Campus n°107

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n° 107 février-mars 2012
Dossier | FPSE

Ecole: les clés de l’efficacité

La recherche en sciences de l’éducation montre que les systèmes scolaires les plus efficaces sont aussi les plus équitables à l’image du modèle que constitue «l’école de base» finlandaise

La Peruskoulu, entendez «école de base» en finlandais, est aujourd’hui citée en exemple dans le monde entier. Régulièrement plébiscité par la recherche académique, le modèle pédagogique nordique figure également en tête de classement dans les enquêtes PISA menées depuis une dizaine d’années dans les pays de l’OCDE (lire ci-contre). Outre sa capacité à produire des élèves dont les compétences en lecture, en sciences et en mathématiques dépassent largement la moyenne internationale, il est par ailleurs très égalitaire, puisque l’écart entre les élèves les plus favorisés et ceux qui le sont le moins compte parmi les plus faibles au monde. Une telle réussite repose naturellement sur une multitude de facteurs dont certains sont propres à la Finlande, comme la très grande homogénéité de sa population, la longueur des nuits d’hiver qui a fait de la lecture une véritable habitude culturelle ou encore le fait que la télévision diffuse tous les programmes étrangers en version originale sous-titrée. Mais elle s’appuie également sur une série d’idées et de principes pédagogiques dont le bien-fondé est aujourd’hui clairement validé par les spécialistes des sciences de l’éducation. Explications avec Marcel Crahay, professeur au sein de la Section des sciences de l’éducation et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur l’analyse des systèmes éducatifs ainsi que sur la question de l’échec scolaire, parmi lesquels L’Ecole peut-elle être juste et efficace? dont une seconde édition est prévue en septembre 2012.

Quelles sont les principales différences existant entre le système scolaire finlandais et celui que nous connaissons à Genève?

Marcel Crahay: Alors qu’à Genève l’école est obligatoire dès 4 ans, elle ne commence qu’à l’âge de 7 ans en Finlande, un âge jugé (à raison) propice pour entamer les apprentissages scolaires. Elle s’étend ensuite sur neuf ans avec un programme commun à tous les élèves. Les notes n’interviennent que dans les dernières années de la scolarité et il n’y a pas de redoublement. En contrepartie, un important soutien est offert aux élèves dès qu’ils rencontrent des difficultés, l’ensemble du système étant basé sur le principe de la justice corrective.

C’est-à-dire?

Il y a trois façons de concevoir la justice à l’école. La plus simple repose sur le principe de l’égalité de traitement: on donne à chaque élève exactement la même chose, en espérant qu’un maximum tire parti de ce qui est offert. On a cru à une certaine époque à cette formule en espérant que cela amène plus d’égalité. Mais dans les faits, on constate que ce sont ceux qui entrent à l’école avec le bagage le plus élevé qui s’en sortent le mieux. Le deuxième modèle repose sur le principe d’égalité des chances. Il vise à réduire les inégalités socio-économiques en repérant dans les couches dites modestes les gens qui ont des dispositions particulières, puis en mettant en place les conditions susceptibles de les faire fructifier. Enfin, il y a l’idée de la justice corrective qui vise l’égalité des acquis en compensant les inégalités de départ par une différenciation appropriée des aides apportées aux plus démunis. Dans ce cas, l’objectif n’est donc plus de donner la même chose à tous, mais de donner plus à ceux qui ont le moins. C’est un peu la tendance actuelle avec toutes les politiques de discrimination dites positives, les ZEP en France ou le REP à Genève, qui ont pour objectif de compenser ou de corriger les inégalités d’origine socio-économique par des conditions pédagogiques adaptées aux élèves en difficulté.

Comment cela se traduit-il dans les faits?

