Campus n°139

« Nous avons la tête dans les étoiles »

DO7_139.PNG

Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève, revient sur l’euphorie qui a suivi l’annonce du Prix Nobel de physique 2019. Une récompense qui honore deux chercheurs genevois mais aussi l’institution qu’il dirige.

«Nous avons la tête dans les étoiles mais les pieds bien sur Terre. » Yves Flückiger, recteur de l’UNIGE, ne cache pas sa joie à l’annonce du prix Nobel de physique 2019 obtenu par les professeurs Michel Mayor et Didier Queloz. Son souhait le plus cher est que la vague positive provoquée par cette nouvelle déferle encore longtemps sur l’institution qu’il dirige.
« Pour une université aussi polyvalente que celle de Genève, cet événement a un pouvoir fédérateur très puissant, commente-t-il. Collaborateurs, collaboratrices, étudiantes ou étudiants, ils sont nombreux à me confier leur fierté d’appartenir à la même institution que les deux lauréats. Ce sentiment d’appartenance compte beaucoup pour moi. Nous essayons d’ailleurs de l’entretenir sans cesse par des manifestations que nous organisons tout au long de l’année ou en identifiant les bâtiments dispersés dans la ville comme faisant tous clairement partie de l’UNIGE et de son campus urbain. Mais rien ne vaut un prix Nobel pour enthousiasmer et mobiliser notre communauté. »

Confiance

Cette distinction octroyée par l’Académie royale des sciences de Suède récompense aussi de fait le travail et la politique des institutions qui ont hébergé et financé les recherches des deux lauréats, à savoir l’Université de Genève et le Fonds national de la recherche scientifique, qui ont fait confiance à un programme de recherche dont elles ne savaient pas s’il allait aboutir un jour.
« Ce genre de recherches ne peuvent être financées que par des fonds publics, remarque Yves Flückiger. L’investissement qui a commencé dans les années 1970 a en effet mis des décennies avant de porter ses fruits. C’est beaucoup trop long et risqué pour le secteur privé, beaucoup plus orienté vers la recherche appliquée susceptible d’apporter des résultats sur un relativement court terme. »
Une fois n’est pas coutume, cette livrée du Nobel de physique récompense un professeur en même temps que son doctorant de l’époque. Une image qui a tout pour plaire au recteur de l’UNIGE puisqu’elle véhicule le symbole d’une relève réussie, seule garante véritable du développement à long terme de l’alma mater.
Tout aussi essentielle est la reconnaissance internationale qu’apporte ce double prix Nobel. Cette récompense si prisée suit de près la médaille Fields décernée en 2010 à Stanislav Smirnov, professeur à la Section de mathématiques (Faculté des sciences). Et elle va sans doute faire gagner quelques places supplémentaires à l’UNIGE dans les classements internationaux tels que celui de Shanghai.
« Nous sommes à la 58e place actuellement, 2e au niveau suisse, derrière l’École polytechnique fédérale de Zurich, note Yves Flückiger. J’espère que l’UNIGE gagnera plusieurs rangs l’année prochaine. Cela dit, ce n’est pas un objectif en soi. Je considère notre progression dans les rankings comme un des résultats de notre stratégie à long terme visant à offrir à nos collaboratrices et collaborateurs, à nos étudiants et étudiantes les meilleures conditions de travail possible et à miser sur la qualité de la recherche et de l’enseignement, toutes facultés confondues. »
L’un des objectifs de cette stratégie consiste à attirer et à fidéliser les chercheurs prometteurs parfois courtisés par des universités de renom, souvent anglo-saxonnes, dont les ressources matérielles sont de loin supérieures à celles de l’UNIGE. Cette politique remporte un certain succès comme l’illustre Didier Queloz lui-même. Recruté par l’Université de Cambridge qui lui a proposé de construire presque de zéro un Département dédié à la recherche des planètes extrasolaires, il a accepté de traverser la Manche mais a tenu à garder un pourcentage d’activités à l’UNIGE.

Pouvoir d’attraction

Le prix Nobel renforcera ce pouvoir d’attraction de l’UNIGE non seulement auprès des chercheuses et chercheurs, mais aussi aux yeux des étudiants du monde entier. « Une croissance qu’il faudra gérer au mieux car nous avons déjà vécu une augmentation très forte de l’effectif estudiantin cette année (4,5%), rappelle le recteur. Et nous voulons offrir de bonnes conditions d’études en termes de places dans les auditoires, d’accès aux enseignants, de logements, etc. »
Yves Flückiger insiste enfin sur la nécessité que l’effet d’entraînement dû au prix Nobel bénéficie à l’ensemble de la communauté de l’UNIGE, et pas seulement aux sciences naturelles valorisées par cette récompense et par les rankings internationaux. Il est essentiel de préserver le caractère polyvalent de l’institution et de continuer à se battre pour défendre toutes les disciplines.
« Ce n’est qu’en cultivant l’excellence dans l’ensemble des facultés de l’UNIGE que l’on peut faire surgir dans ses rangs une force interdisciplinaire capable d’affronter les plus grands défis du monde actuel que sont par exemple les bouleversements environnementaux ou les révolutions numériques de la société, précise-t-il. Ces thèmes sont complexes et demandent souvent des regards multiples et pas seulement techniques ou technologiques. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une université polyvalente telle que celle de Genève, qui est d’ailleurs la dernière de la sorte en Suisse romande. »
Quant aux éventuelles retombées politiques et financières du prix Nobel, nerf de la guerre, il est encore trop tôt pour en prendre la mesure. Une telle récompense au poids médiatique certain est aussi une fierté pour les collectivités locales et nationales qui investissent des montants importants pour soutenir le développement de l’université et de l’enseignement genevois en général.