Campus n°87

Dossier/obésité

Laissez les enveloppés tranquilles!

Selon la littérature scientifique, l’activité physique régulière est bénéfique pour la santé, même dans le cas où elle n’a aucun effet sur le poids. Manque d’exercice et surcharge pondérale sont donc des facteurs de risque indépendants

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L’exercice physique régulier diminue la mortalité et ce, indépendamment de l’indice de masse corporelle. En d’autres termes, la personne qui pratique tous les jours durant une demi-heure une activité dépensière d’énergie voit ses pronostics de vie s’améliorer notablement, alors même qu’elle pèse encore plusieurs kilos de trop par rapports aux normes médicales en vigueur. Cette constatation émane d’un article, paru dans la revue Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sport du mois de juin 2007, qui a réalisé un examen exhaustif de la littérature scientifique consacrée à ce sujet. «Ces résultats confirment la recommandation de ne pas forcément se focaliser sur le poids d’un patient un peu enveloppé, du moment qu’il pratique régulièrement de l’exercice, note Bengt Kayser, professeur à l’Institut des sciences du mouvement et de la médecine du sport. Les magazines vantant le dernier régime pour l’été représentent déjà une pression suffisamment importante (et dangereuse, ces régimes étant souvent malsains). Il n’est pas nécessaire que le corps médical en rajoute.»

Entre 30 et 50% moins de risques

Cet article a le mérite de clarifier les choses. D’un côté, l’obésité et la sédentarité augmentent tous deux les risques de morbidité (maladies cardiovasculaires, diabète de type II, cancer du côlon ou du sein, dépression, etc) et de mortalité prématurée. De l’autre, la perte de poids, certains régimes et l’exercice physique ont tous des résultats bénéfiques sur la santé. Cependant, les chercheurs ont longtemps tenté en vain de déterminer si l’activité physique exerce son effet positif par l’intermédiaire de la perte de poids ou de manière indépendante.

«L’importance clinique de cette question est évidente, écrit l’auteure de l’article, Bente Klarlund Pedersen, de l’Université de Copenhague. Cela permet de savoir, d’une part, si les gens maigres ont besoin d’exercice et, d’autre part, si l’exercice a un effet sur la santé des obèses, même dans les cas où il ne parvient pas à leur faire perdre du poids. […] Toutes les études que nous avons analysées indiquent que la condition et l’exercice physiques ont des effets indépendants du poids corporel sur la mortalité en général.»

Plus précisément, ces études épidémiologiques suggèrent que les individus physiquement actifs présentent entre 30 et 50% moins de risques que les personnes sédentaires de développer un diabète de type II ou des maladies coronariennes. «Chacun devrait pouvoir accumuler une activité physique d’intensité moyenne durant trente minutes chaque jour, souligne Bengt Kayser. Bien sûr, plus on en fait, plus les effets positifs seront importants. Mais attention aux excès: un programme d’entraînement intensif en endurance tel que la préparation à un marathon peut provoquer des blessures et le syndrome du surentraînement [baisse des performances, malgré un entraînement accru, en raison d’un manque de récupération].»

Sélectionnés pour grossir

Les caractéristiques génétiques les plus adaptées au mode de vie des chasseurs-cueilleurs ont été favorisées durant des millénaires. Dans le contexte actuel, elles prédisposent malheureusement au développement de l’obésité

Le développement épidémique de l’obésité actuelle n’a pas grand chose de surprenant si l’on compare les conditions de vie dans lesquelles l’être humain est apparu et celles qui prévalent aujourd’hui. L’homme de Cro-Magnon était en effet chasseur-cueilleur. Pour survivre, il devait être physiquement capable de parcourir de grandes distances afin de trouver sa pitance. En même temps, à chaque fois que cela était possible, il devait économiser ses réserves d’énergie – en stockant de la graisse et en minimisant ses efforts – en raison des inévitables périodes de disette. Ces contraintes imposées par l’environnement ont probablement favorisé, au cours du temps, la sélection des individus les mieux adaptés: ceux qui stockaient efficacement de l’énergie dans les tissus adipeux et dont l’organisme était optimisé pour pratiquer une activité physique soutenue et régulière entre deux moments de paresse.