En Finlande, dès qu’un élève montre des signes de faiblesse dans l’apprentissage de la lecture ou de la langue, on fait intervenir un spécialiste qui peut être un enseignant spécialisé ou un logopédiste. Si un élève a de la peine avec la fusion syllabique, par exemple, cela ne l’aidera en rien de faire davantage d’additions. Ce qu’il lui faut c’est un appui à la fois rapide et spécifique. Pour cela, il est indispensable que les enseignants disposent des moyens techniques et conceptuels nécessaires pour diagnostiquer au plus vite et au mieux les différentes difficultés d’apprentissage que peuvent rencontrer les élèves. C’est le cas en Finlande, où la formation universitaire pour les enseignants, y compris du primaire, dure cinq ans et correspond donc au niveau d’une maîtrise.

Au-delà du modèle finlandais, quelles sont les autres pistes dessinées par la recherche en sciences de l’éducation pour améliorer l’efficience des systèmes scolaires?

Le premier point, essentiel à mes yeux, est que lorsqu’on regarde les études internationales avec suffisamment de hauteur, on s’aperçoit que les systèmes éducatifs les plus efficaces sont également ceux qui sont les plus égalitaires. Etant donné que si vous maintenez un enseignement à deux vitesses, vous n’aurez jamais une bonne moyenne, j’aurais presque envie de dire que c’est justement parce que ces systèmes sont égalitaires qu’ils sont efficaces. De façon plus concrète, il existe aussi des possibilités d’améliorer les choses à l’intérieur des classes.

Comment?

Cela peut paraître logique mais un bon enseignant se définit en premier lieu comme quelqu’un qui gère bien le temps d’enseignement. Il faut veiller à ne pas perdre trop de temps entre les activités, à ne pas faire attendre les élèves, à maintenir leur concentration sur l’essentiel de ce qui doit être appris. Mais il faut également être attentif à ne pas verser dans l’excès inverse. Le trop nuit en tout. L’excès que l’on peut constater dans des pays comme le Japon ou la Corée conduit à une course au rendement face à laquelle les enfants survivent à peine. Cet acharnement pédagogique provoque beaucoup de dégâts.

La composition des classes a-t-elle une influence sur la réussite globale?

La recherche montre clairement que les classes de niveau, dans lesquelles on ne regroupe pas les élèves selon leur âge, mais selon leurs capacités, ne sont pas vraiment productives. A l’inverse, on constate une assez belle efficacité dans les classes hétérogènes. Dans ces cas-là, les élèves forts n’en pâtissent pas ou peu, tandis que les élèves faibles y gagnent beaucoup. Par ailleurs, les études sur le tutorat ont montré que lorsqu’on demande à des élèves de jouer le rôle de tuteur pour des élèves plus faibles, ceux-ci font d’importants progrès. Quant aux tuteurs, ils y gagnent en confiance et en réflexion méta-cognitive (la capacité d’auto-analyser ses démarches de pensée), Le système dit des «groupes de besoin» apporte également d’excellents résultats.

De quoi s’agit-il?

C’est une formule pédagogique développée aux Etats-Unis sous le nom de «plan Joplin» et qui est encore trop peu connue en Europe. Dans ce dispositif, la classe est constituée d’élèves du même groupe d’âge et dont le niveau est hétérogène. Cependant, à raison de deux ou trois fois par semaine, la classe est déstructurée et des sous-groupes sont créés en fonction des besoins ou des difficultés des élèves – et non plus en fonction de leur âge –, ce qui permet des interventions beaucoup mieux ciblées et donc plus efficaces. Dans le même genre d’idées, l’apprentissage coopératif consiste à diviser une tâche globale en différentes sous-tâches, d’attribuer ces dernières à chaque membre d’un groupe, puis à regrouper les membres pour réaliser la tâche ensemble (un peu à l’image d’un puzzle). Cette façon de faire donne de bons résultats pour tous, notamment pour les plus faibles.

