Campus 100

Physique

Chasseur de planètes

En 1990, l’astrophysicien genevois Michel Mayor se prépare activement pour la chasse à la première planète extrasolaire. Il épingle son premier trophée en 1995 et, depuis, a contribué à la découverte de plus d’une centaine d’autres

exoplanète
Au moins cinq planètes orbitent autour de 55 Cancri, une étoile binaire se trouvant à 41 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Cancer. La plus grosse, ici au premier plan accompagnée d’un hypothétique satellite, est quatre fois plus massive que Jupiter. Les quatre autres évoluent beaucoup plus près de l’étoile. La plus petite d’entre elles possède une masse de quatorze fois celle de la Terre. (Lynette Cook)

Juin 1990, Val Cenis en Savoie. Durant trois jours, une centaine de scientifiques font le point sur les connaissances accumulées jusque-là dans une discipline récente: l’astrobiologie. Les savants rassemblés au cours du troisième symposium international autour de ce thème sont poussés par la même passion: l’origine de la vie et, pour beaucoup, la recherche de la vie extraterrestre. Plus de la moitié des interventions concerne d’ailleurs le programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) dont les membres scrutent le ciel depuis les années 1960 dans l’espoir de détecter des signaux venant d’une hypothétique civilisation qui se serait développée «ailleurs».

Egalement présents, deux astrophysiciens de l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève (Faculté des sciences) ont, quant à eux, abordé le problème par l’autre bout. Ce que cherchent le professeur Michel Mayor et son doctorant Antoine Duquennoy, ce sont des astres qui ressemblent au soleil et qui seraient à même d’héberger un éventuel système planétaire, quelle que soit sa forme. Leur exposé, Combien d’étoiles solitaires parmi les étoiles de type solaire? n’a probablement pas déchaîné l’enthousiasme. Les participants ne pouvaient pas savoir que Michel Mayor allait devenir quelques années plus tard l’auteur de la découverte de la première planète extrasolaire. Et inaugurer ainsi un gigantesque nouveau champ de recherche.

planètes

«S’amuser comme des fous»

Michel Mayor ne songe pourtant pas à pister des planètes lorsque, jeune astrophysicien dans les années 1970, il se spécialise dans la mesure des vitesses des étoiles. Mais il y contribue déjà. Il participe en effet à la construction d’un spectrographe, baptisé Coravel, qui est installé sur le télescope de l’Observatoire de Haute-Provence en 1977. Cet instrument est capable de mesurer par effet Doppler (c’est-à-dire par le même principe que les radars de la sécurité routière) la vitesse de rapprochement et d’éloignement des étoiles du ciel par rapport à l’observateur sur Terre. Le plus petit mouvement perceptible est alors de l’ordre de 300 mètres par seconde; l’appareil est le plus efficace de son temps, et de loin.

«Cet engin avait un tel avantage sur ses concurrents et était si facile et agréable d’usage qu’il nous a ouvert d’un coup un nombre considérable de champs de recherche (composition des étoiles, structure des amas globulaires et de la galaxie, etc.), précise Michel Mayor. Cela nous a donné un peu le vertige, mais nous nous sommes amusés comme des fous.»

Voisinage solaire

Enthousiastes, les astronomes s’attaquent donc à plusieurs problèmes en même temps. Parmi eux, il en est un qui consiste à détecter et à étudier méthodiquement les étoiles doubles (deux étoiles tournant l’une autour de l’autre) se situant dans le voisinage solaire (moins de 500 années-lumière de distance) et dont un des membres au moins est une étoile de type solaire. Ces systèmes binaires peuvent renseigner sur les mécanismes de la formation stellaire, un domaine encore fort mal compris. Un grand nombre de ces étoiles doubles sont déjà connues, mais les informations concernant leur masse, période et la forme de leurs orbites sont souvent lacunaires.

Michel Mayor et Antoine Duquennoy choisissent quelques centaines d’étoiles parmi les plus proches et commencent à mesurer leur vitesse radiale à l’aide de Coravel. Cette grandeur, si elle varie de manière périodique, peut en effet trahir la présence d’un second astre, souvent invisible au télescope. Ce travail de fond prendra près de quinze ans.

