Campus n°107

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n° 107 février-mars 2012
Recherche | Biologie

Télomères, fin et suite

Les extrémités des chromosomes, très vulnérables, nécessitent un mécanisme de protection spécial. Une armada de protéines se chargent de les rallonger si besoin, de leur tisser un capuchon et même, dans certains cas, de couper une alarme cellulaire dont les conséquences seraient dramatiques pour la cellule

David Shore est un spécialiste de la fin des chromosomes. Non pas de leurs ultimes instants d’existence mais de leurs extrémités physiques, baptisées télomères. Le professeur au Département de biologie moléculaire (Faculté des sciences) étudie depuis un peu plus de vingt ans ces régions qui, de par le fait qu’elles «terminent» les longs morceaux de double hélice d’ADN, sont particulièrement vulnérables. Leur position les expose en effet à deux risques majeurs: l’érosion qui peut entraîner la mort de la cellule – parfois programmée, d’ailleurs, mais pas toujours – et le fait d’être confondu avec une vulgaire cassure accidentelle du chromosome qu’il faut immédiatement réparer – ce qu’il faut éviter à tout prix.

Dans un article paru dans la revue Nature Structural and Molecular Biology, David Shore, professeur, et Cyril Ribeyre, assistant aux Département de biologie moléculaire et Pôle de recherche national Frontiers in Genetics, dévoilent quelques rouages supplémentaires de ce mécanisme de protection des télomères tel qu’il se manifeste dans la levure du boulanger (et du brasseur), Saccharomyces cerevisiae.

Génome linéaire

Tous les organismes eucaryotes (c’est-à-dire qui ont un noyau cellulaire, dont font partie les plantes, les champignons et les animaux) possèdent des chromosomes terminés par des télomères. Concrètement, leur contenu génétique est assez monotone: il est constitué d’un très grand nombre de répétitions (entre des centaines et des milliers de fois selon les espèces) d’une petite séquence de paires de base. Chez l’être humain, cette séquence est TTAGGG, chez la levure, qui a divergé un peu lors de l’évolution, il s’agit de TG, TGG ou encore TGGG. Les lettres correspondent aux quatre nucléotides, l’adénosine (A), la guanine (G), la thymine (T) et la cytosine (C), qui forment la base du code génétique

Les bactéries, elles, en sont dépourvues pour la bonne raison que leur génome n’est pas rangé sous une forme linéaire mais circulaire. Il ne présente donc pas de début ni de fin. Il semble qu’au cours de l’évolution, le support du code génétique ait à un certain moment «brisé le cercle» et soit devenu linéaire. Cette nouvelle configuration a probablement permis un allongement de l’ADN et, par conséquent, l’apparition d’organismes plus complexes. Mais l’apparition des télomères a aussi posé de nouveaux problèmes techniques.

L’un d’eux concerne le système de réparation de l’ADN. Le code génétique étant la partie la plus sensible des cellules, il doit absolument demeurer intact, surtout lors de la division cellulaire. La nature a donc mis en place une armada de protéines destinées à contrôler continuellement l’interminable double hélice, à détecter les défauts et à les réparer le plus vite possible.

Pour ce système de surveillance, les extrémités des chromosomes sont automatiquement assimilées à des cassures. Si on le laissait faire, il recollerait tous les chromosomes bout à bout, avec des conséquences fatales pour l’organisme concerné. Pour contrer cette menace, les télomères se couvrent d’une sorte de capuchon protéique.

Il y a vingt ans, David Shore découvre chez la levure un premier composant capable de se fixer sur la séquence répétitive des télomères de Saccharomyces cerevisiae. Il s’agit de la protéine Rap1 qui devient le premier composant connu du capuchon. Sa découverte lui vaut d’ailleurs les honneurs d’une publication dans la revue Science du 26 octobre 1990. Des recherches postérieures montrent que Rap1 n’agit en réalité pas seul mais qu’il recrute pour l’aider deux acolytes, Rif1 et Rif2.

Erosion inévitable

Ce trio de protéines ne se contente toutefois pas de protéger les extrémités des chromosomes. Il est également impliqué dans leur rallongement. En effet, un autre problème posé par l’apparition des télomères est leur érosion inévitable causée par le mécanisme de la division cellulaire. Chez la levure, les extrémités perdent ainsi quatre ou cinq paires de base lors de chaque cycle (celles des êtres humains en égarent des centaines). Si rien n’est fait pour contrer cette érosion, après 50 ou 100 divisions, les télomères, devenus trop courts, ne peuvent plus fabriquer de capuchon. Et la cellule meurt.

Cette apoptose est voulue et même programmée dans les cellules dites somatiques, c’est-à-dire la grande majorité de celles qui composent les organismes multicellulaires. Celles-ci se divisent donc jusqu’au maximum de la capacité de leurs télomères puis sont éliminées et remplacées par de nouvelles. Le dysfonctionnement de la mort cellulaire programmée est d’ailleurs la cause d’un certain nombre de cancers, les cellules devenues «immortelles», proliférant sans plus aucun contrôle démographique.

En revanche, en ce qui concerne les êtres unicellulaires, dont font partie la levure, ainsi que les cellules souches et germinales des organismes supérieurs, une telle limite dans le nombre de divisions possibles signifierait la fin rapide de l’espèce.

«La parade est très subtile, explique David Shore. Nous avons découvert, chez la levure toujours, que c’est la longueur du télomère qui, lorsqu’elle passe sous un certain seuil, déclenche un mécanisme de rallongement. Ce dernier n’est évidemment pas capable de compter les paires de bases restantes au bout des chromosomes. Il est en réalité enclenché par le fait que plus un télomère est court, plus il est difficile de fabriquer un capuchon. Du coup, la protection diminue sensiblement et d’autres molécules peuvent momentanément se fixer sur les extrémités. L’une d’elles est la télomérase, une enzyme dont une des fonctions est justement de rallonger les télomères. Et c’est lors de cette phase de restauration que Rif1 et Rif2 sont massivement mis à contribution pour retisser le capuchon aussi vite que possible.»

Il se trouve finalement que les deux Rif ont une fonction supplémentaire. En temps normal, lorsque apparaît une cassure sur un chromosome, la levure sonne l’«alarme générale» (le check-point) dont la conséquence est de bloquer le processus de division cellulaire jusqu’à ce que la réparation soit effective. Lorsque les télomères sont très courts et le capuchon de protection moins efficace, le risque existe que cette alarme soit allumée par erreur et qu’elle lance le système de réparation de l’ADN dans le but de recoller entre eux les télomères assimilé à tort à des cassures. Dans leur dernière livraison, David Shore et Cyril Ribeyre montrent qu’à ce moment très délicat, Rif1 et 2 non seulement tricotent un capuchon tout neuf mais encore maintiennent le système d’«alarme générale» en sourdine.

Le récit des tribulations des télomères dans les noyaux cellulaires commence donc à se compléter petit à petit bien qu’il reste encore de nombreuses zones d’ombre. Les travaux du chercheur genevois sont de l’ordre de la science fondamentale et les applications médicales ne sont, pour l’instant, pas claires. Il est vrai également que les découvertes réalisées sur des levures ne sont pas simplement transposables à l’être humain. Il n’en reste pas moins que ce sont, en gros, les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre. Et bien que les deux espèces soient éloignées l’une de l’autre par des centaines de millions d’années d’évolution, il est possible d’établir des parallèles entre elles. Il convient d’ailleurs de rappeler que près du quart du patrimoine génétique de la levure (6275 gènes répartis sur 16 chromosomes) possède un équivalent chez l’être humain.

Anton Vos