L'UNIGE restitue une tête réduite à l'Équateur

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La Plateforme pour la diplomatie du patrimoine culturel de l’UNIGE a accompagné avec succès le retour d’une «tzantza» à son pays d’origine.
Un processus qui a permis de déterminer que la tête réduite est authentique et qu’elle appartient à une femme.

Elle était conservée depuis des lustres en haut d’une armoire, placée dans une petite boîte rouge ayant autrefois contenu de l’argenterie d’une boutique genevoise et sur laquelle on avait inscrit «Jivaro». Et pour cause: en soulevant le couvercle tapissé de velours, on découvre, à la place de quelque bijou de valeur, une tête réduite humaine, de 8 centimètres de haut, comme tout droit tirée des aventures de Tintin. Ou plutôt une authentique tzantza, chevelue, arborant bandeau de plumes, collier et boucle d’oreille. Sortie de l’Équateur au début du siècle dernier, cette relique humaine a officiellement été rendue le 21 mai dernier aux autorités de son pays d’origine, sous l’égide de l’Unesco, au plus proche des communautés auxquelles son – ou plutôt sa – propriétaire a appartenu, à savoir les Shuars, vivant dans la forêt amazonienne. Et si l’opération a été un succès, c’est par l’entremise de la Plateforme pour la diplomatie du patrimoine culturel que l’UNIGE a mise sur pied précisément pour accompagner les États, les communautés, les musées et les particuliers dans la restitution de biens culturels dont la provenance est problématique (lire également l’encadré ci-dessous).
«L’histoire commence en 2023 avec une demande qui nous est adressée par un membre d’une famille suisse ayant hérité de la tête réduite et dont il ne savait pas quoi faire», explique Marc-André Renold, professeur honoraire à la Faculté de droit, actuel cotitulaire de la chaire Unesco en droit international de la protection des biens culturels et responsable de la plateforme. «N’ayant envie ni de vendre ni de jeter la relique, cette personne nous demandait de l’aide. Nous avons vite compris que l’histoire était intéressante. Nous avons donc accepté.»
Capturer l’esprit Selon la famille, la tête aurait été achetée ou reçue en cadeau par un aïeul, un certain Alexandre Baron Pallu de la Barrière (1870-1955), ambassadeur français à Quito entre 1928 et 1930, lequel l’aurait ensuite rapportée en Europe. À cette époque, de tels objets étaient très en vogue et alimentaient les cabinets de curiosités de privés. Le vestige humain est ensuite resté dans la famille, d’abord bien en vue, ensuite occasionnellement exposé puis définitivement rangé dans la boîte de velours rouge.
Les tzantzas font partie d’une ancienne tradition des Jivaros, un terme péjoratif utilisé par les premiers envahisseurs espagnols pour désigner un groupe d’une demi-dizaine de communautés indigènes vivant dans le bassin supérieur du rio Marañón, dans l’est de l’Équateur et le nord du Pérou. Les «chasseurs de têtes» appartenaient essentiellement à l’ethnie majoritaire, à savoir les Shuars. La production de ces têtes réduites (le scalp et la face sont détachés du crâne puis remplis de pierres) est signalée par les premiers colons européens présents sur le continent dès le XVIIe siècle. Elles sont d’une grande importance cérémonielle pour les Shuars. Le but est de capturer, à l’intérieur de la tête réduite, l’esprit (muisak) du guerrier ennemi qui a été tué au combat ainsi que sa force, son courage et sa sagesse. Ces pouvoirs sont ensuite transférés à celui qui l’a vaincu au cours d’un rituel et de fêtes qui peuvent durer plusieurs jours.
Restées confidentielles durant les premiers temps de la colonisation européenne, les tzantzas éveillent l’intérêt des Occidentaux au milieu du XIXe siècle. Les premières têtes rapportées suscitent une fascination anthropologique dans un contexte colonial. Répondant à une recherche d’émotions fortes et de curiosités exotiques, un commerce de ces objets se développe rapidement, accompagné de son lot de contrefaçons fabriquées à partir de têtes de singes, de paresseux ou de cochons. La majorité des pièces conservées dans les musées occidentaux seraient d’ailleurs des faux. La production des têtes réduites humaines est finalement interdite par la loi équatorienne dans les années 1960.

Une authentique femme Chargé de s’occuper de la tzantza genevoise lovée dans sa boîte de velours, Marc-André Renold commence par s’adresser au Musée d’ethnographie de Genève. On lui fournit un contact au sein de l’ethnie shuar mais ses démarches n’aboutissent pas. C’est finalement un article de la Tribune de Genève du 16 février 2023 traitant du sujet et publiant la tête réduite en pleine page qui finit par attirer l’attention de la mission équatorienne à l’Unesco à Paris.
L’Équateur se déclare intéressé par la récupération de cet artefact. Mais il exige que l’on s’assure au préalable de son authenticité. Ce travail de certification est confié à l’Unité de génétique forensique du Centre universitaire romand de médecine légale, dirigée par Vincent Castella. Le travail, comprenant notamment une analyse ADN, un scanner complet et une datation au carbone 14, est financé par l’Unesco, un geste assez rare pour être mentionné.
Livré le 4 novembre 2024, le rapport révèle que la tête est bien humaine, qu’elle daterait d’une période comprise entre 1800 et 1955 et que son origine, obtenue par le recoupement avec les bases de données génétiques mondiales, est effectivement la région équatorienne. La grande surprise est que la tête n’appartient pas à un homme, mais à une femme.
Un peu perplexes, les scientifiques se plongent alors dans la littérature anthropologique traitant des coutumes des Shuars pour tenter de trouver une explication. Ils en déduisent qu’il est peu probable qu’il s’agisse d’une guerrière tuée au combat (bien qu’il soit impossible de l’exclure). Plus plausible est l’hypothèse selon laquelle on aurait affaire à une chamane qui, à sa mort (accidentelle ou naturelle), aurait subi le même sort que les guerriers ennemis dans le but de s’octroyer ses pouvoirs.
Retour en terre connue Quoi qu’il en soit, l’authenticité de la tête étant certifiée, la restitution proprement dite peut avoir lieu. La remise formelle de la relique s’effectue finalement au siège de l’Unesco le
21 mai 2025 entre les délégations suisse et équatorienne, en présence d’Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la culture de l’Unesco, et de Marc-André Renold, représentant à cette occasion la famille suisse. La tzantza genevoise finira sa route, selon le bon vouloir des autorités équatoriennes, sur sa terre d’origine. Elle devrait être conservée au musée Pumapungo de Cuenca.
«Le succès de cette restitution souligne l’importance de la Convention de l’Unesco de 1970 pour la lutte contre le trafic illicite des biens culturels que la Suisse a ratifiée en 2002 et dont les principes ont guidé le retour de ce bien culturel ethnographique exceptionnel à son État d’origine, précise Marc-André Renold. Cette histoire illustre aussi l’utilité de la plateforme de l’UNIGE. Elle a permis la restitution d’une relique humaine dans d’excellentes conditions, a développé un intérêt diplomatique entre la Suisse et l’Équateur et généré une recherche scientifique qui fera l’objet d’une publication pluridisciplinaire.»


Anton Vos

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