Campus n°131

Eclairs et tremblements dans l’«espace-temps»

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La collision et la fusion de deux étoiles à neutrons dans l’univers profond ont généré simultanément une onde gravitationnelle et un sursaut gamma. Les deux signaux ont mis 120 millions d’années à parvenir sur Terre et à être détectés par des interféromètres géants et des télescopes spatiaux.

Le 17 août 2017, à 14 h 41, LIGO, un interféromètre géant installé aux États-Unis, enregistre le passage d’une onde gravitationnelle. L’événement est déjà remarquable en soi. Mais ce n’est pas tout. À peine deux secondes plus tard, le télescope spatial FERMI de la NASA détecte un sursaut gamma, c’est-à-dire un flash électromagnétique très énergétique venu de l’espace profond. Cette coïncidence temporelle inédite met immédiatement la communauté des astronomes en alerte, en particulier au sein de l’Integral Science Data Center (ISDC) du Département d’astronomie (Faculté des sciences), situé à Ecogia près de Genève. Sans attendre, les chercheurs genevois passent en revue les données fournies par INTEGRAL, un satellite qui mesure lui aussi les rayons gamma. Il ne leur faut que quelques minutes pour découvrir le signal du sursaut gamma. À peine douze heures plus tard, le télescope spatial SWIFT, sensible aux ultraviolets, et des mesures effectuées dans l’infrarouge par le VLT (Very Large Telescope) au Chili permettent d’identifier une nouvelle source lumineuse dans la galaxie NGC 4993, située à 120 millions d’années-lumière de la Terre. Les derniers doutes s’envolent : tous ces appareils ont mesuré de manière indépendante le même événement : la collision et la fusion de deux étoiles à neutrons.
« Cette découverte est extraordinaire à plusieurs titres, s’enthousiasme Carlo Ferrigno, chercheur à l’ISDC et coauteur d’un des trois articles traitant du sujet parus le 16 octobre dans la revue Astrophysical Journal Letters. C’est la première fois que l’on mesure une onde gravitationnelle générée par la collision de deux étoiles à neutrons. Toutes les précédentes provenaient en effet de la fusion de trous noirs, des objets nettement plus massifs. C’est également la première fois que l’on mesure une onde gravitationnelle et un sursaut gamma provenant de la même source. Un coup de chance qui apporte la preuve que certains de ces mystérieux sursauts gamma, étudiés depuis maintenant soixante ans, peuvent être produits par la collision entre deux étoiles à neutrons. »

Ronds dans l’eau

Les ondes gravitationnelles représentent des perturbations de l’espace-temps provoquées par n’importe quel objet possédant une masse et soumis à une accélération. Elles se propagent dans le vide un peu comme les ronds dans l’eau mais en trois dimensions et à la vitesse de la lumière. L’existence de tels « tremblements d’espace-temps » a été prédite il y a un siècle par Albert Einstein sur la base de sa théorie de la relativité générale.
Les astronomes ont apporté une première confirmation indirecte de ce phénomène en 1975 grâce à l’étude de pulsars binaires. Ces systèmes de deux étoiles dont un des membres est une étoile à neutrons voient en effet leur énergie de rotation diminuer sensiblement dans le temps comme si celle-ci s’échappait sous forme d’ondes gravitationnelles. Un phénomène que prédit justement la théorie.
Il faut toutefois attendre septembre 2015 pour que survienne la première observation directe. Elle est l’œuvre de LIGO, un observatoire composé de deux interféromètres géants, l’un situé dans l’État de Washington et l’autre dans celui de Louisiane (voir infographie page 13).
« L’amplitude des ondes gravitationnelles est très, très faible, souligne Carlo Ferrigno. LIGO a été conçu pour pouvoir mesurer une variation mille fois plus petite que le noyau d’un atome. Cela revient à détecter une différence aussi ténue que l’épaisseur d’un cheveu (0,5 millimètre) par rapport à une distance aussi grande que celle qui sépare le Soleil de l’étoile la plus proche (Proxima du Centaure, 4,22 années-lumière). »

Flashs cosmiques

Les sursauts gamma, quant à eux, sont des phénomènes qui surviennent aléatoirement dans le ciel. Depuis la Terre, ils apparaissent comme des flashs de rayons gamma (photons très énergétiques) plus ou moins brefs (quelques secondes à quelques minutes). Quand les scientifiques ont réalisé que ces événements se déroulaient non pas dans notre galaxie mais à des distances beaucoup plus grandes, ils ont dû se rendre à l’évidence : il s’agit des explosions les plus puissantes de l’Univers, surpassant de loin les supernovae.
L’étude des sursauts gamma, commencée il y a plus de 50 ans, a connu une avancée décisive avec le satellite italien Beppo Sax dans les années 1990. Depuis, les astronomes ont recensé et analysé un grand nombre de ces événements. Les sursauts gamma ont pu être classés en différentes catégories selon les caractéristiques du flash initial et de l’émission rémanente. Cette dernière est visible plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans les domaines des rayons X, des micro-ondes, des ondes radio ou encore de la lumière visible. Pour alimenter les hypothèses permettant d’expliquer la survenue de tels cataclysmes cosmiques, il a fallu imaginer les événements les plus monstrueux possible : collisions d’étoiles à neutrons, explosions d’une étoile supergéante ou encore absorption d’une étoile géante par un trou noir.