Au fur et à mesure que les deux chercheurs avancent dans leurs observations, ils remarquent cependant un fait intéressant: la taille des compagnons stellaires qu’ils découvrent varie beaucoup. Si la majorité d’entre eux possède une masse correspondant en moyenne à la moitié de celle du Soleil, il en apparaît des plus légères, jusqu’à moins d’un dixième de la masse solaire. On entre alors dans le domaine des naines brunes. Ces dernières sont des astres formés comme les étoiles ordinaires, mais qui ne sont pas assez massives pour amorcer des réactions nucléaires en leur cœur.

«En 1989, nous franchissons un seuil, raconte Michel Mayor. Toujours avec Coravel, nous détectons un objet de onze fois la masse de Jupiter autour de l’étoile HD114762. Cela devient intéressant. On se rapproche diablement de la taille des planètes.»

Les auteurs de la découverte, réalisée en collaboration avec une équipe de l’Université de Harvard aux Etats-Unis, discutent d’ailleurs intensément sur la vraie nature de ce compagnon stellaire dont on ne connaît la présence que par le biais des oscillations qu’il imprime à son étoile. Finalement, ils optent pour le qualifier de «naine brune de petite masse». Même si le mot «planète» n’est pas lâché, l’article, publié dans la revue Nature du 4 mai 1989, fait du bruit dans la communauté scientifique et relance l’intérêt pour la chasse aux planètes extrasolaires.

Un nouveau monde

Michel Mayor est conquis, lui aussi. C’est pourquoi il se rend au troisième symposium international d’astrobiologie qui se tient à Val Cenis l’année suivante. «C’est une date importante dans ma carrière, se souvient l’astrophysicien genevois. C’était la première fois que j’entrais en contact avec le monde des chercheurs de planètes. J’y ai rencontré de nombreux théoriciens sur l’origine de la vie, des biologistes, des astronomes bien sûr, mais peu d’observateurs du ciel comme nous. Ce symposium a été pour moi un signal m’informant que j’étais entré dans un autre domaine de l’astronomie, différent de ceux dont j’avais l’habitude jusque-là.»

Cependant, pour étoffer son tableau de chasse avec des trophées plus prestigieux qu’une petite naine brune, il lui faut un nouvel instrument, plus précis que Coravel. C’est alors que, comme une coïncidence, Philippe Véron, le directeur de l’Observatoire de Haute-Provence (OHP) lance la construction d’un nouveau spectrographe. Son objectif n’est pas la détection de planètes, mais la réalisation d’observations durant les nuits avec la Lune. L’idée est de construire une copie de Coravel améliorée et mise à jour du point de vue technologique (en intégrant notamment des caméras CCD et des fibres optiques). Les constructeurs de l’ancien spectrographe, dont fait partie Michel Mayor, sont invités à concevoir le nouvel instrument.

L’occasion est trop belle. Le chercheur genevois propose de construire deux instruments au lieu d’un seul, histoire de pouvoir observer aussi le ciel de l’hémisphère Sud. L’Université de Genève participe à l’effort, surtout dans le développement des logiciels d’analyse du signal. C’est à ce moment que Didier Queloz, alors doctorant, entre dans le projet. C’est ainsi que naissent Elodie en 1993, installée sur le télescope de 2 mètres de diamètre de l’OHP, puis Coralie en 1995, montée sur le télescope suisse Léonard Euler de 1,2 mètre à La Silla au Chili.

«Notre participation à la construction d’Elodie nous est rémunérée sous la forme d’une semaine d’observation à l’OHP tous les deux mois, explique Michel Mayor. Très vite, nous nous rendons compte qu’Elodie est vingt fois plus précise que Coravel.»

Une étoile intéressante

La campagne de mesures commence en avril 1994. Les chercheurs genevois ne font pas mystère de leurs ambitions puisque dans leur demande officielle de temps d’observation adressée à l’OHP, les astrophysiciens genevois stipulent qu’ils tenteront de déterminer les masses des objets entrant dans la composition des systèmes doubles «jusque dans le domaine des naines brunes et des planètes géantes».

Elodie, l’un des meilleurs spectrographes du moment, n’est pas le seul atout des chercheurs. Ils disposent également d’un logiciel d’analyse qu’ils ont développé eux-mêmes. Ce dernier leur fournit immédiatement la vitesse de l’étoile à partir de la mesure brute, une opération qui, normalement, dure des jours ou des semaines selon la quantité de données à traiter. Les astrophysiciens peuvent donc réagir tout de suite si une étoile révèle un comportement intéressant, contrairement aux équipes concurrentes.

