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L’avenir redoutable des cyclones
Une étude a établi que les risques de mortalité liés aux ouragans tropicaux vont augmenter. En cause: l’accroissement de la population et les changements climatiques. Les progrès accomplis pour diminuer la vulnérabilité des personnes exposées ne suffiront pas à contrer cette tendance
Le risque de destruction et de mortalité face à un cyclone tropical dépend de l’intensité de celui-ci, du degré d’exposition de la population, de la pauvreté et de la qualité de la gouvernance. Il faut par conséquent s’attendre à ce que, dans les vingt prochaines années, ce risque augmente de manière significative. En effet, d’une part, les prévisions des spécialistes tablent sur une accentuation constante de la pression démographique dans les régions concernées. D’autre part, les changements climatiques actuellement en cours auront certes pour résultat de diminuer sensiblement le nombre total de cyclones mais, surtout, d’augmenter leur intensité et plus particulièrement celle des plus violents d’entre eux. L’amélioration potentielle des conditions économiques et de gouvernance ne sera pas à même de contrebalancer totalement les effets de ces deux premières tendances.
4000 tempêtes tropicales
Ces affirmations sont le résultat d’une étude parue dans la revue Nature Climate Change du mois d’avril et portant sur des milliers de cyclones survenus ces dernières décennies. Le papier est signé par des chercheurs de l’Unité Changements climatiques et vulnérabilité du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), une unité soutenue par l’Université de Genève (lire encadré).
«Selon la base de données (EM-DAT), la référence en la matière qui est gérée par le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres de l’Université catholique de Louvain, le nombre de désastres causés par des cyclones a presque triplé en quarante ans, explique Pascal Peduzzi, responsable de l’Unité Changements climatiques et vulnérabilité. On ignorait toutefois quelle part de cette hausse vertigineuse était due à une amélioration de la récolte d’informations ou à une réelle évolution du risque lui-même. C’est justement pour y voir plus clair que nous avons entrepris cette étude dont le matériel de base est composé des mesures prises par satellites sur 4000 tempêtes tropicales répertoriées entre 1970 et 2009.»
L’un des facteurs susceptibles d’avoir exercé une influence sur la fréquence des cyclones est le réchauffement global. Lié à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, ce phénomène fournit en effet de l’énergie thermique supplémentaire à l’atmosphère et aux océans, ce qui revient à donner davantage de combustible aux ouragans. En réalité, l’effet de serre réchauffe la couche atmosphérique inférieure (la troposphère) mais rafraîchit celle qui est située au-dessus (la stratosphère). Ce déséquilibre a pour résultat paradoxal d’entraver la formation de ces gigantesques tourbillons. En d’autres termes, il y a plus d’énergie à disposition mais moins de tempêtes pour l’évacuer. Par conséquent, théoriquement du moins, les cyclones devraient être dans l’ensemble moins nombreux bien que les plus violents d’entre eux risquent de se multiplier.
Fréquence stable
Il ressort toutefois de l’analyse des 4000 cyclones que leur fréquence annuelle, toutes catégories confondues, est restée stable en 40 ans. Le nombre des plus puissants d’entre eux n’a pas changé non plus de manière significative. Ce n’est donc pas leur multiplication qui est responsable de l’augmentation du risque.
«Dans les années 1970, les images avaient une résolution de 9 kilomètres, souligne toutefois Pascal Peduzzi. Aujourd’hui, elle s’est améliorée, passant à 250 mètres. Ce changement modifie la mesure de la vitesse des vents, beaucoup moins précise dans le premier cas que dans le second, et rend difficiles les comparaisons entre les époques. Cela dit, la tendance prédite par les changements climatiques sera plus notable dans quelques décennies. On commence d’ailleurs déjà à entrevoir des changements mais ils sont encore noyés dans la variabilité saisonnière et masqués par les améliorations technologiques.»
