Campus n°107

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n° 107 février-mars 2012
Recherche | Médecine

La connexine 36, au cœur du diabète

En augmentant la quantité d’une protéine présente dans la membrane des cellules bêta, les chercheurs ont réussi à accroître la production d’insuline et à protéger ces mêmes cellules contre les attaques de toxines responsables du diabète de type 1

C’est, en apparence, une cible idéale pour le pharmacologue cherchant à combattre le diabète. La protéine appelée connexine 36 (Cx36) est en effet impliquée dans deux processus qui sont à l’origine des deux formes de cette maladie caractérisée par une incapacité plus ou moins sévère à prélever le sucre circulant dans le sang.

Les travaux réalisés par le groupe de Paolo Meda, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme à la Faculté de médecine, ont d’abord révélé il y a quelques années que cette connexine permet de contrôler la fabrication d’insuline. La dérégulation de la sécrétion de cette hormone représente l’un des signes avant-coureurs de l’apparition du diabète de type 2.

Projet plus vaste

Selon une étude parue dans The Journal of Clinical Investigation du 1er décembre 2011 sous la plume des mêmes auteurs, il semble que la protéine améliore aussi la protection des cellules productrices d’insuline (les cellules b du pancréas) contre les attaques de certaines toxines qui causent leur destruction lors des premières phases du développement du diabète de type 1.

Le problème du pharmacologue, c’est que l’on ne sait pas encore comment agir efficacement sur cette connexine 36. Les chercheurs ignorent par exemple quelle voie de signalisation biochimique se charge, en amont, de réguler sa synthèse. Quelques pistes sont ouvertes mais elles n’ont débouché pour l’instant sur aucune avancée pratique significative.

C’est pourquoi Paolo Meda a lancé dans son laboratoire un projet plus vaste, visant à identifier des molécules capables d’agir, plus ou moins directement, sur la Cx36. Un appareillage semi-automatique, appartenant au Service de bio-imagerie de la Faculté de médecine, permet à cette fin de passer au crible des milliers de substances et de mesurer leur effet.

«La cellule b du pancréas est actuellement étudiée par des centaines de groupes dans le monde, rappelle Paolo Meda. Cet effort mondial très important n’a toutefois rien apporté de nouveau ces dernières années au traitement du diabète. Des médicaments sont même retirés, à l’image du Mediator, dont les effets toxiques ont récemment défrayé la chronique en France. Certains nouveaux produits parviennent néanmoins à percer, mais leurs effets secondaires sont tels qu’il est impossible de les prescrire sur le long terme, ce qu’exige une maladie chronique comme le diabète. Notre projet est donc une tentative de faire avancer les choses dans ce domaine.»

Présente chez tous les vertébrés, la connexine 36 n’est produite que par deux types de cellules: les neurones et les cellules b, regroupées en des petits îlots dits de Langerhans. La protéine est fichée dans la membrane cellulaire, qu’elle traverse 4 fois comme un fil cousu dans un tissu. En se regroupant, six molécules de Cx36 forment un petit passage, comme un pore, qui laisse entrer et sortir des ions (potassium, calcium…) et des petites molécules (acides aminés, métabolites, nucléotides…). Cette ouverture se connecte en général avec une structure semblable arborée par la cellule voisine, permettant ainsi l’échange direct de substances sans passer par le milieu intercellulaire.

Cette particularité permet aux cellules des îlots de Langerhans de se synchroniser lorsque arrive le moment de passer à table. Il est en effet impératif que la sécrétion d’insuline par l’ensemble des cellules b soit parfaitement coordonnée. Elle doit augmenter très rapidement et pendant environ une demi-heure après le début du repas, et retomber tout aussi vite quelque vingt minutes après. Si l’insuline continuait à être produite à haute dose au-delà, elle risquerait de causer une chute excessive du sucre sanguin (hypoglycémie) qui pourrait devenir mortelle.

Les recherches de l’équipe de Paolo Meda ont permis de montrer que chez des souris transgéniques, modifiées de manière à ne plus fabriquer de Cx36, cette synchronisation disparaît et la production d’insuline échappe à tout contrôle. Les animaux ne deviennent pas immédiatement diabétiques. Mais il suffit de les soumettre à un régime riche en graisses et en sucres pour qu’elles tombent malades.