Coupler les alertes

C’est justement dans l’espoir de confirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses que la communauté astronomique a décidé en 2013 de coupler les alertes générées par la détection de sursauts gamma (à l’aide de plusieurs satellites dont FERMI et INTEGRAL) avec celles enclenchées par la mesure d’une onde gravitationnelle (grâce à LIGO et VIRGO, un autre interféromètre construit en Italie près de Pise).
Dès le départ, les chercheurs misent sur la collision entre des étoiles à neutrons. Celle entre deux trous noirs, à l’origine des quatre ondes gravitationnelles mesurées à ce jour, ne provoque en effet théoriquement pas de sursauts gamma.
« Nous pensions devoir attendre une centaine de détections d’ondes gravitationnelles causées par la fusion d’étoiles à neutrons avant que ne survienne une première alerte simultanée, explique Volodymyr Savchenko, également chercheur à l’ISDC et premier auteur d’un des articles.
La grande surprise est venue du fait que la première était la bonne. »

Trois minutes avant l’impact

Ce fameux 17 août, le signal est mesuré par les deux interféromètres LIGO mais avec un petit décalage temporel entre celui de Louisiane et celui de l’État de Washington. Cette fraction de seconde de différence a permis, dans un premier temps, de déterminer approximativement la direction de la source quelque part dans la constellation de l’hydre.
La forme de l’onde montre une augmentation progressive de l’amplitude durant trois minutes avant d’atteindre un maximum et de disparaître rapidement. L’analyse de la courbe a ensuite fourni une première approximation des masses en présence, à savoir celles des étoiles à neutrons, et de la distance de la source.
« Les deux étoiles à neutrons se sont vraisemblablement rapprochées en se tournant autour de plus en plus vite, imagine Carlo Ferrigno. Dans les derniers instants avant l’impact, elles devaient être terriblement déformées, dans des conditions de chaleur et de densité inimaginables, jusqu’à s’effondrer et générer l’onde gravitationnelle. Le sursaut gamma, lui, a été produit deux secondes après selon un mécanisme lié à l’expulsion de matière mais qui reste encore à préciser. On ignore cependant sur quoi cette collision a débouché : une étoile à neutrons plus grosse ou un trou noir ? »
Quoi qu’il en soit, rapidement après la détection de l’onde et du flash, les télescopes du Chili, dont le VLT européen et le Grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama (ALMA), se sont dirigés vers la source supposée dans l’espoir d’enregistrer l’émission rémanente qui suit chaque sursaut gamma. Ils ont été accompagnés par des télescopes spatiaux tels que Swift (sensible au UV), Chandra, (rayons X) et Hubble (lumière visible).

La première « kilonova »

En moins de douze heures, trois groupes ont ainsi réussi à photographier le point lumineux apparu ce jour-là dans le ciel. C’est ainsi que les astronomes ont pu désigner avec précision la position de la source, c’est-à-dire dans la marge de la galaxie NGC 4993, située à 120 millions d’années-lumière.
L’analyse de l’émission rémanente dans la gamme du rayonnement ultraviolet, optique et infrarouge a, quant à elle, permis la première observation d’une « kilonova », c’est-à-dire le signal généré par la désintégration radioactive de métaux lourds qui ont été formés juste après la collision par l’absorption de neutrons, et qui ont été expulsés à une vitesse de 100 000 km / h par la force de l’événement.
Cette découverte est une bonne nouvelle pour INTEGRAL, ce satellite lancé en 2003 et dont le centre de collecte, d’analyse et de mise à disposition des données se trouve à Genève. Initialement prévu pour fonctionner cinq ans seulement, l’appareil a déjà vu son espérance de vie se rallonger jusqu’à 2018. Sa contribution essentielle à cette dernière découverte va peut-être convaincre les experts de l’Agence spatiale européenne (ESA) de lui accorder un éventuel sursis jusqu’en 2020. Quant aux observatoires d’ondes gravitationnelles LIGO et VIRGO, ils sont désactivés depuis fin août et seront remis en marche dans un an après une augmentation de leurs performances.

Anton Vos