2002

Interview de Jean Ziegler pour son départ de l'Université

récolte des bananes en Gambie - © FAO Le professeur Jean Ziegler s'engage pour le droit à l'alimentation

Le professeur de sociologie Jean Ziegler donnera sa leçon d'adieu le jeudi 30 mai 2002. Cet homme remuant et médiatique, après trente ans de fonction à l'Université de Genève, a choisi de se consacrer à son mandat onusien de Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation. Tour d'horizon.

 

 

Que fait un Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation?
Jean Ziegler: Mon mandat est de créer une nouvelle norme de droit international public. En effet, 826 millions de personnes sont, chroniquement et gravement, sous-alimentées dans le monde et chaque jour, 100'000 personnes meurent de faim. Or cette situation n'est pas une fatalité. Selon la FAO, notre planète a les capacités de nourrir 12 milliards d'êtres humains. L'objectif est donc d'obliger les Etats à prendre des mesures afin que ce génocide silencieux cesse. Il est par exemple impératif qu'en Amérique latine et en Asie, les collectivités publiques entreprennent une réforme agraire pour faciliter l'accès à la terre et mettent sur pied une politique de revenu minimum.

N'est-ce pas utopique? Avec les événements actuels, on constate tous les jours que le droit international est bafoué.
Oui, il ne faut pas se leurrer. Mais il faut admettre que la globalisation a ceci de bon : elle a créé une conscience publique et sociale universelle. Avec l'émergence de la société de communication, la moindre famine ou exaction qui se produit dans le coin le plus reculé est portée à la connaissance de tous le jour même. Et je pense que cette circulation de l'information a permis à tous ces nouveaux mouvements sociaux de se créer et de s'organiser comme à Porto Alegre. Je suis convaincu que c'est par eux que nous allons progresser.

L'ONU est réputée pour ce qu'un professeur de l'Institut universitaire d'études du développement qualifiait dernièrement de "langue de coton". Pensez-vous pouvoir continuer à vous exprimer aussi ouvertement qu'à l'Université?
J'ai été nommé pour mon indépendance. Je ne changerai donc rien et assumerai mon mandat pendant les six ans, comme convenu. Pour que mon combat contre la faim ait un sens et une utilité, il doit en effet être radicalement critique.

Vous engendrez souvent la polémique: pensez-vous être un agitateur?
Non. Je me qualifie plutôt comme un intellectuel organique du mouvement social. Je fais partie des privilégiés : blanc, de nationalité suisse et professeur d'université, payé pour penser. C'est absolument fabuleux. Il faut donc que j'utilise ce privilège pour combattre tout ce qui attente à la liberté de l'Homme.

Tous les professeurs d'université devraient alors s'engager?
Tout intellectuel devrait s'engager personnellement. Il ne s'agit pas d'adhérer à un parti politique mais de travailler pour l'utilité sociale. Et nous, professeurs, nous sommes payés pour cela. Pour moi, le grand modèle de cet engagement est représenté par Carl Vogt. Réfugié politique qui a survécu aux Prussiens, il est devenu professeur à l'Université de Genève et s'est tout de suite engagé dans la réforme de l'école, la création de la Faculté de médecine. Il a été Conseiller d'Etat et aux Etats. Bref, voilà pour moi ce que doit être un intellectuel.

Pensez-vous avoir noirci l'image de la Suisse à l'étranger avec vos livres notamment?
Certainement pas. Je n'attaque pas la Suisse. Je suis un patriote dans le sens le plus ringard du terme. J'aime son histoire, ses paysages, les droits constitutionnels qui font de notre pays une démocratie, etc. Ceux que j'attaque sont les membres de l'oligarchie. Ce sont ceux qui détournent la Suisse de son combat pour la solidarité et la transforment en cave d'Alibaba avec de l'argent volé dans le monde entier.

Leçon d'adieu du prof. Jean Ziegler
"Comprendre le monde - changer le monde : à quoi sert un intellectuel?"
Jeudi 30 mai 2002 à 18h15
Salle M R060 (rez-de-chaussée)
Uni Mail, 40 bd. du Pont-d'Arve, Genève
Entrée libre

27 mai 2002
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