Campus n°101

Dossier/les superordinateurs

Le Jaguar américain talonné par la nébuleuse chinoise

Deux fois par année, une liste des 500 superordinateurs les plus puissants du monde est publiée. La dernière, datant du mois de juin, a placé pour la première fois une machine chinoise à la deuxième place

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La définition d’un superordinateur varie avec le temps, et très rapidement. Le record mondial de vitesse de calcul est ainsi multiplié par un facteur d’environ 10 tous les cinq ans. En juin 1993, lorsque la Conférence internationale de calcul scientifique à Mannheim en Allemagne a publié sa première liste des 500 meilleures machines du monde, la première place était occupée par un appareil capable d’effectuer 60 milliards d’opérations (gigaflops) par seconde. Il appartenait à une institution de recherche en Californie spécialisée dans l’armement nucléaire (Lawrence Livermore National Laboratory). Cette performance est aujourd’hui à la portée d’un très bon ordinateur de bureau.

Depuis une année, le record est détenu par un superordinateur Cray, le Jaguar, installé au Oak Ridge National Laboratory au Tennessee. Ce caïd, qui occupe 400 m2 au sol, peut réaliser 1,76 million de milliards d’opérations (petaflops) par seconde. Ses domaines de prédilection sont les simulations du climat, de matériaux supraconducteurs, de réactions chimiques, d’astrophysique ou encore de processus de combustion.

Ascension inexorable

Le Jaguar est talonné, c’est une première, par un concurrent chinois, le Nebulae, installé à Shenzhen, près de Hong Kong. Cette machine confirme l’ascension inexorable de la Chine dans ce domaine technologique. Il y a un an, elle possédait une machine occupant la cinquième position et il est probable que la première place lui revienne dans un proche avenir.

Le 500e mondial, selon le dernier palmarès publié en juin 2010 (le prochain doit paraître en novembre 2010), dépasse les 24 mille milliards d’opérations (teraflops) par seconde. Le BlueGene/P installé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et dont l’Université de Genève est copropriétaire, lui, se porte honorablement, puisqu’il dépasse les 47 teraflops par seconde (117e mondial).

La Suisse possède cependant quelques machines plus rapides. La plus puissante est un Cray, baptisé Monte Rosa et installé au Centre suisse de calcul scientifique à Monna au Tessin. Pointant à la 27e place mondiale, il atteint les 168 teraflops par seconde (lire ci-contre).

Course en avant

La course en avant des supercalculateurs bute aujourd’hui sur un certain nombre d’obstacles techniques. Le principal est la surchauffe. Plus les microprocesseurs réduisent leurs composants et augmentent leur cadence de travail, plus ils dégagent de chaleur. Le défi consiste à refroidir suffisamment la machine pour qu’elle puisse continuer à fonctionner. Le Jaguar est doté d’un système très sophistiqué basé sur le changement de phase d’un liquide de refroidissement (le R134A). Le BlueGene lémanique, lui, est refroidi à l’air et à l’eau.

Par ailleurs, la miniaturisation extrême des puces provoque la fuite d’électron d’un circuit vers un autre. La seule façon de gagner encore en performance, avec la technologie actuelle, c’est d’augmenter le nombre de microprocesseurs contenus dans un supercalculateur. Mais cela pose ensuite le problème de l’interconnexion et du développement de logiciels capables de gérer une telle complexité.

Science-fiction

Pour ces diverses raisons, d’aucuns pensent que l’évolution des superordinateurs est dans sa dernière ligne droite. Mais c’est compter sans l’inventivité des professionnels de la branche. Les ingénieurs des grandes entreprises ou, plus souvent encore, de petites start-up, ont jusqu’à maintenant à chaque fois trouvé des moyens de contourner les obstacles. Résultat: le rythme de progression de la rapidité des machines se maintient sans faillir depuis bientôt vingt ans.

D’ailleurs, les constructeurs affirment déjà être dans la course pour l’exaflop (un milliard de milliards d’opérations) par seconde. L’objectif devrait, selon eux, être atteint dans dix ans (sans qu’ils sachent exactement comment ils y parviendront). Certains parlent déjà du zettaflop (mille fois plus rapide).