Campus n°88

Extra-muros/Meinier

Un nouveau cœur pour Meinier

Santé, bien-être et qualité de vie sont les maîtres mots du projet piloté par l’Institut de médecine sociale et préventive afin de doter la commune genevoise d’un véritable centre

extramuros

Un professeur de médecine dans le jury d’un concours d’architecture, le fait n’est pas banal. Ce n’est pourtant qu’une des nombreuses originalités du projet auquel participe l’équipe d’André Rougemont, directeur de l’Institut de médecine sociale et préventive (IMSP), dans la commune genevoise de Meinier. En concertation constante avec les autorités et la population du village, l’entreprise vise à réaménager le centre du village, par un projet d’urbanisme répondant aux préoccupations exprimées par les habitants en matière de santé, de bien-être et de qualité de vie. Comprenant des appartements protégés à destination des personnes âgées, des logements à prix modérés pour les jeunes familles, un restaurant, une crèche, des commerces, des salles dévolues aux activités sanitaires, sociales et parascolaires, ainsi que des aires de jeux et de circulation, le chantier devrait s’ouvrir très bientôt.

«Les territoires ruraux qui se trouvent en périphérie des villes peuvent sembler un peu figés, explique André Rougemont. Ces zones constituent pourtant un enjeu important pour l’avenir. Elles seront en effet probablement appelées à évoluer considérablement durant les prochaines années, compte tenu de l’expansion des villes et du fait que les familles ne peuvent pratiquement plus se permettre de s’installer en leur centre.»

Recréer du lien social
Les premiers contacts entre Meinier et l’IMSP remontent à 1991, époque à laquelle les chercheurs de l’Université conduisent une première enquête destinée à mettre en évidence les besoins des habitants en matière de santé au sens large. Manque de lien social, problème d’intégration pour les jeunes, difficultés socio-économiques pour les personnes âgées, départs de la commune non souhaités et entraves à la mobilité figurent parmi les éléments les plus fréquemment cités. «Lorsqu’on est âgé, qu’on habite Meinier et qu’on ne dispose pas de voiture, il devient très compliqué de se rendre systématiquement à Vésenaz pour faire ses courses, complète Sandrine Motamed, cheffe de clinique scientifique à l’IMSP. C’est un problème fonctionnel, mais qui contribue également à créer un certain isolement social. Même chose pour les jeunes parents qui travaillent au centre-ville et qui n’ont pas de solution pour la garde de leurs enfants.»

En 2001, les autorités de la commune décident de pousser l’exercice un peu plus loin. Elles mandatent l’IMSP pour piloter le processus. Un groupe de travail multidisciplinaire est rapidement constitué, comprenant des représentants des autorités communales, des spécialistes de l’action sociale, de la médecine et de la santé publique, ainsi que des architectes et urbanistes.

D’emblée, une très large place est faite à la concertation. L’organisation de débats et autres rencontres, la publication d’un bulletin d’information tous-ménages et la participation à de nombreuses séances du conseil municipal permettent de dresser les grandes lignes du projet. Au final, l’idée-clé est de doter le village d’un véritable centre, afin de favoriser la création de liens sociaux et de permettre aux habitants des différentes générations de disposer d’un lieu de rencontre et d’échange. Il s’agit également de répondre aux attentes des personnes âgées souhaitant rester dans la commune et d’améliorer les possibilités de mobilité, que ce soit en direction de l’agglomération et du territoire communal.

skateboard et déambulateur
«La question du terrain de foot, qu’il faudrait déplacer à l’extérieur du village pour mener à bien le chantier a, par exemple, soulevé des débats extrêmement passionnés, explique André Rougemont. Il a fallu un important travail d’explication pour aller de l’avant. Mais cela nous a également permis d’avoir un échange très constructif avec la population autour de ce que représente la notion de santé au sens large à l’échelle d’une communauté.»

Autre difficulté: on estime qu’il faut un minimum de 40 chambres pour assurer la rentabilité d’un établissement médico-social (EMS). Or, Meinier ne dispose que d’une douzaine de candidats potentiels. Les initiateurs du projet imaginent donc une solution intermédiaire qui passe par l’intégration de la vingtaine de chambres destinées à héberger des personnes âgées à un ensemble plus vaste comprenant également des logements conventionnels à loyers modérés prévus pour accueillir des familles.

L’implantation d’un restaurant – qui assumera également les repas des résidents âgés et le rôle de «cuisine scolaire» –, d’une crèche intercommunale et d’un espace de soins complètent le dispositif. «Le fait de disposer d’un lieu sanitaire polyvalent permet d’éviter des déplacements inutiles et compliqués pour des soins qui sont souvent relativement simples à prodiguer, explique Sandrine Motamed. Ouvert à différents prestataires de soins et placé sous la responsabilité d’un «médecin communal» (lire ci-contre), ce type de structure peut aussi bien recevoir le médecin traitant du patient qu’un physiothérapeute, un pédicure ou un prothésiste dentaire. On peut même imaginer y prodiguer des soins palliatifs.»

En termes de mobilité, la configuration de l’espace a été pensée afin qu’un adolescent en skateboard puisse côtoyer sans danger une grand-mère avec son déambulateur ou une maman avec sa poussette. Un système de navettes de proximité, un arrêt de bus et un parking souterrain ont en outre été intégrés au projet.

A une échelle un peu plus large, des parcours «découvertes» seront également mis en place dans l’ensemble de la commune, avec des étapes de repos pour les personnes dont la mobilité est réduite. Enfin des travaux seront entrepris afin d’optimiser la sécurité sur les grands axes routiers.

Objet d’un concours d’architecture réunissant une quinzaine d’entreprises en 2006, le projet, dont une partie du budget a d’ores et déjà été votée, est aujourd’hui sur le point de se concrétiser. Après une nouvelle phase de concertation avec la population, le premier coup de pioche est en effet espéré dans le courant de l’année 2008.

Vincent Monn et

 

Du neuf dans les soins de proximité

C’est le chaînon manquant entre l’hôpital et le cabinet médical. Elaboré par l’équipe d’André Rougemont, directeur de l’Institut de médecine sociale et préventive, le concept de médecin communal vise à pallier les «trous» du système socio-sanitaire actuel en créant une fonction intermédiaire, alliant soins de premier recours et tâches liées à la santé communautaire.

Sur certains aspects (visite à domicile, suivi global), le médecin communal se rapproche du médecin de famille d’autrefois: soignant de proximité, il se doit d’être un généraliste compétent. Mais cette nouvelle fonction recouvre également une dimension communautaire qui faisait défaut à son prédécesseur. Certaines de ces tâches font déjà partie de l’activité du médecin de premier recours: prévention et promotion de la santé, soins palliatifs, conseils en nutrition. D’autres sont l’apanage de la collectivité: aide et soins à domicile, médecine scolaire, surveillance épidémiologique, actions portant sur l’environnement…

Installé dans un cabinet privé, en campagne ou en milieu urbain, le «médecin communal» ajouterait ainsi à son cahier des charges habituel un certain nombre de missions spécifiques dans le cadre d’un contrat de prestation avec les autorités.

Et ce, en ayant au préalable suivi une formation en médecine communautaire. Dans ce domaine, ce ne sont d’ailleurs pas les candidats qui font défaut puisqu’en vingt ans, près de 300 personnes ont suivi les formations dispensées par l’Université de Genève dans ce domaine.

Sandrine Motamed, André Rougemont: «Médecin communal: un nouveau concept et une nouvelle fonction pour le médecin de premier recours», Revue médicale suisse, 26 septembre 2007