Campus n°102

Perspectives

Le code nouveau est arrivé

Depuis le 1er janvier dernier, un nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur au niveau fédéral. Il unifie 26 codes cantonaux parfois très différents. Explications avec Bernhard Sträuli, professeur au Département de droit pénal

Ce nouveau code est-il censé simplifier la procédure pénale en Suisse?

Bernhard Sträuli: Harmoniser oui, mais pas nécessairement simplifier. Le nouveau code est assez lourd, notamment en ce qui concerne l’obligation de documenter les actes de procédure. En termes d’économie de procédure, certains cantons, dont Genève, vont y perdre. Cela dit, l’unification des 26 codes cantonaux constitue un progrès. Désormais, une perquisition sera effectuée dans tous le pays selon les mêmes règles; et un meurtre, qui était autrefois jugé selon un rituel pouvant varier d’un canton à l’autre, le sera au gré d’une procédure identique, les particularismes se limitant à la composition des tribunaux. Par ailleurs, cette réforme est intéressante pour les praticiens. Auparavant, le morcellement du droit ne permettait que rarement de générer de la jurisprudence et de la doctrine en quantité et en qualité suffisantes. Depuis le 1er janvier, les expériences réalisées à Saint-Gall, par exemple, pourront être reprises à Genève et inversement.

A Genève, le changement le plus important concerne la disparition du juge d’instruction. Qu’est-ce que cela implique?

La fonction du juge d’instruction est née avec le code d’instruction pénale napoléonien du début du XIXe siècle. Ce magistrat avait la particularité d’être indépendant et impartial. Distinct du ministère public, il était chargé d’instruire un dossier, seul ou en collaboration avec la police. Jusqu’à l’année dernière, tous les cantons romands et certains cantons alémaniques possédaient encore un juge d’instruction. Dans le nouveau système, cette figure disparaît. Ses principales fonctions passent aux mains du ministère public. Cela signifie que le procureur cumule désormais les casquettes d’autorité de poursuite et d’autorité chargée de l’enquête. De par la loi, ce magistrat a l’obligation d’instruire tout dossier à charge et à décharge alors même qu’il est l’adversaire naturel du prévenu. Ce modèle a déjà été adopté par certains cantons voilà plusieurs années, notamment Bâle-Ville et le Tessin. Le juge d’instruction, qui existe encore en France, a également été supprimé en Allemagne au milieu des années 1970 et en Italie à la fin des années 1980.

Le ministère public ne risque-t-il pas d’instruire un dossier uniquement à charge?

Cette crainte est exagérée. A Genève seulement 10 à 15% des affaires étaient instruites par un juge d’instruction. Les autres, d’importance moindre, étaient déjà traitées par la police et le ministère public. Et cela fonctionnait de manière satisfaisante. Quoi qu’il en soit, le système s’autorégulera. On peut sans doute qualifier de «suicidaire» le procureur qui irait en audience de jugement avec un dossier instruit exclusivement à charge; le risque de voir ce dernier se «dégonfler» durant le procès est bien trop grand.

Quelles sont les autres différences pour le justiciable genevois?

L’une des innovations, qui contrebalance d’ailleurs le pouvoir accru du ministère public, est l’apparition de l’avocat dit «de la première heure», qui n’existait pas à Genève. Aujourd’hui, toute personne entendue par la police en qualité de prévenu peut d’emblée être assistée d’un avocat. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui progresse plus vite que nos réformes législatives, en partie déjà dépassées avant même leur entrée en vigueur, prévoit d’ailleurs que l’interrogatoire par la police d’un prévenu en l’absence d’un avocat pourtant sollicité est simplement inutilisable comme moyen de preuve. Une autre nouveauté est la généralisation du double degré de juridiction, soit la possibilité pour les parties (accusation et défense) de soumettre un jugement de première instance à un contrôle complet, en fait (appréciation des preuves) comme en droit (application de la loi), par une instance cantonale supérieure, ce qui n’était par exemple pas possible à Genève dans les affaires de moyenne et grande criminalité.

Les professeurs de droit ont-ils été consultés dans la genèse de cette loi?

Sur le papier, oui. En réalité, fort peu d’observations venues de Suisse romande ont été prises en compte. Nous avons eu l’impression que le train était déjà lancé quand nous avons été sollicités. Dans les grandes lignes, la loi actuelle, dont l’avant-projet a été rédigé par un professeur de l’Université de Zurich, est un code de procédure zurichois mis à jour et comprenant des influences bernoises. Pour ne rien arranger, la version française est calamiteuse. A tel point que certaines dispositions disent en français le contraire de ce qui figure dans le texte allemand. Je crains que ces «bombes à retardement» n’aient pas encore toutes été détectées.

Cela peut-il se corriger?

Le texte est entré en vigueur tel quel. Il est néanmoins possible que la loi soit révisée rapidement, à l’image de la réforme du droit des sanctions dans le code pénal, entrée en vigueur en 2007 et presque aussitôt soumise au feu nourri de démarches parlementaires.

Contribuez-vous à former les magistrats aux subtilités du nouveau code?

Oui. La Faculté de droit a organisé en novembre 2010 une journée complète sur le nouveau code. Pas moins de 550 personnes y ont participé. Par ailleurs, les professeurs de droit pénal des universités romandes se sont fait un devoir d’offrir des formations aux procureurs et aux juges, mais aussi aux policiers et aux avocats des différents cantons de langue française. Maintenant, il appartient à ces praticiens de faire leur propre bout de chemin pour se familiariser avec le nouveau texte.

Propos recueillis par Anton Vos