Autre avantage, mais cela ils ne le savent pas encore: leur champ de recherche compte la détection d’oscillations d’étoiles dont la période dure plusieurs années, tout en étant ouvert à des périodes beaucoup plus courtes, de l’ordre de quelques jours. Cela vient du fait que leur programme inclut la détection de naines brunes dont ils ignorent tout et dont la période de rotation autour de l’étoile peut, a priori, prendre n’importe quelle valeur.

Fin prêts, les chercheurs ont dans leur collimateur une première sélection de 142 étoiles de type solaire. Après seulement quelques mois, l’une d’entre elles, 51 Pegasi, située dans la constellation de Pégase, fait apparaître les frémissements d’une oscillation périodique. Les premières estimations tablent sur la présence autour d’elle d’un objet de la moitié de la masse de Jupiter accomplissant une orbite complète en quelques jours seulement. Une valeur si basse est une surprise, mais ces calculs ne sont basés que sur quelques points placés sur un graphique.

Deux mois après avoir réalisé les premières mesures sur 51 Peg, les astrophysiciens disposent d’une nouvelle semaine d’observation. A la fin des sept jours, ils pensent avoir mis la main sur une étoile vraiment intéressante. Mais il manque toujours des mesures pour en être sûr. Et le temps presse: lentement, l’astre descend vers l’horizon et deviendra bientôt invisible pour des mois. Concentrant leurs efforts sur 51 Peg, Michel Mayor et Didier Queloz parviennent à tracer une éphéméride complète en janvier 1995, juste avant sa disparition du ciel.

A cet instant quelque peu suspendu, les astrophysiciens se tâtent: On y croit ou pas? Il faut dire que les arguments contre l’existence d’une planète comme celle de 51 Peg sont alors légion. Le principal concurrent des Genevois, l’Américain Geoffrey Marcy, vient en effet de publier un rapport préliminaire selon lequel, sur la base de l’analyse de 25 étoiles, il n’existe pas d’exoplanètes géantes. En février 1995, se basant sur le suivi d’une vingtaine d’étoiles au cours d’une décennie, le théoricien américain Alan Boss parvient, lui, à la conclusion que s’il existe des planètes géantes comme Jupiter dans d’autres systèmes solaires, elles ne peuvent avoir une période orbitale plus courte que dix ans.

Batterie de tests

«Alors imaginez une période de quatre jours! s’exclame Michel Mayor. Nous n’avions aucun doute sur la qualité de nos mesures, mais de nombreuses autres interprétations étaient encore possibles (activité magnétique, pulsation de l’étoile, etc.). Le maître mot était donc la prudence. Et la discrétion. Nous n’avons donc rien publié et avons attendu le retour de l’étoile dans le ciel.»

En juillet, 51 Peg revient au firmament. Les Genevois disposent une fois de plus d’une semaine d’observation à l’OHP. Une batterie de tests est infligée à l’astre qui les passe haut la main. Plus aucun doute n’est permis. 51 Peg possède une demi-Jupiter qui met 4,2 jours à effectuer une orbite complète. Un article scientifique est rédigé dans la foulée. Il paraît dans la revue Nature du 23 novembre 1995.

«Nous nous étions préparés à un intérêt médiatique important, précise Michel Mayor. Ç’a été la folie. On s’est dit que cela allait se calmer. Ça n’a pas été le cas.» En plus d’éveiller la passion du grand public, la découverte de la première planète extrasolaire draine d’énormes moyens humains et financiers dans ce domaine de recherche. Astronomes, théoriciens, constructeurs d’instruments: en tout, ce sont des milliers de personnes qui travaillent aujourd’hui dans ce secteur. Résultat, plus de 400 planètes sont désormais connues dont plus du tiers a été découvert par l’équipe genevoise.

Belle opportunité

«Notre équipe s’est considérablement étoffée, admet Michel Mayor. Au début nous étions deux. Aujourd’hui nous sommes 20. Nous avons obtenu plus de moyens, mais cela s’est fait progressivement, sur quinze ans.» Du coup, le groupe s’est diversifié et les chercheurs se sont spécialisés dans différentes méthodes de détection: la vitesse radiale des étoiles, la plus utilisée à ce jour; la mesure du transit des planètes devant leur étoile, ce qui provoque une faible chute de luminosité de l’astre; l’astrométrie, qui détecte les mouvements d’une étoile sur la voûte céleste; l’imagerie planétaire, c’est-à-dire la photographie des planètes illuminées par leur étoile.

