Campus n°99

Recherche/Egyptologie

Une reine d’Egypte retrouve sa place dans l’histoire

La campagne de fouilles menée ce printemps sur le site de Saqqarah a permis au professeur Philippe Collombert de retrouver le sarcophage d’une reine méconnue ayant vécu il y a plus de quatre mille ans, ainsi que de très nombreux passages des «Textes des Pyramides»

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Un sarcophage de granit rose attribué à une reine dont on ne savait quasiment rien jusqu’ici, quelques ossements, des fragments de vase finement ouvragés et des pans entiers de murs recouverts de hiéroglyphes: tel est le bilan de la dernière campagne menée sur le site de Saqqarah, à proximité du Caire, par Philippe Collombert, directeur de l’Unité d’égyptologie depuis 2008. Réalisée dans le cadre d’une mission archéologique financée par le gouvernement français, cette série de découvertes devrait permettre de préciser la place qui revient à la reine Béhénou dans la chronologie de l’Ancien Empire (-2700 à -2200 av. J.-C. environ), tout en apportant de précieuses informations sur les pratiques liturgiques de l’Egypte antique. Dans un état de conservation remarquable, les inscriptions retrouvées à l’intérieur de la pyramide appartiennent en effet à un corpus connu sous le nom de «Textes des pyramides», dont seul une dizaine d’exemplaires sont parvenus jusqu’à nous à ce jour.

Connu des touristes pour la célèbre pyramide à degré du roi Djoser, le site de Saqqarah abrite également, dans sa partie sud, la nécropole de plusieurs souverains appartenant à la VIe dynastie, dont celle de Pépi Ier. Autour de la pyramide royale se trouvent de nombreuses tombes secondaires destinées à l’entourage du pharaon. C’est sur cet ensemble encore mal connu que se sont concentrées les recherches de Philippe Collombert et de son équipe.

«L’objectif de la mission consiste à fouiller ce complexe de manière systématique afin de mieux comprendre son fonctionnement et de déterminer à qui appartient quoi, confirme le professeur. Cette année, nous avons eu la chance de pouvoir récolter un certain nombre d’indices qui semblent confirmer qu’une de ces pyramides secondaires était dédiée à une reine de la VIe dynastie nommée Béhénou, dont nous connaissions le nom depuis quelques années grâce à des fragments de textes retrouvés sur le site.»

A vrai dire, avant même de pénétrer à l’intérieur de la pyramide, l’équipe de Philippe Collombert n’a guère de doute sur l’identité de son occupante. En fouillant le temple funéraire accolé à la pyramide au cours d’une campagne précédente, le nom de Béhénou a en effet été retrouvé à plusieurs reprises. Les chercheurs savent également que cette dernière était «aimée de Pépi», formule qui suggère qu’elle fut une épouse royale. Il a toutefois été impossible de déterminer si Béhénou était liée à Pépi Ier ou à son successeur Pépi II. «L’emplacement de sa pyramide milite en faveur de la première solution, explique Philippe Collombert. Mais certains éléments textuels et architecturaux de style assez tardif rendent également la seconde hypothèse plausible. Enfin, il est également possible que Béhénou ait été l’épouse d’un autre roi, plus tardif.»

Contrairement aux espérances des archéologues, la mise au jour du sarcophage de la reine, retrouvé quasiment intact, n’a pas permis de trancher la question. Recouvert d’un couvercle de basalte noir – particularité qui en fait une rareté –, le bloc de granit rose mesurant 2,6 mètres de long pour une hauteur de 1,1 mètre, précise uniquement que Béhénou était «épouse du roi» sans nommer ce dernier. Quant à la momie, il n’en reste rien, hormis des restes de bandelettes en lin ayant servi à l’envelopper et quelques ossements, dont un morceau de mâchoire.

Sur la piste de la «fête Sed»

Les nombreux fragments de vase en pierre dure finement ouvragés qui ont été retrouvés à l’intérieur de la chambre funéraire n’ont pas apporté davantage d’éclaircissements. Il s’en est toutefois fallu de peu. Philippe Collombert a en effet cru pouvoir crier victoire lorsqu’il a découvert sur un reste de plat en albâtre l’inscription «première fête Sed», mention qui se réfère à une cérémonie de renouvellement du pouvoir royal à la suite de laquelle il est logique de nommer le souverain concerné par ce jubilé.

