Campus n°108

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n° 108 avril-mai 2012
Dossier | Astrophysique

Polar sur la station spatiale chinoise

Conçu par des chercheurs genevois pour mesurer la polarisation du rayonnement des redoutables sursauts gamma, le détecteur POLAR a intégré le programme spatial chinois. Il devrait être envoyé dans l’espace en 2014.

Un sursaut gamma est une explosion cosmique qui a lieu en moyenne une fois par jour sur un point aléatoire de la voûte céleste. Il envoie dans l’espace une bouffée brève mais phénoménale de rayonnement de très haute énergie. L’événement est tellement violent que même si son origine est toujours une galaxie lointaine, il est facilement détectable depuis l’orbite terrestre, où il arrive sous forme de rayonnement gamma. Les scientifiques ont proposé plusieurs modèles pour comprendre ce phénomène extrême. Mais malgré toutes les mesures réalisées depuis des années sur ces objets, notamment grâce aux satellites INTEGRAL, HETE-2, SWIFT, FERMI et autres, ils n’en connaissent toujours pas la nature exacte.

Il est possible, toutefois, que le futur détecteur POLAR apporte enfin de précieux éclaircissements au sujet des sursauts gamma. L’appareil, dont le lancement est prévu pour 2014, a été conçu par des chercheurs de l’ISDC Data Centre for Astrophysics, rattaché à l’Observatoire de Genève, en collaboration avec des collègues du Département de physique nucléaire et corpusculaire de la Faculté des sciences. Il doit mesurer la polarisation de la lumière émise par ces explosions cosmiques, une mesure délicate mais dont le résultat permettrait de faire le ménage dans la poignée de modèles se faisant actuellement concurrence sur les tables des physiciens théoriciens.

«On pense que le sursaut gamma précède de peu la formation d’un trou noir, explique Nicolas Produit, chercheur à l’ISDC et concepteur de POLAR. Il peut s’agir de l’effondrement d’une étoile géante, de la collision de deux étoiles à neutrons ou autre. Mais plus les astrophysiciens mesurent des sursauts gamma, plus ils découvrent des cas particuliers qui rendent difficile l’élaboration d’une théorie.»

Les mesures traditionnelles des sursauts gamma enregistrent la localisation de la source ainsi que l’intensité et la «couleur» de la lumière émise. En mesurant la polarisation – ou l’absence de polarisation – du rayonnement, POLAR ajoute donc un quatrième paramètre qui doit permettre de se faire une idée de la taille de la source et de la présence d’un champ magnétique structuré ou chaotique.

Deux informations qui, selon le résultat, seront à même d’écarter un certain nombre de modèles théoriques.

Réunissant des chercheurs suisses, français et polonais, le projet POLAR possède une autre particularité: il est prévu qu’il soit lancé dans l’espace avec une fusée chinoise avant d’être installé sur la future station spatiale de l’Empire du Milieu, Tiangong 2 (palais céleste). Il s’agit même de la seule expérience étrangère à avoir reçu cet honneur.

«Nous sommes ravis de travailler avec les Chinois, précise Nicolas Produit. Les ingénieurs sont très compétents et les contacts sont très agréables. Par rapport à ses homologues du reste du monde, l’Agence spatiale chinoise est de loin celle qui dispose de la meilleure dynamique actuellement.»

Les seules difficultés viennent du fait que POLAR, étant censé être installé sur la station spatiale, fait partie du volet humain du programme spatial chinois. Et ce volet relève des affaires militaires dont le contenu est soumis la plupart du temps au secret défense.

«Il est très important pour nous de connaître à l’avance les spécificités sur l’environnement direct de POLAR une fois qu’il sera installé sur la station spatiale Tiangong 2, souligne Nicolas Produit. Les ingénieurs chinois nous ont volontiers fourni les niveaux de radiation et d’accélération auxquels sera soumis notre appareil. Mais dès qu’il s’agit de transmettre des plans un peu plus précis de la station juste autour de notre détecteur, le refus est systématique.»

Les chercheurs genevois semblent néanmoins dans les petits papiers de l’Agence spatiale chinoise car cette dernière a émis le vœu de continuer à travailler avec eux pour des expériences qui pourraient trouver une place dans les versions ultérieures – et plus grandes – de la station spatiale.