Campus n°119

L’Atmosphère des exoplanètes, Le prochain Graal

L’étude des atmosphères des exoplanètes pousse les instruments de mesure actuels à la limite de leurs performances. Objectif : la recherche de vie extraterrestre

Il ne faut pas se leurrer : la chasse aux exoplanètes cache à peine une autre quête, encore plus impérieuse, celle de la vie extraterrestre. Depuis 1995 et la découverte de 51Peg (lire en page 23), le nombre théorique de systèmes planétaires présents dans la galaxie est devenu si gigantesque (des dizaines de milliards) que les astronomes estiment désormais que plusieurs d’entre eux renferment forcément d’autres mondes évoluant dans des conditions favorables à l’éclosion de la vie telle qu’on la connaît sur Terre. L’écrasante majorité d’entre eux se situe probablement hors de portée des télescopes humains. Mais peut-être pourra-t-on en dénicher quelques-uns malgré tout…

Le Pôle de recherche national (PRN) PlanetS a en tout cas l’ambition de contribuer à cette quête. L’un de ses projets, dirigé par Francesco Pepe, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences), est consacré à l’étude de l’atmosphère des planètes extrasolaires. Leur composition chimique peut en effet renseigner sur les conditions physiques qui y règnent et, en associant ces données aux informations concernant la masse de la planète et sa distance à l’étoile, fournir des indices sur son habitabilité.

Photographie directe Les premières analyses d’atmosphères d’exoplanètes ont commencé à être publiées depuis quelques années. Il s’agit pour l’instant de géantes gazeuses équivalentes à Jupiter ou plus massives. Elles ont la particularité soit d’avoir été photographiées directement, soit de transiter devant leur étoile. A ce jour, les astronomes pensent avoir détecté sur ces planètes la présence de monoxyde de carbone (CO), de gaz carbonique (CO2), de sodium (Na) ou encore d’eau (H2O). Certaines annonces font même part de méthane (CH4). C’est une étape importante, car il s’agit de la plus simple molécule organique et elle représente une des signatures possibles du vivant.

«La question de savoir quelle doit être la signature d’une atmosphère abritant des formes de vie n’est pas encore résolue, note Francesco Pepe. Si l’on se base sur ce que l’on connaît, il faut d’abord de l’eau. L’ozone (O3), à savoir de l’oxygène non lié au carbone, est sur Terre un produit indirect de la vie végétale. Si l’on détecte ce composé sur d’autres planètes, cela pourrait représenter un indice important, au même titre que le méthane. Cela dit, on ignore encore quel profil chimique précis prouverait la présence de la vie sur une autre planète. Ce n’est d’ailleurs pas notre travail mais celui des exobiologistes. Nous, les astronomes, sommes en mesure, notamment grâce aux moyens dont nous disposons désormais avec le PRN PlanetS, d’apporter nos observations et de développer des modèles théoriques de formation planétaire capables d’expliquer ce que l’on mesure. Et c’est une pièce importante du puzzle.»

L’analyse des atmosphères d’exoplanètes exige des mesures d’une très grande précision. L’idée consiste à obtenir le spectre électromagnétique de ces couches de gaz, c’est-à-dire la composition spectrale de la lumière qui les traverse. Cela est possible lorsque la planète passe devant son étoile mère mais aussi lorsque, vue depuis la Terre, elle est à côté et que sa surface soit émet son propre rayonnement infrarouge si elle est assez chaude, soit reflète suffisamment les rayons stellaires pour être détectable comme une source ponctuelle.

Le signal récupéré par les télescopes est ensuite décomposé par un spectrographe. Cette opération fait apparaître des «raies d’absorption», c’est-à-dire des creux dans la courbe d’intensité, qui correspondent à des éléments ou des composés chimiques qui absorbent la lumière à ces longueurs d’onde. La profondeur des raies et leur largeur permettent d’estimer la température et la vitesse de rotation de l’astre étudié.

Il faut cependant être capable de séparer le signal propre à la planète de celui, très envahissant, provenant de l’astre lumineux. Et c’est là que les choses se corsent. Plusieurs techniques sont possibles, mais elles reviennent en général à soustraire le signal de l’étoile à celui qui cumule les contributions de la planète et de l’étoile. En d’autres termes, il s’agit de soustraire deux grands nombres, une opération aboutissant à un tout petit résultat qui, s’il veut signifier quelque chose, doit dépasser le niveau du bruit statistique.