Environnement inapproprié

Seulement, les choses ont changé. De rare, pauvre en calories et difficile d’accès, la nourriture est soudainement devenue, dans les pays industrialisés, abondante, riche et à portée de main. L’environnement a été bouleversé, mais le patrimoine génétique, lui, est resté inchangé. «Nos gènes sont en effet les mêmes que ceux des premiers hommes, explique Bengt Kayser, professeur à l’Institut des sciences du mouvement et de la médecine du sport. La différence, c’est qu’ils s’expriment désormais dans un environnement inapproprié.»

Le chercheur précise néanmoins que cette vision des choses (des gènes, choisis par l’évolution, programmant l’être humain pour stocker la graisse, exercer une activité physique quand les circonstances l’exigent et paresser dès que cela est possible) est un scénario probable et non une théorie scientifique dûment démontrée. Il est néanmoins soutenu par plusieurs observations.

Les plus explicites sont celles qui concernent les populations dont le mode de vie et le régime alimentaire ont récemment changé. Les groupes humains vivant aujourd’hui encore de la chasse et de la cueillette (Indiens d’Amazonie, Aborigènes d’Australie, Bushman d’Afrique du Sud, etc) sont ainsi connus pour leur grande vulnérabilité à l’obésité. Ils partagent cette caractéristique avec d’autres populations (habitants des îles du Pacifique, Amérindiens, etc) qui sont brusquement passées d’une diète maigre doublée d’une activité physique intense à un style de vie occidental.

La faute au mode de vie

A ce propos, les chercheurs se sont particulièrement intéressés aux Indiens Pima, une tribu séparée en deux par la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Le groupe du Nord a adopté un mode de vie plus occidental (sédentarité, alimentation riche) que celui du Sud (plus actifs et alimentation plus équilibrée). Une étude – parmi plusieurs autres – parue dans la revue Diabetes Care du mois d’août 2006, a mesuré que la prévalence du diabète de type II est cinq fois plus élevée chez les Indiens Pima en Arizona (38%) que chez les habitants dans la Sierra Madre mexicaine (6,9%). L’obésité est aussi nettement plus fréquente dans le Nord. Conclusion: malgré des dispositions génétiques également défavorables des deux côtés de la frontière, c’est le mode de vie qui détermine en grande partie le développement de l’obésité et des maladies qui lui sont associées.

Les gènes de l’obésité

La génétique a sa part de responsabilité dans la problématique de l’obésité. Certaines personnes présentent en effet un profil génétique qui les prédispose plus que la moyenne à prendre du poids. On ignore quels sont les gènes impliqués, mais, selon Stylianos Antonarakis, professeur au Département de médecine génétique et développement, l’avancée fulgurante des connaissances et de la technologie permet d’imaginer que l’on pourra dans dix ans pour quelques milliers de francs se faire tirer le portrait de son génome et voir s’il présente une prédisposition à l’obésité ou à d’autres maladies chroniques.

«Le séquençage du génome humain a été réalisé en 2003, explique le chercheur. Et en 2006 s’est terminé le projet HapMap dont le but était d’identifier les polymorphismes (petites variations génétiques) qui existent entre les individus. Plus de dix millions de variations, appelées SNP (Single Nucleotide Polymorphism), ont ainsi été découvertes. Il reste désormais à associer des combinaisons de ces SNP avec des maladies…»

Ces deux dernières années, deux puces à ADN ont été mises au point, chacune contenant un million de SNP. Grâce à un appareillage adéquat, on peut comparer le génome d’une personne avec l’une de ces puces (ou les deux pour augmenter la précision de la mesure), et extraire ainsi son «profil génétique». «Même si les puces ne contiennent que 10% de tous les SNP connus, il s’agit des plus fréquents», précise Stylianos Antonarakis.

Une des premières études utilisant cette technologie a été publiée dans la revue Science du 1er juin 2007. Elle concerne le diabète de type II. Résultat: cinq polymorphismes associés à la maladie ont été identifiés dans des régions géniques différentes. Il convient maintenant de savoir comment ces dernières sont impliquées dans l’affection.

Ces études ont le désavantage de nécessiter un très grand nombre de volontaires: plusieurs milliers de malades et autant de personnes saines pour contrôle.

Un travail similaire concernant l’obésité est mené par une équipe de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, dirigée par le professeur Steve O’Rahilly, chercheur respecté et obèse notoire. Les résultats devraient tomber dans une année ou deux.