Campus n°102

Chimie

Première découverte pour le pôle «Biologie chimique»

Les chercheurs du Pôle de recherche national ont développé un nouveau composé qui permet de réaliser de l’interférence ARN, soit d’arrêter l’expression d’un gène donné. Un outil puissant pour la génétique

Le Pôle de recherche national (PRN) «Biologie chimique», basé à l’Université de Genève, débute fort. A peine a-t-il démarré officiellement le 1er décembre dernier que son directeur, Howard Riezman, est allé frapper à la porte du service de transfert de technologie UNITEC. Dans sa mallette, le professeur au Département de biochimie a amené la première découverte de son PRN. Il s’agit d’un composé chimique, mis au point par son laboratoire et celui de Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique. Cette molécule permet d’introduire des brins d’ARN dans des cellules vivantes et ce dans le but d’éteindre l’expression d’un gène précis.

«Ce phénomène s’appelle l’interférence ARN, rappelle Howard Riezman. Il a été découvert il y a une dizaine d’années et est devenu un outil très pratique pour les scientifiques actifs dans les sciences de la vie.» Concrètement, les chercheurs introduisent dans les cellules des doubles brins de siRNA (small interférence RNA) conçus de telle façon qu’ils s’hybrident avec leur cible, à savoir l’ARN messager «produit» par le gène que l’on veut endormir. Cette action empêche l’ARN messager de mener à bien le processus de traduction du gène en une protéine. Il entraîne aussi la destruction de ce même ARN par le système de défense des cellules. Ces dernières, bernées, croient en effet avoir affaire à une invasion de virus et sortent l’artillerie lourde pour les éliminer.

Entre 80 et 90% d’efficacité

L’interférence ARN est efficace puisqu’elle parvient à diminuer entre 80 et 90% de l’activité d’un gène. Il suffit pour cela d’introduire dans les cellules un peu plus de siRNA que le gène ne peut produire d’ARN messager.

L’opération bute cependant sur une difficulté: l’entrée des siRNA dans les cellules. Ces petites molécules doivent en effet être amenées à destination à l’aide d’un «véhicule» moléculaire, sinon cela ne fonctionne pas.

«Il existe sur le marché un produit qui permet d’effectuer cette opération, précise Howard Riezman. C’est la Lipofectamine 2000, un produit assez efficace. Le problème, c’est que ce composé complexe coûte cher, que sa formule est secrète et qu’il ne fonctionne pas avec tous les types les cellules. C’est pourquoi, nous nous sommes lancés dans la recherche d’une molécule alternative. Avec succès.»

Il est trop tôt pour décrire le composé découvert par les chercheurs genevois, étant donné que la procédure de dépôt de brevet est en cours. Tout au plus le chercheur laisse-t-il filtrer que sa molécule est beaucoup plus simple que sa concurrente et qu’elle fonctionne au moins aussi bien, en tout cas selon les premiers tests effectués sur des cellules humaines mises en culture. «Nous ignorons si notre produit peut fonctionner sur un être vivant», admet toutefois Howard Riezman.

Le PRN «Biologie chimique» part donc sur de bonnes bases d’autant que l’un de ses membres, Stefan Matile, a reçu un ERC Advanced Investigator Grant de 2 millions d’euros afin qu’il poursuive ses travaux sur la photosynthèse artificielle (lire en page 18). Par ailleurs, les premiers papiers commencent également à paraître dans les revues importantes comme Science. «Nous sommes déjà dans les actualités scientifiques», se réjouit le directeur.

Nombre gigantesque de réactions

L’objectif du pôle, doté d’un financement de 13,3 millions de francs sur quatre ans, est l’étude des processus biologiques qui se déroulent dans les cellules tout en gardant ces dernières vivantes. Ce qui se passe à l’intérieur de ces organismes échappe en effet encore largement aux sondes des chercheurs. Un nombre gigantesque de réactions biochimiques se déroule dans les cellules, mais elles restent en majorité invisibles et hors de contrôle.

La stratégie consiste à tabler sur des technologies innovantes déjà existantes ainsi que sur celles que les chercheurs du pôle développeront eux-mêmes. Ces derniers pourront également s’appuyer sur un outil puissant , la plateforme technologique ACCESS (pour Academic Chemical Screening Platform for Switzerland). Cette dernière ressemblera avant tout à une collection inédite de molécules de toutes formes et de toute nature, qu’elles soient organiques, métalliques ou autre.

ACCESS offrira la possibilité de réaliser des criblages, c’est-à-dire de soumettre des cellules vivantes à des séries de molécules et de dénicher celle qui possède exactement l’effet recherché. La plateforme sera établie pour l’essentiel à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, où travaille le codirecteur du pôle, le professeur Kai Johnsson.