Campus 100

Société

La chute du mur a fait monter la température

Avec l’effondrement de l’Empire soviétique et la fin de la Guerre froide, l’économie mondiale s’est accélérée, ce qui s’est traduit par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Juste au moment où l’on voulait les limiter

Pollution
Du point de vue climatologique, la chute du mur de Berlin et ses multiples répliques politiques présentent un bilan global plutôt négatif. La fin de la Guerre froide a en effet permis de libérer des ressources jusque-là consacrées à l’effort militaire. «Dès le début des années 1990, l’économie mondiale s'accélère, résume Martin Beniston, directeur de l’Institut des sciences de l’environnement. L’industrie se développe, les nouvelles technologies explosent, Internet se répand… Tout cela a un prix. Sur le plan écologique, cette croissance se traduit par une augmentation sensible des émissions de gaz à effet de serre. Et ce précisément au moment où l’on commence à réfléchir sur les moyens visant à les faire baisser à l’échelle mondiale.»

C’est en effet en 1988 qu’est créé le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Cette initiative est due à l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM) et au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Les deux agences décident à la fin des années 1980, après plusieurs études scientifiques alarmantes, d’en savoir un peu plus sur le système complexe que forme le climat. Et particulièrement sur le lien avec ces gaz à effet de serre que l’on ne cesse de rejeter dans l’atmosphère, essentiellement à cause de la combustion des énergies fossiles, et dont on suspecte qu’ils pourraient provoquer, à terme, un réchauffement global désastreux.

Hypothèse ancienne

Pour les scientifiques, ce lien de cause à effet est une hypothèse ancienne. Précurseur en la matière, le Suédois Svante Arrhenius, Prix Nobel de chimie en 1903, avait déjà prédit à la fin du XIXe siècle qu’un doublement de la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère entraînerait une augmentation de la température globale de l’ordre de 4°C. «Un calcul remarquable puisqu’un siècle plus tard les meilleures estimations se situent toujours autour de cette valeur», note Martin Beniston.

Le mandat du GIEC consiste à rédiger des rapports sur le système climatique, son évolution, les causes et les impacts d’éventuels changements, etc. Pour ce faire, ils compilent les connaissances acquises par les chercheurs du monde entier concernant la problématique du climat. Ces documents, de plus en plus étoffés, servent de matériel de base à plusieurs conférences internationales, dont notamment le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 et la conférence qui a abouti au Protocole de Kyoto en 1997. Pierre angulaire de la stratégie mondiale de lutte contre les gaz à effet de serre, fruit d’âpres négociations internationales, cet accord oblige les pays industrialisés qui le ratifient à réduire d’ici à 2012 leurs émissions de 8% par rapport à celles de l’année 1990.

«Le problème, c’est que certains pays ont, entre-temps, connu une croissance importante qui s’est traduite par une augmentation de leurs émissions de gaz à effet de serre, précise Martin Beniston qui a codirigé un groupe de travail au sein du GIEC entre 1993 et 1997. Pour tenir leurs engagements, ces Etats devraient ajouter à la diminution demandée par l’accord une baisse supplémentaire au moins aussi importante. Un défi quasi impossible à relever, notamment pour les Etats-Unis qui sont le seul pays industrialisé à ne pas avoir ratifié le Protocole de Kyoto.» Aujourd’hui, les Etats-Unis ont augmenté leurs émissions de CO2 de plus de 15% par rapport à 1990.

L’échec de Copenhague

Aujourd’hui, malgré les efforts de nombreux Etats, dont ceux de l’Union européenne, tout le monde s’accorde à dire que les objectifs du Protocole de Kyoto ne seront pas atteints en 2012. De plus, des pays «en transition» comme la Chine, devenue le plus grand producteur de CO2 du monde, ainsi que l’Inde et le Brésil, qui montent inexorablement dans ce classement, ne sont pas liés par cet accord international, ce qui complique encore la donne. Preuve en est l’échec des négociations lors de la dernière Conférence sur les changements climatiques à Copenhague en 2009.

La Suisse, qui ne contribue que de manière minime aux rejets de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, a longtemps joué le rôle de leader en matière de politique environnementale. Mais, pour Martin Beniston, elle est en train de perdre sa place de premier de classe. «Au moment de la création du GIEC, la Suisse en était en effet le deuxième bailleur de fonds, après les Etats-Unis, relève-t-il. Cet exemple et bien d’autres montrent qu’à l’époque les questions environnementales se plaçaient très haut dans la liste des préoccupations des politiciens et du public. Depuis, nos voisins européens ont largement rattrapé leur retard, et plutôt que de continuer à œuvrer en tant que pionnière, la Suisse se contente de calquer sa politique environnementale sur celle de l’Union européenne. C’est d’autant plus regrettable que ce pays ne possède pas de lobby important dans le domaine pétrolier ou automobile.»

Autre regret: les nations riches dans leur ensemble ont manqué l’occasion de transformer profondément leur industrie au moment des chocs pétroliers des années 1970. Si elles avaient mis en place à cette époque des mesures importantes visant à préserver l’environnement – auxquelles de nombreuses personnes réfléchissaient déjà –, elles auraient économisé énormément d’argent. «Un seul exemple: en isolant parfaitement les bâtiments, on diminuerait de 60% les émissions dans les villes européennes, estime Martin Beniston. Si nous l’avions fait à l’époque, cela nous aurait coûté vraiment moins cher.»

Malgré tout, la situation est meilleure aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Le monde politique est nettement plus sensibilisé aux questions environnementales – malgré un scepticisme résiduel. Certains pays, comme la Suède ou le Danemark, ont démontré qu’il est possible de découpler croissance économique et émissions de gaz à effet de serre – un lien pourtant incontournable dans la tête de nombreux économistes pour qui croissance va de pair avec l’utilisation des ressources, notamment énergétiques. De nombreux progrès techniques ont été accomplis et la situation évolue dans le bon sens, même si cela ne va pas assez vite. «Il a fallu une génération pour parvenir à ce point, conclut Martin Beniston. Espérons qu’il n’en faille pas une deuxième pour amorcer le virage vert.»

Le paradoxe de l’Est

Paradoxalement, la chute du Mur a aidé certains pays à atteindre plus vite que prévu leurs objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre. C’est le cas notable de l’Allemagne. L’industrie de la RDA a en effet périclité dès l’ouverture de la frontière en 1989, entraînant par la même occasion une baisse importante de ses émissions au cours des années 1990. Grâce à la Réunification, entrée en vigueur en octobre 1990, le nouvel Etat a pu se targuer de présenter une diminution de ses rejets de gaz dépassant largement ses engagements individuels. De nombreux pays de l’Est ainsi que la Russie, dont l’industrie s’est également effondrée au cours des années 1990, ont vécu une évolution comparable. Cela dit, l’Europe des Vingt-Sept a, depuis, corrigé le tir et mis en place une répartition plus équitable de l’effort entre les pays membres.