Campus n°131

Genève convoite avec prudence les calories de son sous-sol

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La chaleur présente sous la surface constitue un potentiel énergétique considérable. Le canton, qui bénéficie de conditions géologiques favorables, aimerait bien exploiter cette manne en forant à grande profondeur avec l’aide des chercheurs de l’Université.

Le territoire genevois est une ressource limitée, tiraillée entre des intérêts parfois divergents. Le sous-sol du canton, lui, n’a pas ce problème. Mis à part les gravières et les nappes phréatiques proches de la surface ainsi que quelques traces inexploitables d’hydrocarbures, il n’a jamais rien révélé de très précieux. Si ce n’est de la chaleur. Sous Genève, en effet, la température augmente un petit peu plus rapidement qu’ailleurs à mesure que l’on s’enfonce sous terre et cette caractéristique, si elle est combinée à une configuration géologique favorable, pourrait bien autoriser le développement d’une ou plusieurs centrales géothermiques capables de produire de l’électricité et couvrir, selon les estimations, les deux tiers des besoins en chaleur du canton. Une telle source d’énergie serait pour le moins la bienvenue à l’heure où la Suisse a décidé de sortir du nucléaire et où la menace des changements climatiques pousse les collectivités publiques à trouver rapidement des alternatives aux énergies fossiles.
Tel est en tout cas l’objectif de Géothermie 2020. Piloté par l’État de Genève et les SIG (Services industriels de Genève), en collaboration avec l’Université de Genève qui est chargée du volet scientifique, ce projet a débuté en 2014 et devrait culminer en 2020 avec l’exploration d’une série de puits de géothermie hydrothermale de moyenne profondeur (environ 2000 mètres). Après cela, si tout se passe bien et que les conditions géologiques le permettent, des sondes plus profondes permettant de produire de l’électricité seront envisagées. En attendant, une étape clé a été franchie cet automne avec un premier forage à 800 mètres de profondeur réalisé à Satigny, une opération indispensable pour préciser les connaissances sur le sous-sol genevois et qui sera suivie par d’autres du même type durant les deux ou trois années à venir.
« Le projet de géothermie à Genève est conduit de manière très prudente, explique Élias Samankassou, maître d’enseignement et de recherche au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences) et l’un des trois chercheurs représentant l’UNIGE au sein de Géothermie 2020. L’État et les SIG ont décidé de commencer par un forage de faible profondeur suivi par d’autres de moyenne profondeur et de finir, lorsque la connaissance du sous-sol sera suffisante, avec un forage à plus de 4000 mètres. C’est assez malin. En procédant par étapes, peut-être éviterons-nous l’échec à l’image de ce qui est arrivé ces dernières années à Saint-Gall et à Bâle. »
Le projet de centrale géothermique saint-gallois a en effet été stoppé en 2014 en raison de débits d’eau chaude insuffisants mais aussi à cause du manque d’investisseurs. Quant à celui de Bâle, il a été abandonné à la suite d’une série de séismes (le plus puissant ayant atteint une magnitude 3,4 en décembre 2006) provoqués par l’injection d’eau sous pression dans le puits mesurant plus de 5000 mètres de profondeur. La ville rhénane, qui a connu une destruction massive en 1356 à la suite d’un tremblement de terre d’une magnitude estimée à 6,5, a préféré ne pas tenter le diable.
« Le projet genevois, de son côté, bénéficie d’une volonté politique forte en faveur de la géothermie et d’un partenaire solide, les SIG, qui disposent des moyens d’investir dans ce programme dont le budget est tout de même estimé à 100 millions de francs », précise Élias Samankassou.
Pour évaluer en temps réel le risque de sismicité induite, qui est toujours latent dans ce genre de travaux, un réseau particulièrement dense de géophones (des capteurs permettant l’enregistrement des vibrations sismiques au travers du sol) a été installé au cours des dernières années dans tout le canton et même en France voisine par Matteo Luppi, professeur au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences) et son équipe. Ces instruments, souvent placés chez des particuliers, sont inclus dans le système de surveillance de l’activité sismique de la Suisse.
