2004

40 ans de biologie moléculaire à Genève

Quand l'ADN éclipsa l'atome: 40 ans de biologie moléculaire à Genève

Il est des anniversaires qui comptent plus que d'autres. Le Département de biologie moléculaire de l'Université de Genève souffle, ce printemps, ses 40 bougies avec le sentiment d'avoir joué un rôle de premier plan dans le développement des sciences de la vie. Au début des années soixante, Genève est en effet, avec Cologne, Paris et Cambridge, l'un des quatre pôles au niveau européen où la biologie moléculaire prend une forme institutionnelle et commence à être reconnue en tant que discipline à part entière. Bruno Strasser, chercheur à l'Institut d'histoire de la médecine, apporte un éclairage captivant sur ce moment charnière de l'histoire récente des sciences naturelles. Il sera l'un des intervenants invités au Symposium organisé par le Département pour marquer cet anniversaire, le vendredi 28 mai 2004.

Lorsqu'est fondé l'Institut de biologie moléculaire de l'Université de Genève, au printemps 1964, en pleine Guerre froide, le public ignore que l'ADN est sur le point d'éclipser l'atome comme emblème du développement de la science. La physique continue de jouir de la plus grande autorité auprès des chercheurs. Encore auréolée du prestige que lui ont conféré Einstein et d'autres grands savants, elle est perçue comme la science ayant l'impact le plus direct sur la vie des gens. L'issue de la Seconde guerre mondiale s'est jouée en bonne partie autour de recherches menées en physique nucléaire. En 1954, les gouvernements européens décident de créer le CERN, et en 1958, l'Atomium est choisi comme symbole de l'Exposition universelle de Bruxelles.

Au même moment, pourtant, des groupes de recherche se mettent en place aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, et notamment à Genève, munis d'une nouvelle manière d'aborder les sciences du vivant, qui va propulser la biologie, puis la génétique, sur les devants de la scène. C'est d'ailleurs grâce à l'autorité et aux compétences de physiciens que ce glissement va s'opérer.

Un succès construit autour du microscope
A Genève, Jean Weigle, directeur de l'Institut de physique, collabore dès les années quarante avec des biologistes pour mener des recherches dans un domaine qu'ils appellent alors la "biophysique". Leur but est de comprendre la structure et le fonctionnement du matériel héréditaire, ce qui restera le programme des biologistes moléculaires.

Dans les travaux qu'il a effectués sur cette période (1), l'historien des sciences Bruno Strasser montre le rôle central joué dans cet épisode par un instrument d'observation. En 1945, Jean Weigle met au point, avec une entreprise zurichoise, le premier microscope électronique de Suisse. Très vite, il l'utilise en compagnie de son élève Edouard Kellenberger et du généticien Emile Guyénot pour des études de génétique moléculaire. "Le microscope est le médiateur de la reconversion des physiciens à la recherche en biologie", relève Bruno Strasser.

Parce qu'elles sont de bonne qualité, les images tirées de ces observations s'attirent, dès le milieu des années 50, une notoriété qui déborde largement le cadre suisse. Le laboratoire de biophysique genevois devient le principal fournisseur d'images dans ce domaine à travers le monde. Il tisse notamment des relations avec le California Institute of Technology (Caltech), où Weigle enseigne depuis 1948.

Grâce à son microscope, le groupe de biophysique genevois acquiert une identité, une visibilité dirait-on aujourd'hui, qui favorise son succès. Les chercheurs genevois sont de plus en plus appelés à participer à des congrès internationaux. L'instrument en vient à symboliser le savoir-faire helvétique en la matière, de même que le caractère innovateur des travaux qu'il permet de réaliser. Tant et si bien que les autorités genevoises et fédérales, par le biais du Fonds national de la recherche scientifique fondé en 1952, décident d'affecter des sommes importantes au développement du laboratoire.

L'Université de Genève devient ainsi l'une des premières institutions en Europe à offrir un enseignement de biophysique et de génétique moléculaire. L'effort des collectivités publiques aboutit, en 1964, à la création de l'Institut de biologie moléculaire sous la direction d'Edouard Kellenberger et Alfred Tissières. Au même moment, Werner Arber effectue dans ce laboratoire les recherches qui lui vaudront le prix Nobel de médecine en 1978. Cet effort continue aujourd'hui de porter ses fruits, au vu du développement des sciences de la vie dans l'Arc lémanique. Morale de l'histoire, pour Bruno Strasser: "cela montre l'importance à investir très tôt des moyens dans un domaine émergeant.

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(1) Bruno J. Strasser, "Institutionalizing molecular biology in post-war Europe: a comparative study", Studies in History and Philosophy of Science, 33C (2002) 533-564
Bruno J. Strasser, "Totems de laboratoires, microscopes électroniques et réseaux scientifiques: L'émergence de la biologie moléculaire à Genève", Revue d'histoire des sciences, 55-1, (2002), 5-53

Symposium
"40 ans de biologie moléculaire à Genève"

Vendredi 28 mai, dès 9h25
Science II (30 quai E.-Ansermet, Genève)
Salle A300
Réservations obligatoires
Programme détaillé

 

Pour en savoir plus:
"Alfred Tissières et la biologie moléculaire genevoise", par Pierre Spierer, professeur au Département de biologie moléculaire, UniGe
"Hommage à Alfred Tissières", par Jean-David Rochaix, professeur au Département de biologie moléculaire, UniGe

Le site du Département de biologie moléculaire

Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Mai 2004

18 mai 2004
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