Il se trouve que cette désynchronisation dans la sécrétion d’insuline est le premier symptôme mesurable chez les personnes en passe de développer un diabète de type 2. Un taux élevé et constant d’insuline dans le sang entraîne, à terme, une résistance à cette hormone de la part des tissus cibles comme le foie, les muscles et les tissus graisseux. Ce qui débouche, en fin de compte, sur une incapacité totale à absorber le sucre qui est dans le sang.

Aucune mutation touchant le gène de la Cx36 n’a pu être mise en évidence. En revanche, les chercheurs ont découvert un polymorphisme – le changement d’une des trois lettres codant pour l’un des 350 acides aminés de la connexine – qui est associé à une sous-population des diabétiques de type 2, ceux dont la sécrétion résiduelle d’insuline est la plus basse. Sur les 37 facteurs génétiques associés à ce jour au diabète, ce polymorphisme, bien que rare, présente le troisième risque relatif le plus élevé (36%), c’est-à-dire que les personnes qui le possèdent ont 36% de risques en plus de développer la maladie qu’une personne normale.

Difficile à étudier

Les connexines et les cellules β ne se laissent pas approcher facilement. Il est impossible de prélever un échantillon de pancréas sur un patient vivant sans déclencher une pancréatite. Pour obtenir du matériel humain, il faut donc se tourner vers les autopsies et les services de transplantation d’organes. Mais, même dans ce cas, il est extrêmement rare d’obtenir du matériel satisfaisant. Pour ne rien arranger, les connexines sont quasiment impossibles à détecter avec les techniques de mesure habituelles et leur demi-vie ne dépasse pas trois heures, ce qui fait que les analyses les manquent souvent.

Des chercheurs américains ont pu récemment étudier le pancréas de diabétiques de type 1 décédés après plusieurs dizaines d’années d’évolution de la maladie. A leur grande surprise, ils ont retrouvé des cellules b, alors qu’on pensait que le diabète provoquerait la perte totale des îlots de Langerhans.

A la suite de cette observation, qui indique qu’au moins quelques cellules b peuvent survivre et se reproduire dans un environnement diabétique, Paolo Meda a émis l’hypothèse que la Cx36 pourrait peut-être jouer un rôle de protection. «Depuis le début de nos recherches, et malgré les difficultés à les détecter, nous nous doutons que toutes les cellules b ne possèdent pas des Cx36, précise le chercheur. Certaines en ont, d’autres pas. Dans le cas du diabète de type 1, pour une raison inconnue, les cellules b sont subitement considérées comme des corps étrangers et détruites par le système immunitaire. Il nous semblait intéressant de voir si celles qui arborent à leur surface le plus de Cx36 survivent mieux, ce qui fournirait une explication aux observations faites sur les patients décédés.»

L’expérience lui a donné raison. Des souris génétiquement modifiées de manière à produire plus de connexines se sont portées comme des charmes alors qu’on leur administrait des doses de toxines qui, chez les souris normales ou défaillantes en Cx36, provoquaient à chaque fois une hyperglycémie, signe d’une chute de la sécrétion d’insuline et donc de la destruction des cellules b.

«Il existe une fenêtre d’action possible sur la connexine, résume Paolo Meda. Si l’on trouve une molécule qui augmente de manière significative la production de Cx36, on peut tenter de rétablir la synchronisation entre les cellules b et doper la sécrétion d’insuline chez les patients développant un diabète de type 2. En ce qui concerne le type 1, qui touche surtout les enfants, c’est plus délicat. Une étude scandinave a récemment montré qu’il était probablement possible de repérer une grande proportion des enfants susceptibles de développer cette forme de la maladie en analysant l’apparition dans le sang de certains antigènes. Si ce résultat était confirmé, cela fournirait une opportunité de prévenir la destruction irrémédiable des cellules b.»

Reste à trouver – ou à fabriquer – la molécule capable d’agir sur la Cx36. Il existe déjà certains composés de la famille des sulfonylurées, qui stimulent la production d’insuline et qui sont prescrits depuis bientôt trente ans à des millions de diabétiques de type 2. Des études récentes sur des souris ont montré qu’ils accroissent effectivement la production de Cx36, bien que le mécanisme d’action demeure, là aussi, pour l’instant méconnu.

Anton Vos