Campus n°88

A lire

Philosopher sans palabrer

vasavoir
Platon décrivait les Béotiens comme les habitants «peu habiles à parler» d’une contrée, de fait, plutôt inhospitalière. Pascal Engel lui, non content de nous présenter une philosophie béotienne de la connaissance, se réclame d’un «béotianisme dogmatique»! Dans un ouvrage certes de longue haleine, mais qui s’adresse aux lecteurs sur un ton bienveillant, il opte pour cette posture et le clame, frayant ainsi avec le pied de nez provocateur. Ce jeu, pourtant, n’a rien de gratuit. Il vise au renouvellement d’un réalisme philosophique qui ne renierait ni les arguments sceptiques ni le sens commun. Or, ce défi n’est pas le moindre. A une époque où, post-modernisme oblige, la majorité considère que la philosophie théorique a vécu, on ne reconnaît pas l’héritage des premiers sceptiques dans les idées qui soutiennent une part importante de l’histoire des savoirs. L’épistémologie non plus, au sens d’une métaphysique de la connaissance, n’a pas bonne réputation. C’est toute l’ambition de l’auteur que de remettre à l’honneur la question du sens des connaissances en considérant des «premières vérités». Ceci sans s’effrayer des interjections déroutantes des sceptiques («Va savoir!»), mais en intégrant le paradoxe de Moore («Mais je sais!») et en considérant les vérités comme des états de connaissance. SD

«Va savoir! De la connaissance en général», par Pascal Engel, Hermann éditeurs, Paris, 2007, 256 p.

Quel patrimoine pour Genève?

patrimoine
La sauvegarde du patrimoine est une préoccupation relativement récente. Née dans les dernières années du XIXe siècle, l’idée de protéger ce que l’écrivain fribourgeois Georges de Montenach appelait joliment le «visage aimé de la patrie» est d’abord et surtout une réaction contre la menace que fait alors peser sur le paysage l’industrialisation de la société: canalisation des cours d’eau, développement du chemin de fer, implantation des usines… Genève, cependant, reste longtemps à la traîne du mouvement. Comme le montrent les auteurs réunis autour de cet Etat des lieux, les autorités du canton montrent peu d’empressement à mettre en place les structures nécessaires à la sauvegarde du patrimoine bâti et naturel local. Et c’est essentiellement grâce à la mobilisation répétée de l’opinion publique que la situation évolue. La tâche, il est vrai, n’est pas simple. Limitée à l’origine aux seuls monuments historiques et à des édifices prestigieux, la notion de patrimoine n’a en effet cessé de s’élargir au cours du XXe siècle. Dès 1920, elle englobe également la protection de certains sites, pour autant que des motifs historiques, esthétiques ou scientifiques le justifient. Dans les décennies qui suivent, s’y ajoutent des objets plus modestes, mais qui disposent d’une forte signification culturelle ou sociale. Si bien qu’au final, comme l’écrit Leïla El-Wakil, maître d’enseignement et de recherche au sein de l’Unité d’histoire de l’art, «telle qu’elle se présente aujourd’hui, la liste des monuments classés genevois est d’une grande hétérogénéité, il n’y manque que le raton-laveur!» VM

«Patrimoine genevois. Etat des lieux». textes réunis par Leïla El-Wakil, Infolio, 118 p.

Socio-économie de l’Egypte romaine

philadelphie
Le site archéologique de Philadelphie, au cœur du Fayoum égyptien, a fourni aux chercheurs une documentation riche et variée permettant d’envisager les dimensions sociale et économique de ses habitants, ceci surtout pour la période romaine du village. Aux premiers siècles de notre ère, après qu’Auguste eut vaincu l’Egypte et fait assassiner le dernier pharaon ptolémaïque, les pouvoirs locaux sont soumis aux normes administratives impériales. Les élites parlent, écrivent et tiennent leurs registres de comptes en grec ancien. Un vaste corpus de textes existe à la Bibliothèque de Genève et les papyrologues tiennent là de quoi traduire et interpréter depuis un certain temps déjà, puisque les premières vagues d’acquisition d’archives remontent à 1892. Celles-ci documentent un ensemble de vastes domaines agricoles, situés dans ce qui fut un grenier à blé antique. En plein désert de Lybie, le Fayoum fut une importante zone rurale bénéficiant d’une irrigation exceptionnelle grâce au vaste lac d’eau douce aujourd’hui disparu et au canal pratiqué depuis le Nil. L’helléniste Paul Schubert reconstitue ici, à partir de cas exemplaires, une vue élargie des structures foncières de Philadelphie. Prospères, elles attirèrent des colons, métropolites ou vétérans, qui se mêlèrent aux villageois pour créer une population hétérogène, donc passionnante à étudier.

Sylvie Delèze

«Philadelphie. Un village égyptien en mutation entre le IIe et le IIIe siècle ap. J.-C.», par Paul Schubert, Schwabe Verlag, Basel, 192 p.