Au-delà de ces précautions indispensables, c’est dans le sous-sol que se trouve la clé du succès du projet Géothermie 2020. Les géologues ont depuis longtemps une idée approximative de la structure souterraine du bassin genevois. Les couches sédimentaires, qui suivent un plan légèrement incliné, remontent en effet en direction du nord-ouest et affleurent presque toutes sur les flancs et les crêtes du Jura. C’est ainsi que l’on sait que sous les restes du quaternaire (la dernière période géologique avant le présent) on trouve successivement, et dans l’ordre chronologique inverse, la molasse datant du tertiaire, les couches datant du Crétacé, du Jurassique puis du Trias qui ont vu évoluer les dinosaures, celles du Carbonifère et du Permien puis enfin le « socle » cristallin, c’est-à-dire la croûte terrestre proprement dite.
Quelques rares forages effectués dans la région offrent eux aussi des indications précieuses sur les caractéristiques des roches. L’un d’eux, creusé à Thônex en 1993, atteint 2690 mètres de profondeur et permet de fixer les hauteurs des couches géologiques à cet endroit. Il existe une poignée d’autres puits, essentiellement en France voisine, autour du Salève qui donnent quelques informations supplémentaires.
Plus récemment, deux campagnes d’exploration sismique ont été réalisées en 2014 et 2015 dans le cadre du projet Géothermie 2020. Cette technique géophysique utilise des camions-vibreurs pour envoyer dans le sous-sol des ondes de pression qui sont partiellement réfléchies par les couches sédimentaires successives. Des géophones judicieusement placés enregistrent les signaux qui remontent. L’analyse de ces données permet ensuite de reconstituer en trois dimensions le mille-feuille géologique du bassin genevois, y compris l’ensemble des failles qui le traversent à de nombreux endroits.
Le professeur Andrea Moscariello et ses étudiants ont ainsi pu élaborer un premier modèle de la structure du sous-sol genevois. « Le problème, c’est que cela reste partiellement théorique, explique Élias Samankassou. Il est indispensable de recourir aux forages pour pouvoir caler les hauteurs des couches géologiques et, surtout, déterminer les caractéristiques des roches profondes telles que leur porosité, leur perméabilité, leur teneur en eau ou encore la température de cette dernière. Autant de données essentielles en vue d’une exploitation géothermique. »
La configuration idéale est la présence d’une couche profonde, qui soit poreuse, perméable et qui contienne de l’eau circulant avec un certain débit et véhiculant la chaleur horizontalement. Il faut également la présence de failles qui sont essentielles pour alimenter les profondeurs en eau grâce au ruissellement depuis la surface.
Le forage de Satigny, qui vient d’être achevé, est justement situé sur l’intersection de deux failles importantes. Le puits a traversé la molasse et a touché les premières couches du Crétacé. Pour ce premier trou, les techniciens n’ont extrait aucune carotte que les géologues auraient pu analyser. Cela aurait multiplié par six ou dix le prix de l’opération et considérablement rallongé le travail. Les scientifiques ont toutefois pu récupérer les débris de roches qui remontent à la surface en même temps que les boues de la foreuse. L’estimation de la position d’origine de ces échantillons est imprécise, mais suffisante pour en tirer des informations utiles. Les chercheurs ont également la possibilité d’envoyer des sondes dans le trou pour mesurer différents paramètres physiques et chimiques des roches.
Même s’il n’est qu’exploratoire, ce puits de Satigny pourrait, selon les résultats, déboucher sur une première exploitation thermique. Il semblerait qu’il existe déjà un gradient de température intéressant au sein de la couche molassique. De l’eau à une quinzaine de degrés pourrait suffire, avec le coup de pouce d’une pompe à chaleur, à produire de la chaleur en hiver tout en fournissant de la fraîcheur durant l’été.