«Nous sommes à la limite de ce que les instruments actuels peuvent accomplir, estime Francesco Pepe. Nos télescopes ne sont pas assez grands, il n’y a pas assez de lumière en provenance des planètes et la résolution spectrale n’est pas toujours suffisante pour faire beaucoup mieux. Du coup, les astronomes se retrouvent souvent confrontés à des données ambiguës ou dégénérées qui ne permettent pas de choisir entre les différents modèles théoriques à notre disposition.»

Structures exotiques L’un des volets du projet atmosphère de PlanetS consiste justement à élaborer ce genre de modèles. Une équipe de quelques chercheurs se consacre déjà à imaginer les structures possibles de planètes. Géantes gazeuses, planètes telluriques, atmosphère composée d’hydrogène, hélium, d’eau, de CO2, ou autre : les paramètres sont nombreux. La limite entre l’atmosphère gazeuse et une surface liquide ou solide pourrait également ne pas s’avérer aussi brutale que sur Terre. Selon la composition, la température et la pression, il pourrait exister des mélanges de structures d’atmosphères bien plus exotiques que sur Terre.

La composition d’une planète dépend aussi de son histoire au sein du système qui l’a vu naître, des régions où elle a accumulé de la matière (loin ou proche de l’étoile) et de l’endroit où elle se trouve actuellement. Ce domaine est la spécialité de l’équipe bernoise dirigée par Willy Benz (lire en page 30).

Bref, pour chaque modèle, les chercheurs calculent le spectre électromagnétique qu’il devrait produire. Et c’est cette courbe qu’ils comparent ensuite aux observations.

L’une des premières exoplanètes à s’être prêtées à l’étude de son atmosphère est HD 209458 b qui transite devant son étoile (lire en page 28). Les astronomes y ont trouvé du sodium, du monoxyde de carbone (CO), de la vapeur d’eau et du méthane.

Disque de poussière Dans le cas de Bêta pictoris b, une des premières exoplanètes découvertes par imagerie directe en 2008, des astronomes néerlandais ont choisi une autre technique. En soustrayant le signal de l’étoile, autour de laquelle se trouve d’ailleurs encore un disque de poussières, ils ont fait apparaître le faible spectre de la planète dont ils ont pu analyser l’émission lumineuse dans l’infrarouge. Ils ont ainsi déterminé sa masse (huit fois celle de Jupiter), sa distance (cinq fois la distance Terre-Soleil) et la présence de monoxyde de carbone. La largeur des raies a même permis de déterminer une vitesse de rotation de la planète à l’équateur 50 fois plus grande que celle de la Terre.

L’équipe genevoise pense, quant à elle, avoir détecté des empreintes indubitables de différents éléments chimiques et de molécules dans l’atmosphère de planètes géantes. Ce résultat a été obtenu à l’aide du spectrographe HARPS (lire en page 38) installé sur le télescope de 3,6 mètres de diamètre de l’ESO (Observatoire européen austral) à La Silla au Chili.

«On ne pensait pas qu’il était possible d’y arriver avec des télescopes aussi petits depuis le sol et dans le domaine de la lumière visible, précise Francesco Pepe. Si nos résultats se confirment, c’est un premier pas. Et un titre honorifique supplémentaire pour le fleuron de nos instruments qu’est HARPS. Ce dernier est tellement précis et stable que l’on peut tirer des informations fiables jusque sur la forme et la largeur des raies spectrales qu’il mesure. Jusqu’à récemment, on a systématiquement réduit les données qu’il produit afin de pouvoir calculer le seul paramètre qu’est la vitesse radiale de l’étoile. Maintenant, on ouvre les spectres, dont ceux que l’on a déjà mesurés jusqu’ici, et on analyse leur contenu plus en détail.»

Francesco Pepe participe aussi au développement des spectrographes du futur qui serviront à améliorer l’étude des atmosphères d’exoplanètes. Il est ainsi impliqué dans la conception d’ESPRESSO, de SPIROU et d’un appareil qui devrait être installé au début des années 2020 sur le E-ELT (European Extremely Large Telescope) au Chili (lire également en page 38).