Organisation

Yakdhan El Habib

Régionalisation de la justice pénale internationale en Afrique : principaux défis

L’idée de ce projet de recherche s’inspire d’une observation de la pratique politico-juridique des pays africains, pris individuellement ou collectivement au sein de l’Union africaine (UA), qui développent une appréhension controversée et ambiguë du rôle et du mandat de la Cour pénale internationale (CPI). Une ambigüité certaine peut être ressentie au niveau des positions individuelles des Etats, même pour ceux qui ont adhéré au Statut de Rome portant création de la CPI.

L’émergence d’une position continentale, celle développée au sein de l’UA, ajoute à cette ambigüité diverses dimensions aussi bien politiques que juridiques. En vertu de plusieurs décisions de son Conseil Exécutif et de plusieurs déclarations de son Assemblée des Chefs d’Etat et de Gouvernement, l’Union africaine a abordé la question de la coopération avec la CPI sous un angle principalement politique et ce en appelant ses Etats membres à ne pas coopérer avec cette justice internationale perçue comme un mécanisme ciblant les dirigeants africains et méconnaissant les réalités et les impératifs de maintien de la paix sur le terrain.

En 2009, l’UA a franchi un autre pas dans ses relations d’opposition avec la CPI. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement africains ont mandaté la Commission de l’UA (CUA) d’explorer les possibilités de création d’une structure pénale africaine qui serait chargée d’assurer les poursuites pour les violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises sur le Continent. En vertu de cette décision, un projet de protocole additionnel au Statut de la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme (CAJDH) a été élaboré et a pour objet de nantir cette Cour d’une compétence pénale pour réprimer les crimes internationaux commis sur le Continent tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Le 12 octobre 2013, l’UA a tenu un sommet extraordinaire dédié aux relations de l’Afrique avec la CPI. Ce sommet a notamment réitéré la position initiale de l’UA qui affirme qu’ « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un Chef d’Etat ou de Gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat ».

En fin de parcours, l’UA a pu adopter un protocole additionnel portant amendements au Protocole sur le Statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme. L’objet du protocole additionnel est de nantir la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples d’une compétence pénale pour reconnaitre des crimes les plus graves commis sur le Continent. L’examen du nouveau protocole révèle une grande similitude avec la compétence et le fonctionnement de la CPI. Toutefois, il se démarque de cette dernière sur certains aspects touchant aussi bien à la substance qu’aux procédures.

Problématique de la recherche :

Les dirigeants africains, soucieux de redresser la situation de tension, d’ambigüité et d’opportunisme qui résulte de l’état actuel de la coopération des Etats africains (pris individuellement ou au sein de l’UA) avec la CPI, tout en préservant l’impératif de combattre l’impunité, ont opté vers une approche radicale, celle de la création d’une justice pénale continentale qui serait chargée de remplir les fonctions de la CPI quand il s’agit de crimes graves commis sur le Continent.

L’ambition de cette étude est d’examiner les implications juridiques de la création d’une structure pénale continentale. Compte tenu de la complexité de la question de la justice pénale internationale, toute analyse juridique ne saurait se limiter à une abstraction totale mais, au contraire, devra, à tous les stades, intégrer la donnée politique qui, le plus souvent, permet de donner des éléments d’explication pouvant préjuger de l’aboutissement de l’ordonnancement juridique préconisé.

Il s’agirait de procéder à l’analyse du mandat et du fonctionnement de la nouvelle structure pénale africaine, de son aptitude juridique (et politique) à donner une consistance tangible au discours politique affirmant un engagement ferme de combattre l’impunité pour les crimes les plus graves. L’examen du protocole établissant une structure pénale africaine permettrait de voir dans quelle mesure cette nouvelle structure réussirait d’une part à dépasser les insuffisances ou les critiques souvent adressées à la CPI et d’autre part à mettre en place un système pénal continental efficace pour combattre l’impunité et poursuivre les responsables des crimes les plus graves.


Directeur : Robert Roth, Université de Genève