Cependant, la plus belle récompense a sans doute été l’opportunité de développer un nouvel instrument, commandé par l’ESO (European Southern Observatory) et correspondant aux «rêves les plus fous» d’un chasseur de planètes: HARPS. Construit à Genève, ce spectrographe est installé en 2003 sur le télescope de 3,6 mètres de diamètre à La Silla au Chili. «Fonctionnant sous vide, d’une stabilité à toute épreuve, thermiquement contrôlé à quelques millièmes de degré près, HARPS est notre vaisseau amiral, s’enthousiasme Michel Mayor. Il n’a pas d’équivalent au monde. Il détecte des vitesses radiales d’étoiles de moins d’un mètre par seconde.»

En contrepartie de la fabrication de ce bijou, le consortium dirigé jusqu’à récemment par Michel Mayor (remplacé en 2008 par Stéphane Udry, professeur à l’Observatoire astronomique de Genève) est gâté par l’ESO puisqu’il reçoit 500 nuits de télescope sur cinqans. Cette générosité combinée aux performances de HARPS permettent de nombreuses découvertes dont celle de la plus petite planète extrasolaire connue à ce jour (sa masse vaut 1,5 fois celle de la Terre). Cette planète est toutefois si proche de son étoile que sa surface est probablement couverte de laves éternelles.

Au moment de sa mise en fonction, HARPS offre un avantage décisif aux Genevois vis-à-vis de leurs concurrents les plus directs qui ont, dans le passé, opté pour une technologie différente dans la conception de leur spectrographe. «Le choix des Américains leur a donné durant plusieurs années l’avantage sur nous, explique Michel Mayor. En plus, ils ont accès au télescope Keck de 10 mètres de diamètre à Hawaï. Ce n’est pas rien. En bref, ils étaient deux fois plus précis que nous. Mais quand HARPS est arrivé, nous les avons largement dépassés tandis qu’eux ont buté sur une limite que leur technologie ne permet pas de franchir.»

Du point de vue scientifique, la découverte de 51 Peg et de nombreuses autres planètes géantes situées très près de leur étoile a poussé les théoriciens à corriger leurs scénarios de la formation planétaire. Les mécanismes de base, proposés par Victor Safronov en 1969, demeurent inchangés (agglomération de grains de silicates ou de glace dans les régions extérieures du disque de gaz et de poussière qui s’appelle disque d’accrétion). La thèse d’Alan Boss reste également vraie: les planètes géantes ne se forment que dans les régions périphériques du disque d’accrétion.

Migration orbitale

En revanche, la découverte de Michel Mayor a mis en lumière un phénomène très important qui avait été totalement négligé jusque-là: la migration orbitale. Ce processus a pour résultat qu’une géante gazeuse formée très loin de son étoile subit, dans certaines conditions, des effets gravitationnels complexes et commence à suivre une trajectoire en forme de spirale jusqu’à se retrouver dans une orbite très proche de son étoile. La migration orbitale est à l’origine de la grande diversité des systèmes découverts à ce jour.

«Notre système solaire n’a quasiment pas connu de migration orbitale, précise Michel Mayor. Les planètes n’évoluent pas très loin de l’endroit où elles ont été créées. Cela vient peut-être du fait que le disque d’accrétion n’était pas bien massif et relativement pauvre en métaux. Il a donc disparu rapidement sans générer une migration orbitale importante.»

Ces effets gravitationnels sont parfois si violents qu’ils entraînent des bouleversements bien plus importants, comme l’apparition de planètes rétrogrades (tournant dans le sens contraire de la rotation de l’étoile) ou de planètes évoluant dans des plans orbitaux très inclinés (parfois perpendiculaires au plan équatorial de l’astre central).

Pour l’astronome genevois, pourtant, la plus importante contribution scientifique de son groupe a été de découvrir l’existence d’essaims de petites planètes (entre une et dix fois la masse de la Terre) très proches de leur étoile. Au moins 30% des étoiles de type solaire possèdent ce genre d’essaims qui représentent une configuration inédite puisque notre système solaire en est dépourvu.

Au point où en sont la technologie et l’expérience des observateurs du ciel, la chasse est désormais ouverte pour trouver une cousine de la Terre. La détection de la présence de planètes rocheuses dans la zone habitable, c’est-à-dire à une distance telle de leur étoile que l’eau peut être liquide et que la chimie complexe à l’origine de la vie puisse s’y développer, est plus que jamais à portée de spectrographe.