«Hélas, la pièce était cassée juste à l’endroit où l’on aurait dû trouver le nom du roi, regrette Philippe Collombert. Nous avons cherché dans tous les fragments dont nous disposions pour retrouver la partie manquante, en vain. Cela étant, la partie n’est pas perdue. Je suis en effet convaincu que nous aurons une réponse définitive à cette question dès l’an prochain, lorsque nous procéderons à la fouille de la partie du temple qui n’a pas encore été dégagée.»

Toute relative, cette déception a été largement contrebalancée par l’importance des éléments textuels retrouvés à l’intérieur de la dernière demeure de la reine Béhénou. Là encore, compte tenu des nombreux blocs gravés laissés par les pilleurs de pierre aux alentours de la pyramide, les chercheurs s’attendaient à trouver des hiéroglyphes sur les murs de la chambre funéraire. Mais sans doute pas dans de telles proportions ni dans un tel état de conservation.

Puzzle géant

«A ce jour, sur la centaine de pyramides répertoriées, on ne connaît qu’une dizaine d’exemples comportant des inscriptions, précise Philippe Collombert. Et en règle générale, seulement 10 à 20% du décor sont préservés. Dans le cas présent, nous en avons retrouvé entre 40 et 50%, ce qui est tout à fait exceptionnel. Nous disposons également d’un millier de blocs gravés épars constituant une sorte de puzzle géant qu’il s’agira de reconstituer dans les années à venir.»

Ce résultat est d’autant plus remarquable que ces textes ont très bien résisté à l’usure du temps. Malgré plus de quatre mille ans passés sous les sables du désert, on peut encore y distinguer toutes les étapes qui ont conduit à leur réalisation. Le tracé permettant la mise en colonne du texte, les marges servant d’appui aux hiéroglyphes, les esquisses précédant la gravure et la couche de couleur verte les recouvrant sont ainsi parfaitement visibles à certains endroits.

Ces éléments vont surtout permettre aux chercheurs de mieux comprendre les relations complexes qu’entretenaient les Egyptiens avec l’au-delà. Le corpus connu sous le nom de «Textes des Pyramides», auquel appartiennent les hiéroglyphes découverts dans la tombe de Béhénou, constitue en effet le premier ensemble cohérent de textes religieux de l’histoire de l’humanité.

Composé de différentes formules destinées à aider le défunt à survivre dans le monde des morts, il a été utilisé à partir du roi Ounas, à la fin de la VIe dynastie, soit une centaine d’années avant le règne de la reine Béhénou. Malgré la dizaine d’exemples connus à ce jour, le sens de certains passages reste assez obscur pour les égyptologues. «Il est très difficile de se mettre dans l’esprit de quelqu’un qui a vécu il y a quatre mille ans, explique Philippe Collombert. Beaucoup de notions, qui étaient évidentes à l’époque, et qui ne sont donc pas expliquées par les hiéroglyphes, restent tout à fait mystérieuses pour les égyptologues d’aujourd’hui. Disposer d’une nouvelle version, contenant des variations mêmes infimes, devrait donc contribuer à nous éclairer un peu plus. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si on essayait de reconstituer la Bible à partir de fragments et que, soudainement, on retrouvait la moitié du texte original.»

Vincent Monnet

Des étudiants la main dans le sable

Pour un aspirant-égyptologue, les occasions de se confronter à la réalité du terrain sont plutôt rares. Conscient de cette difficulté, Philippe Collombert a décidé de permettre, chaque année, à deux étudiants genevois et à deux étudiants égyptiens de participer aux travaux qu’il mène depuis l’an dernier, pour le compte de l’UNIGE, sur le site de Hou, une petite ville située entre Dendera et Abydos.

L’objectif de la mission consiste à répertorier les différents vestiges qui se trouvent encore au milieu des habitations avant qu’ils ne disparaissent. L’équipe n’étant pas autorisée à procéder à des fouilles, le travail consiste principalement à effectuer des relevés topographiques et à recopier des extraits de textes sur les restes de temples. «Compte tenu de la chaleur, le travail est assez pénible, précise le professeur. Mais en contrepartie, l’expédition est logée sur le Nil, à bord d’un bateau climatisé offrant un niveau de confort tout à fait satisfaisant.»

Pour les campagnes à venir, Philippe Collombert souhaiterait également permettre à un ou deux étudiants genevois de participer aux travaux menés sur le site de Saqqarah (lire ci-contre), où près d’un millier de blocs épars retrouvés l’an dernier doivent encore être dessinés. Avis aux amateurs... VM