2004

Le recteur réagit aux dernières propositions de Pascal Couchepin

Le conseiller fédéral Pascal Couchepin, lors d'un séminaire du parti radical suisse le 19 juin dernier, a lancé un ballon d'essai sur l'avenir du système universitaire. Les coopérations entre hautes écoles mises en place depuis 1999 sont louables, mais insuffisantes, a-t-il dit en substance. Pourquoi dès lors ne pas aller un pas en avant et confier à la Confédération la responsabilité de tout le système universitaire? Les cantons verseraient une contribution correspondant au nombre d'étudiants qu'ils accueillent. Et les universités se verraient chapeautées par un organe national, à l'image des Ecoles polytechniques fédérales (EPF). Dans le cas où ce modèle serait jugé trop radical, ajoute Pascal Couchepin, l'on pourrait au moins envisager de "soulager les universités" de la charge considérable que représentent pour elles les Facultés de médecine. Dans ce dernier cas de figure, la "Confédération se chargerait des EPF, de la recherche et des Facultés de médecine". Les cantons garderaient le reste.

Comment ces propositions sont-elles reçues par le Rectorat de l'Université de Genève? Le recteur André Hurst, tout en soulignant qu'il est normal pour un ministre de poser des questions, même dérangeantes, voit mal comment l'ajout d'une nouvelle couche hiérarchique pour piloter les universités pourrait aider à relever les défis qui attendent les hautes écoles.

Cette fièvre centralisatrice n'est-elle pas étonnante, alors que la population a maintes fois eu l'occasion d'exprimer son attachement à des services de proximité?
André Hurst: Ce qui est valorisé dans une approche locale, proche du terrain, c'est la qualité. Plus on centralise et plus on prend le risque de perdre en créativité et en spontanéité, qui sont les moteurs de la recherche scientifique. Il est surtout étonnant que Pascal Couchepin ait prononcé ce discours alors qu'il revenait d'une visite dans la région de Boston. Sur un territoire équivalent à celui de Genève sont concentrés des instituts aussi renommés que Harvard, le MIT, Northeastern University, avec chacun leur direction et leur propre manière de faire. Et le Conseiller fédéral n'a pas critiqué ce modèle de développement. Il semble donc y avoir une contradiction.

Comment l'expliquez-vous?
Je crois qu'il faut être attentif au calendrier. Ces propositions sont arrivées alors que la Conférence universitaire suisse (CUS) allait se réunir pour discuter de la réorganisation de la médecine. On peut donc penser qu'il y a un élément tactique dans la démarche de Monsieur Couchepin: on lance une proposition assez énorme, tout en sachant qu'elle risque d'être refusée, pour pouvoir faire passer l'élément qui tient réellement à cœur, à savoir le regroupement des Facultés de médecine à l'échelon national.

Une proposition à laquelle vous êtes aussi opposé…
Ce serait un retour en arrière complet par rapport aux réformes de l'enseignement de la médecine mises en place depuis 12 ans. On accorde maintenant une place importante à l'approche clinique et humaine dès les premières années. Or, avec le modèle préconisé par Charles Kleiber, on retournerait à un système où les trois premières années seraient purement scientifiques et théoriques. Par ailleurs, on voudrait créer des usines à gaz, en regroupant les Facultés, alors qu'il faudrait plutôt scinder en deux la Faculté de l'Université de Zurich, beaucoup trop grande.

Vos collègues recteurs des autres universités sont-ils sur la même longueur d'onde que vous?
En ce qui concerne la médecine, le modèle conçu par notre vice-recteur Peter Suter, qui vise à maintenir les facultés de médecine dans le tissu des universités, fait maintenant la quasi unanimité. Seul Patrick Aebischer, président de l'EPFL, s'y oppose. C'est de bonne guerre, la réforme préconisée par Charles Kleiber donne aux EPF la possibilité d'enseigner les trois premières années de médecine…

L'approche centralisatrice ne permet-elle pas une vision plus objective sur les orientations à prendre?
Elle favorise une vision quantitative. On décide de la valeur d'une université ou d'une filière au montant des subventions FNS obtenues ou au nombre de citations dans des revues. On oublie de préciser que les crédits du FNS servent aussi à financer des équipements et pas seulement des recherches en tant que telles. Et pour ce qui est du nombre de citations, je reprendrais les propos d'un de mes collègues : vous voulez augmenter votre "index de citations"? Rien de plus facile. Publiez un article contenant une grosse bêtise et vous êtes sûr de provoquer une avalanche de citations… Il s'agit naturellement d'une boutade. Mais elle indique le caractère souvent arbitraire de ces critères quantitatifs. Selon cette logique, on voudrait aussi renoncer à enseigner certaines disciplines, sous prétexte qu'elles ne sont pas "rentables"(1). Voilà à quoi aboutit une approche par le haut.

Ne pensez-vous pas que la perspective de voir la Confédération s'impliquer davantage financièrement représente tout de même un avantage?
Que les universités soient financées par les cantons ou par la Confédération, c'est toujours notre argent, celui du contribuable, qui est en jeu. Savoir si l'argent passe par la poche gauche ou par la poche droite, passez-moi l'expression, mais c'est une question qui n'a pas beaucoup de sens.

(1) Voir à ce sujet le dernier "Mot du recteur"

Pour en savoir plus:
Allocution de Pascal Couchepin du 19 juin 2004 (document pdf 26kb)

Propos recueillis par Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Juillet 2004

5 juillet 2004
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