2004

Externaliser les transferts de technologie?

Le transfert de technologies universitaires doit-il être confié à des bureaux externes?

 

Les hautes écoles reconnaissent aujourd'hui le rôle central qu'elles ont à jouer dans la valorisation de leur recherche. La Confédération l'a bien compris, elle qui prévoit un soutien de 4 millions par année pour le secteur du transfert de technologies. Toutefois, tout le monde ne partage pas la même opinion sur la meilleure manière d'effectuer cette activité. Par exemple, Avenir Suisse, un groupe de réflexion financé par les multinationales suisses qui tente de dégager les grandes tendances qui façonnent le futur du pays, souhaite voir cette tâche confiée à des offices extérieurs aux structures universitaires. Eclairage de la situation à l'UniGe avec Laurent Miéville, responsable d'Unitec.

Xavier Comtesse, d'Avenir Suisse, propose de créer des offices externes de valorisation de la recherche en Suisse. Qu'en pensez-vous?
Laurent Miéville: C'est une question qui mérite d'être posée. Je ne partage cependant pas l'analyse de M. Comtesse estimant que la structure juridique d'une telle entité n'a qu'une importance secondaire. Premièrement, il faut signaler que les meilleurs offices de transfert de technologies, comme par exemple ceux de Stanford et du MIT, ne sont pas externes aux institutions qui les emploient. Ainsi, l'externalisation n'est certainement pas une garantie de qualité comme le suggère Xavier Comtesse. Si des universités ont choisi de créer des offices externes, c'est généralement parce que le cadre légal, la Loi sur l'Université, ne leur permettait pas de créer de tels office en interne ou que leurs activités en matière de transfert de technologies ne légitimait pas la création de leur propre office.

Deuxièmement, un bureau externe ne se justifierait que s'il ne devait suivre qu'un seul objectif: faire du profit, alors que la mission donnée aux offices de transfert de technologies par les universités est plus complexe et doit aussi intégrer les découvertes qui ont un impact bénéfique pour la société. L'encouragement donné à la création de start-up serait également remis en cause. L'argument économique n'est donc pas le seul à devoir être pris en compte dans cette problématique.

Qu'en est-il de la situation à Genève?
La question a été largement étudiée au moment de la création d'Unitec, une fondation qui devait symboliser le pont entre l'Université et la Cité. Mais les instances politiques universitaires de l'époque ont renoncé à externaliser le bureau pour des questions d'ordre fiscal et de complexité de gestion pour une structure plutôt réduite. Toutefois, au moment de l'augmentation de l'équipe, la question s'est reposée. La constitution d'une structure externe à l'Université nous permettrait peut-être d'attirer plus facilement des personnalités du monde industriel qui ne souhaiteraient pas le quitter pour revenir dans le milieu académique.

Quels avantages retirez-vous de votre structure actuelle?
En fait, notre position interne nous confère bien d'autres avantages: une grande proximité avec nos "clients", les chercheurs, le maintien d'une relation de confiance et l'adhésion à des principes académiques rigoureux, ce qui est plus difficile à garantir à l'externe. De plus, nous sommes actuellement en mesure d'attirer des personnes très qualifiées issues de l'industrie comme vérifié lors de notre dernière vague de recrutement. Xavier Comtesse, quant à lui, a une réflexion économique pure. Il aimerait mettre les bureaux de transfert de technologies en concurrence pour les pousser à être plus rentables.

Pourquoi est-il nécessaire de valoriser la recherche?
Valoriser la recherche, cela signifie faciliter, améliorer et augmenter la diffusion, dans la société, des découvertes réalisées par les chercheurs au sein des institutions. Savez-vous que les plus grandes inventions proviennent de la recherche fondamentale? L'hormone de croissance humaine, le vaccin de l'hépatite B, les patchs de nicotine, le Gatorade, Google, tout cela provient de recherches menées par les universités. Déposer un brevet permet à l'Université de jouer également un rôle éthique quant à l'utilisation des résultats de ses recherches pour la société, de mener une véritable réflexion académique à ce sujet. Par exemple, si un médicament contre la malaria était découvert, on pourrait imaginer que l'institution qui a déposé le brevet décide de fixer des conditions particulières aux entreprises pharmaceutiques souhaitant commercialiser un traitement thérapeutique. Les unités de transfert de technologies ont donc un véritable rôle à jouer dans l'accès aux médicaments et aux vaccins pour les pays en voie de développement. Une vision purement mercantile s'avérerait trop limitative sur ce point.

 

Qu'est-ce qu'Unitec?

Créé par l'Université de Genève, Unitec est chargé de valoriser les découvertes issues des activités de recherche de l'institution. Au service des scientifiques, cette équipe de 5 personnes a pour but de faciliter le transfert des résultats de la recherche entre le monde académique et les milieux économiques, d'encourager la création de "spin-off" issus de l'Université et agit également comme source de financement pour le dépôt de brevet.

Ces trois dernières années, 100 déclarations d'inventions ont été faites à Unitec. De là, ce sont cinquante brevets qui ont été déposés et la création d'une dizaine de start-up qui devraient permettre un développement économique local. Même si la majorité des inventions concernent essentiellement les sciences et la médecine, plusieurs proviennent aussi d'autres facultés, comme par exemple de SES avec le développement d'un algorithme particulier ou de Lettres avec des nouvelles techniques d'évaluation des connaissances linguistiques.

"Nous nous efforçons de sensibiliser les chercheurs à la meilleure manière de générer un impact de leurs recherches sur la société. Si un brevet doit être déposé, il doit l'être avant publication, mais tous les chercheurs n'ont pas encore le réflexe de nous avertir de leurs découvertes à temps. Ils recherchent avant tout une visibilité académique par la publication et ne réalisent pas toujours les possibilités qu'offrirait une collaboration avec une entreprise prête à développer des produits basés sur leurs découvertes", rappelle Laurent Miéville.

Pour en savoir plus:
Site d'Unitec
Conseils aux chercheurs pour une valorisation réussie
Quelques exemples de sociétés issues de l'Université de Genève

Propos recueillis par Alexandra Mossiere
Université de Genève
Presse Information Publications
Octobre 2004

7 octobre 2004
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