Campus n°87

Dossier/obésité

«Les régimes échouent dans 95% des cas»

Alain Golay est professeur adjoint à la Faculté de médecine et chef du Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques aux HUG. Spécialiste de l’obésité, il oppose aux programmes de perte de poids classiques, un traitement intégrant la psychologie de chaque patient

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Campus: L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’épidémie mondiale ou de «globésité» à propos de l’obésité. Quelle est l’ampleur de la menace?

Alain Golay: L’obésité touchait autrefois essentiellement les couches sociales défavorisées. Aujourd’hui, le mal s’est «démocratisé» et, dans certaines régions, plus aucun segment de la population n’est épargné. Fait nouveau, les chiffres explosent également dans les pays en voie de développement. Et si la Suisse affiche pour l’heure des pourcentages relativement bas par rapport à ses voisins européens, elle n’échappe pas à la tendance générale.

En quoi le surpoids est-il dangereux pour la santé?

L’obésité induit un nombre incalculable de complications. Ses conséquences sur le système cardio-vasculaire, le diabète ou l’hypertension sont aujourd’hui clairement identifiées. On sait également qu’un surpoids durable cause de fréquentes lésions ostéo-articulaires, 75% des femmes obèses de plus de 60 ans étant gravement handicapées sur le plan de la mobilité. En revanche, l’impact de l’obésité sur les cancers (utérus et du sein pour les femmes, colon et prostate chez les hommes) est encore largement ignoré. Il faut savoir qu’un patient qui parvient à perdre 10% de son poids et qui maintient ce résultat sur une période de dix ans, réduit ses risques de mortalité de 30%.

Comment parvenir à un tel résultat?

Il faut commencer par bannir les régimes miracles. Les programmes de perte de poids échouent dans 95% des cas. Et plus ils sont restrictifs, plus c’est vrai. Ils créent un effet «yo-yo» qui aboutit à une augmentation du poids. Le patient finit par entrer dans une spirale de l’échec. Pour avoir des chances de succès, il est essentiel de ne pas poser la barre trop haut et de se fixer des objectifs réalistes.

C’est-à-dire?

Les programmes que nous avons développés au sein de notre service sont axés sur l’éducation et l’adhésion du patient. Celui-ci sera à même de changer de comportement plus facilement s’il est impliqué sur le plan émotionnel. Il faut également qu’il trouve un certain plaisir, ou au moins du sens au traitement qui lui est proposé et qu’il ait confiance en ses soignants. Sans quoi, il lui sera très difficile de remettre en question son fonctionnement. L’idée est donc d’identifier avec lui les mesures qui seront le moins coûteuses sur le plan psychologique et de bâtir un programme individualisé en fonction de ses ressources. Untel peut ainsi décider de supprimer le miel de son alimentation, tandis qu’un autre préférera se lancer dans un nouveau hobby ou de supprimer les sorties au restaurant. Ce qui importe au final, c’est que le fait de manger, qui est souvent considéré comme un réconfort par les personnes obèses, puisse être remplacé par autre chose. Faute de quoi, le patient reprendra du poids dès l’arrêt du traitement.

Quelles sont les causes qui favorisent le développement de l’obésité?

Le stress et la dégradation générale de la qualité de vie jouent à mon sens un rôle primordial dans la mesure où ils favorisent l’apparition de troubles du comportement alimentaire: faute de temps, on mange vite, n’importe quand et n’importe quoi. Nous vivons par ailleurs dans un environnement qui est clairement «obésogène». Non seulement la nourriture est omniprésente dans nos villes, mais il devient également très difficile, voire dangereux de se déplacer à pied dans certains centres urbains. Sans parler du manque de pistes cyclables ou de l’omniprésence des ascenseurs et autres escaliers roulants. Pour maintenir une perte de poids, il ne suffit en effet pas de manger moins, il est également capital de bouger plus.

Comment vous positionnez-vous par rapport au phénomène de la «malbouffe»?

C’est une problématique qui dépasse de loin le champ médical. Il y va de la responsabilité de la société dans son ensemble, ainsi que des pouvoirs publics. Ceci étant, le fait que dans un parc d’attractions aquatiques situé au bout du lac, le seul restaurant soit un McDonald’s, me semble proprement irresponsable. C’est peut-être bon pour les affaires, mais sur le plan de la santé publique, c’est une catastrophe. De la même manière, il est absurde que les supermarchés continuent de proposer des plateaux déjeuners à destination des enfants contenant près de 2000 calories (soit l’apport recommandé pour une journée entière). De leur côté, les parents ont aussi un rôle à jouer: quant on voit son enfant grossir, on arrête de lui laisser manger des chips toute la journée et on évite de lui offrir une glace pour avoir cinq minutes de paix.