Ce qui n’est pas forcément le cas du redoublement, pourtant encore officiellement utilisé à Genève…

L’inefficacité du redoublement est effectivement une évidence aujourd’hui. Un élève qui redouble progresse certes au cours de l’année qu’il répète, mais la recherche montre aussi que les élèves faibles qui ne redoublent pas progressent davantage. Dans le cas d’un redoublement, les difficultés rencontrées par l’élève ne seront reprises que l’année suivante, en espérant qu’avec une année de maturité de plus ou un autre enseignant les choses se passeront mieux. Ce pari s’avère le plus souvent inefficace et, qui plus est, extrêmement coûteux.

Qu’en est-il des notes, réintroduites à Genève suite au scrutin populaire du 24 septembre 2006?

Là encore, la recherche est claire: les notes chiffrées n’ont pas les effets positifs que certains leur attribuent. Au contraire, elles contribuent à créer un climat compétitif qui est contre-productif, du moins pour les plus faibles. Mais l’inconvénient majeur des notes, c’est qu’elles ne disent rien des difficultés de l’élève. C’est juste un constat qui ne permet pas de travailler sur la situation. L’enseignant qui reçoit un élève ayant de mauvaises notes ne sait rien de la nature de ses problèmes. Et ce d’autant plus que l’on sait que la manière d’attribuer des notes varie d’un enseignant à l’autre. En fin de compte, la seule chose sur laquelle les notes nous informent, c’est sur le jugement que l’enseignant porte sur la hiérarchie de sa classe.

PISA 2009: Genève perd le bonnet d’âne

Publiés en décembre dernier, les résultats détaillés de l’enquête PISA 2009 montrent qu’en Suisse romande les écarts de niveau se resserrent tandis que Genève, bon dernier en lecture dans les sondages précédents, cède le bonnet d’âne au Jura bernois.

Le «Programme international pour le suivi des acquis des élèves» (PISA) a été lancé en 2000 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Concernant aujourd’hui 65 pays, il repose pour l’essentiel sur une collecte de données effectuées tous les trois ans afin de jauger les aptitudes des élèves en fin de scolarité obligatoire dans le domaine des mathématiques, des sciences et de la lecture.

Au niveau international, l’enquête 2009 confirme les excellents résultats obtenus depuis une dizaine d’années par les pays nordiques, même si la Finlande, en léger recul, cède la première place du classement à Shanghai et qu’elle est également devancée par la Corée. Elle montre par ailleurs que les filles sont globalement plus avancées que les garçons. Quant à la Suisse, ses résultats généraux demeurent au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.

Les romands bons lecteurs

Au sein de la Confédération, d’importantes différences subsistent cependant en fonction des régions linguistiques. Ainsi, les élèves romands sont en moyenne légèrement meilleurs en lecture que leurs homologues alémaniques, alors que ces derniers brillent davantage en mathématiques et en sciences. Globalement, le Valais et Fribourg restent les cantons romands les mieux notés, mais les écarts sont moins marqués que lors des études précédentes, notamment à Genève qui semble avoir rattrapé une partie de son retard en lecture.

Autre bonne nouvelle: les progrès constatés auprès des élèves les plus faibles. A Genève, la part des individus se trouvant au-dessous du seuil minimal de compétences est passée de 21% en 2000 à 12% aujourd’hui. De la même manière, l’enquête souligne qu’à l’échelle romande, entre 17 et 35% des élèves présentant des facteurs qui devraient les prédisposer à échouer réussissent tout de même.

«Ce qui me semble surtout intéressant, c’est la façon dont ces résultats ont été présentés par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), commente Marcel Crahay, professeur au sein de la Section des sciences de l’éducation. Désormais, le classement entre nations ou entre cantons, qui a souvent paru être la seule chose importante dans le cadre de PISA, semble être passé au second plan. Les représentants de la CDIP ont en effet insisté à plusieurs reprises sur le succès que constitue la réduction des inégalités. Et c’est évidemment un changement de perspective dont on ne peut que se réjouir.»