Campus n°88

Perspectives

A l’aube d’une catastrophe majeure

Urs Schaltegger est le président du 5e Congrès suisse de géosciences, intitulé «Catastrophe! – catastrophes», qui s’est tenu à Genève les 16 et 17 novembre

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Campus: L’Université de Genève s’intéresse-t-elle depuis longtemps aux catastrophes naturelles?

Urs Schaltegger: La Section des sciences de la Terre propose depuis vingt ans aux étudiants diplômés un Certificat de formation approfondie en étude et management des risques géologiques (CERG) dont l’enseignement est délivré sur trois mois par une vingtaine de spécialistes internationaux. Cette formation, consacrée à la gestion des problèmes liés aux tremblements de terre, éruptions volcaniques, éboulements, crues et autres événements naturels majeurs, devrait devenir une maîtrise universitaire dans un ou deux ans. Par ailleurs, l’Institut Forel, spécialisé dans la limnologie (l’étude des lacs et des rivières), se penche sur les changements climatiques du passé et les bouleversements du cycle de l’eau qui en découlent. Nous avons donc une histoire riche dans l’étude des risques naturels et nous aimerions intensifier nos efforts dans ce domaine, ce qui deviendra possible grâce au projet de regroupement des sciences naturelles de l’environnement et des sciences de la Terre au sein du «Pôle en sciences de l’environnement». Nous bénéficions également à Genève de la proximité de nombreuses agences de l’ONU actives dans le domaine de l’environnement. Tous ces facteurs, y compris les événements météorologiques de 2005 et de cet été, nous ont amenés naturellement au thème des catastrophes.

Justement, qu’est-ce que les chercheurs peuvent apporter à la société dans ce domaine?

Il faut bien comprendre que notre travail est de nature académique. Nous réalisons de la recherche fondamentale dont nous ne savons pas toujours si elle aura des implications directes et si oui lesquelles. Cela dit, les climatologues prédisent – et semblent avoir raison – que la Suisse est particulièrement vulnérable aux effets des changements climatiques. Le cycle hydrologique s’intensifie avec des pluies plus fortes à des périodes données et le permafrost dégèle, augmentant l’instabilité des pentes des montagnes. Parallèlement, les infrastructures humaines se sont développées dans des régions devenues de plus en plus exposées aux catastrophes naturelles (inondations, avalanches, éboulements, glissements de terrains, etc.). Les excès de la nature deviennent de plus en plus fréquents. Les hommes colonisent de plus en plus d’espaces à risque. Sur ce point, notre connaissance des processus naturels, de leur amplitude et de leurs effets peut fournir une base pour une meilleure compréhension et en conséquence une meilleure gestion de l’espace et de notre intervention dans les écosystèmes naturels.

Vous êtes professeur adjoint au Département de minéralogie. Sur quel genre de catastrophes travaillez-vous?

Sur des catastrophes autrement plus terribles, mais nettement moins fréquentes: celles qui ont provoqué des extinctions massives d’espèces au cours de l’histoire de la Terre. Le plus connu de ces événements est sans doute celui qui a eu lieu il y a 65 millions d’années et qui a vu la disparition des dinosaures et de très nombreux autres organismes terrestres et marins. Mais il y en a eu des dizaines d’autres. Certaines, plus dévastatrices, d’autres moins. En fait, chaque limite géologique que nous observons dans les roches sédimentaires correspond à un événement et, parfois, à un bouleversement environnemental. Nous tentons de leur trouver des causes. Pour cela, nous nous efforçons de dater ces limites géologiques grâce à de nouvelles techniques plus précises. Nous faisons de même avec des roches volcaniques sur d’autres sites. Nous remarquons, entre autres, que la plupart du temps, des éruptions volcaniques géantes d’une durée de dix à cent mille ans – sans commune mesure avec celles que nous connaissons de nos jours – précèdent des extinctions de masse. On pense bien sûr que les quantités gigantesques de cendres, de gaz et de poussières envoyées dans l’atmosphère bouleversent le climat au point de provoquer la mort d’une importante fraction du monde vivant. Il est bien possible que nous soyons aujourd’hui à la veille d’un autre épisode de bouleversements.

Mais aucune éruption volcanique géante n’a lieu actuellement?

Oui, mais nous vivons ces dernières décennies un changement climatique important, comparable à d’autres qui ont eu lieu dans le passé et que nous trouvons enregistrés dans les sédiments. Seulement, actuellement, la cause de l’augmentation de la teneur de gaz à effet de serre responsable du changement climatique n’est pas l’activité volcanique – comme c’était souvent le cas dans le passé – mais bien l’activité humaine.

Propos recueillis par Anton Vos

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