A l’opposé, on vante actuellement beaucoup les mérites de la micronutrition et des compléments alimentaires tels que les oméga-3 ou les oméga-6. Quel rôle jouent-ils sur le plan métabolique?

Pour bien fonctionner, le corps humain a besoin d’être régulièrement alimenté en acides gras et en amino-acides essentiels. Si l’un de ces éléments vient à manquer, l’organisme produit un signal qui est équivalent à celui de la faim, ce qui peut provoquer un apport alimentaire excessif. Les patients qui présentent une forte résistance à l’amaigrissement présentent d’ailleurs souvent une carence en micronutriment. On sait également que les personnes qui ne consomment pas de poisson – et qui manquent donc d’oméga-3 –présentent un plus fort taux de dépression et d’obésité que le reste de la population. Enfin, un déficit en sérotonine peut provoquer une plus grande difficulté à tolérer la frustration et donc également pousser à manger davantage.

Qu’en est-il des vertus du fameux «régime crétois»?

Ce mode d’alimentation est effectivement le plus recommandé pour se maintenir en bonne santé. Peu gras, il repose sur la consommation régulière de fruits et légumes, de produits farineux à action lente (pâtes, riz, céréales), de viande blanche, de poisson et d’un peu d’huile d’olive. Mais s’il y un message que j’aimerais faire passer, c’est qu’il faut rester dans la moyenne et s’alimenter de façon raisonnable. Etre impeccable, ne veut pas dire être parfait!

N’est-ce pas un mode de vie qui manque un peu de saveur?

Je défends l’idée du 80-20: dans 80% des cas, il faut se contrôler, s’alimenter sainement, faire de l’exercice et éviter de boire trop. Mais, on peut s’accorder 20% de dérapages contrôlés: un repas gastronomique ou une soirée un peu arrosée de temps à autre n’est pas néfaste. Si l’on ne se laisse pas une soupape pour respirer, on se condamne pratiquement à l’échec. Comme disait Lucrèce, les livres les plus interdits sont aussi les plus lus.

  

Définitions et chiffres

Monde

◗ L’indice de masse corporelle (IMC) correspond au poids divisé par le carré de la taille, exprimé en kg/m2. Selon les critères retenus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le surpoids correspond à un IMC égal ou supérieur à 25 et l’obésité à un IMC égal ou supérieur à 30. Il est attesté que le risque de maladies chroniques augmente progressivement au-delà d’un IMC de 21.

◗ Selon, les estimations de l’OMS pour l’année 2005, 1,6 milliard d’adultes (15 ans et plus) sont en surpoids et au moins 400 millions d’adultes sont obèses. En 2015, ces deux chiffres devraient s’élever respectivement à 2,3 milliards et 700 millions (à comparer aux 800 millions de personnes victimes de malnutrition recensées par la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).

◗ Au moins 20 millions d’enfants de moins de cinq ans sont en surpoids.

◗ 300 000 Américains décèdent chaque année des suites de leur obésité.

Suisse

◗ 37% de la population suisse était en excès de poids en 2002. Pour le canton de Genève, on estime que 60% des hommes et 40% des femmes sont en surpoids et que 15% des hommes et 11% des femmes sont obèses.

◗ 20% des enfants suisses seraient aujourd’hui en surpoids ou obèses. Entre 1980 et 2002, ces chiffres ont été multipliés par un facteur entre six et neuf, selon les études scientifiques considérées.

◗ En Suisse, chaque individu consomme par an en moyenne 6,8 kg de sucre de plus qu’en 1980, soit 70% de plus que le seuil préconisé. Le ratio de fruits est pour sa part passé de 101 kg par an et par habitant en 1980 à 83,7 kg en 2005. En moyenne, l’apport énergétique dépasse les recommandations de 25 à 30%.

◗ Les coûts engendrés par la surcharge pondérale, l’obésité et les maladies associées s’élèvent à 2,7 milliards de francs par an. Les frais de traitement directs dus au manque d’exercice physique se montent pour leur part à 1,6 milliard de francs par an.

◗ Selon une étude conduite en 2003 auprès de 2400 sujets, 94% des successfull losers – personnes ayant stabilisé leur perte de poids pendant un an en moyenne – ont repris leur poids après deux ans.