2006

L’herbier : première mesure de la biodiversité

Conserver et mettre en valeur les collections, telle est la mission première des musées. Mais à quoi sert une collection qui dort dans des coffres? La question ne se pose pas aux Conservatoire et Jardin botaniques de Genève, où les conservateurs sont avant tout des chercheurs, qui enseignent parfois à l’Université et qui mettent à la disposition du monde scientifique les fruits de leur minutieux travail d'inventaire, de détermination et de catalogage des espèces végétales. La botanique systématique offre ainsi à la biologie végétale de l’ère technologique un ensemble de données à haute valeur ajoutée, qui découlent de la grande tradition naturaliste. Où l’on perçoit, en lieu et place des querelles de clochers, l’intérêt pour les Modernes de se nourrir des Anciens, et inversement.

Pour mesurer l’évolution de la forêt dans deux vastes périmètres amazoniens, une équipe internationale de chercheurs s’est basée sur les relevés botaniques pratiqués par des naturalistes genevois. Rien d’hasardeux à cela, puisque Genève peut se targuer, en plus d’être dépositaire d’une longue tradition naturaliste, de conserver l’une des plus importantes collections d’espèces végétales au monde, un ensemble d’herbiers qui recensent des espèces originaires de tous les continents.

Ce qui peut surprendre en revanche, c’est une sorte d’inversion de la tendance dans le monde scientifique, qui revient, après une période de disgrâce marquée par la montée en puissance de la génomique, à ces données premières que sont les inventaires floristiques effectués sur le terrain. Les recherches conduites grâce à ces travaux ont fait l'objet d'articles dans la revue Nature en 2005 et 2006, ce qui est la preuve d'un regain d'intérêt.  Une fois les prélèvements effectués et nommés selon les règles traditionnelles du système binominal (d’abord le genre de la plante, ensuite l’espèce à laquelle elle est rattachée), ils entrent dans la constitution d’herbiers, d’où ils deviennent susceptibles de délivrer quantité d’informations irremplaçables et durables. En l’occurrence, pour ce travail en forêt amazonienne, le répertoire végétal utilisé résulte d’observations faites entre 1989 et 1996.

Quand la botanique systématique "à l’ancienne" permet des analyses de pointe
Rodolphe Spichiger, professeur de biologie végétale à l’UNIGE et spécialiste des flores africaine et sud-américaine, se réjouit de l'utilité retrouvée de la botanique systématique, une discipline qu’il enseigne et qui, bien qu’élaborée et perfectionnée à Genève depuis les premiers temps de l’Académie, semble souffrir d’une baisse d’intérêt en Suisse ; alors que les scientifiques anglo-saxons, eux, la remettent à l’honneur.

Ainsi, régulièrement, le vrai trésor qui occupe les sous-sols des bâtiments des Conservatoire et Jardin botaniques genevois est mis à haute contribution, induisant de fructueuses collaborations avec des biologistes formés à d’autres approches plus récentes. Continuellement enrichies par chaque génération de naturalistes formés à l’école de la systématique végétale, les collections genevoises ne vieillissent pas sous la poussière: des spécimens voyagent à travers le monde, demandés par les chercheurs, qui se réfèrent depuis leur lieu d’activité à ces sources patiemment prélevées sur le terrain. Utiles pour prendre la mesure de la biodiversité, pour envisager à long terme les politiques environnementales, pour comprendre l’impact des changements climatiques sur les écosystèmes, les «flores», ces inventaires descriptifs des plantes d’une région donnée, sont assurément des bases de données indispensables, pour l’Amazonie comme les Alpes, pour l’Afrique comme la Sibérie.

> Conservatoire et Jardin botaniques

17 octobre 2006
  2006