Pertes humaines
Sur les 4000 cyclones recensés par les satellites, les chercheurs ont ensuite extrait ceux (environ 1700) pour lesquels il existe des informations sur EM-DAT concernant les pertes humaines. Ils ont ensuite superposé les cartes de ces cyclones à des cartes établissant le degré d’exposition de la population, c’est-à-dire la distribution de cette dernière sur le lieu et à la date où s’est déroulé l’événement.
Pascal Peduzzi et ses collègues ont également construit une énorme base de données comportant les paramètres censés définir la vulnérabilité (à ne pas confondre avec l’exposition) des populations concernées. Pour chaque lieu et date correspondant aux 1700 cyclones, ils ont défini pas moins de 43 indicateurs économiques, démographiques, environnementaux, sanitaires, développementaux, de gouvernance ou encore d’éducation.
Malgré un certain nombre de biais inévitables (imprécision sur les vitesses des vents, sur la comptabilité des morts, etc.), cette montagne des données a été enfournée dans un ordinateur très rapide. Et après des heures de calculs, l’analyse statistique a révélé les paramètres les plus à même de définir le risque de mortalité lié aux cyclones: l’intensité de l’événement, le degré d’exposition de la population, la pauvreté, l’isolement et la qualité de la gouvernance. Du coup, étant donné les conséquences des changements climatiques et l’importante croissance démographique qui est prévue dans les régions concernées, il est dès lors probable que la part du risque liée à l’intensité des événements et à l’exposition de la population aux cyclones augmentera dans l’avenir.
«Certains des paramètres que nous avons mis en exergue n’ont surpris personne, admet Pascal Peduzzi. D’autres comme la gouvernance et l’isolement étaient moins attendus. Cependant, c’est une chose de s’y attendre et une autre de le montrer statistiquement.»
Le Bangladesh illustre bien le rôle joué par un paramètre comme la gouvernance. Depuis les années 1970, ce pays, particulièrement exposé, a déployé d’énormes efforts dans la prévention de ce genre de catastrophes. Plus de 5000 abris ont été construits, même pour le bétail, un système d’alerte précoce a été mis au point, comprenant 200 centres relais dans le pays et reposant sur 10 000 volontaires. Il existe des plans d’évacuation et la population est entraînée à ce genre d’événement. Résultat, quand le cyclone Sidr a frappé la côte en novembre 2007, il n’a tué «que» 4500 personnes, un bilan qui aurait pu être pire quand on sait que les vents ont atteint 250 kilomètres/heure.
Le contre-exemple est Nargis qui a touché la Birmanie en mai 2008. Moins puissant que Sidr et s’abattant sur une région moins peuplée, Nargis a tué 138 000 personnes. Mal préparée – le bulletin d’alerte n’est même pas passé sur les radios et n’a été publié que dans les pages intérieures d’un quotidien – la population a été totalement prise au dépourvu.
Autre comparaison: Cuba déplore très peu de morts liés à ces événements climatiques extrêmes, alors que le pays est situé dans le couloir des ouragans. Il faut dire qu’à chaque fois, toute la population située sur le trajet du cyclone est évacuée, de force s’il le faut. Ce sont des manières peu démocratiques mais le résultat, en l’occurrence, est plutôt positif.
Les Etats-Unis, moins exposés que la grande île des Antilles et où la population est libre de rester ou de fuir devant le danger, enregistrent quant à eux régulièrement des décès, notamment en Floride. Pire: lors du passage de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en août 2005, le gouvernement n’avait même pas les moyens pour organiser une évacuation efficace. Pourtant, la tempête n’était que de force 3, sur une échelle allant de 1 à 5. Mais une digue s’est rompue causant une inondation désastreuse. Et la mangrove, détruite depuis longtemps, n’a pas pu jouer son rôle protecteur contre la vague qui accompagne les cyclones.
«C’est la vulnérabilité d’une population, beaucoup plus que son exposition à l’événement, qui joue un rôle important dans les cas de cyclones de relativement faible intensité, note Pascal Peduzzi. En revanche, quand on a affaire à des cyclones de classe 5, le simple fait d’être exposé constitue la plus grande partie du risque.»
Anton Vos