Campus n°102

Géologie

Le sous-sol genevois mis au jour

La géologie de Genève est enfin complète. Une cartographie en trois dimensions des couches sédimentaires qui composent le sous-sol du canton a été réalisée dans une thèse qui vient d’être publiée

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La carte complète en trois dimensions du sous-sol genevois existe enfin. Les données géologiques très éparses accumulées sur le canton depuis un siècle ont été, pour la première fois, compilées, retraitées et corrigées afin d’obtenir un ensemble cohérent et exploitable. Le résultat le plus spectaculaire de ce travail, réalisé par Olivier Kaufmann dans le cadre d’une thèse en sciences de la terre qui vient d’être publiée, est un ensemble de modèles géologiques en trois dimensions parfaitement imbriqués à travers lesquels on peut évoluer virtuellement, depuis le toit de la molasse, situé à plus de 150 mètres de profondeur parfois, jusqu’à la surface. Cet outil permet de fournir des informations précises qui peuvent servir à l’exploitation durable des ressources du sous-sol.

Abondance de données

«J’ai essayé d’intégrer le maximum de données existantes, explique Olivier Kaufmann dont la thèse a été dirigée par Walter Wildi et Jean-Michel Jaquet, professeur et docteur à la Section des sciences de la terre et de l’environnement de la Faculté des sciences. Mes sources sont nombreuses mais les principales sont l’Atlas géologique de la Suisse, les documents du Service de géologie, sols et déchets (Gesdec), parmi lesquels on trouve pas moins de 13 000 sondages, des cartes géotechniques, géologiques et structurales, etc.»

Si l’abondance de données semble favorable à première vue, Olivier Kaufmann remarque vite qu’elle est souvent source de difficultés. Les trois cartes de l’Atlas géologique de la Suisse couvrant le canton de Genève ont ainsi été réalisées par trois géologues différents interprétant chacun à sa manière les observations faites sur le terrain. Le doctorant a dû développer une table de correspondance afin de produire, à partir des trois cartes d’origine, un seul support contenant toutes l’information concernant la géologie de surface, c’est-à-dire les affleurements des différentes couches géologiques.

«Ces cartes, qui remontent aux années 1930 et 1960, sont parfois inconciliables entre elles là où elles se joignent, précise Olivier Kaufmann. Je ne suis pas allé sur le terrain pour trancher ces dilemmes car les activités humaines ont grandement modifié les données géologiques de surface. J’ai donc raisonné autrement et déduit la nature du sol en me basant sur un modèle de la topographie actuelle du canton, le type d’érosion que subissent les différents types de roches et quelques sondages stratégiques.»

Autre écueil: les sondages. D’une profondeur variant entre 30 centimètres et 2 kilomètres, ils sont répartis sur tout le territoire, avec une légère préférence pour les zones couvertes par la ville et celle recouvrant les infrastructures du CERN. Sur les 13 000 forages existants, dont le plus ancien date de 1888, le doctorant en a révisé 3000. Il a lui-même déballé les rouleaux de papier rapportant les données géologiques des sondages. Et il s’est vite avéré que nombre d’entre eux comportaient des erreurs.

Voler au travers du sous-sol

«J’ai dû mettre au point une méthodologie de traitement des données permettant d’extraire les incohérences de la façon la plus automatique possible, souligne Olivier Kaufmann. Environ 2000 sondages étaient soit mal positionnés, soit mal interprétés. Il faut admettre que certaines couches sont extrêmement difficiles à distinguer et que ce travail a souvent été confié à des techniciens et non à des géologues.»

En tout, le chercheur a digitalisé pas moins de 5000 kilomètres de lignes de niveau et 600 kilomètres carrés de surfaces. Après avoir soumis le tout à des tests logiques et à des corrections à répétition, le doctorant a obtenu un produit d’une puissance spectaculaire. Sur demande, le logiciel de visualisation peut montrer la carte topographique du toit de la molasse où l’on reconnaît les surcreusements dus aux torrents sous-glaciaires. Il est possible de voir aussi les dépôts successifs de sédiments lacustres ou glaciaires qui ont comblé les trous. Beauté de l’informatique et de la réalité virtuelle, on peut même incliner le plan de vision et se prendre pour une mouette volant au travers du sous-sol genevois.

Les applications potentielles ne manquent pas: estimation des ressources de graviers et de sables destinés à la construction, évaluation du potentiel géothermique à basse température pour le chauffage des habitations ou encore protection des couches géologiques aquifères qui renferment les nappes phréatiques.

«Le sous-sol représente un capital naturel irremplaçable, estime Olivier Kaufmann. Il dispense des services environnementaux, comme le filtrage naturel de l’eau, la minéralisation de la matière organique ou encore le stockage des déchets. Il peut aussi se transformer en un capital anthropique puisqu’il fournit des matériaux de construction, de l’eau, de la chaleur et pourquoi pas de l’espace pour y héberger des infrastructures. Cependant, ces usages divers peuvent s’avérer antagonistes. C’est pourquoi il est indispensable de gérer cette ressource de manière responsable et durable dans le cadre d’un plan d’aménagement du territoire en trois dimensions.»

Anton Vos