Campus n°110

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Dossier | LIVES

Le couple à l’épreuve du Cancer du sein

L’apparition de cette maladie peut fragiliser, ou du moins mettre à l’épreuve la relation conjugale. Mais le soutien du partenaire, s’il est bien dosé, peut aider la patiente à surmonter les affres du «crabe»

Le cancer du sein possède tous les ingrédients pour bouleverser la vie de la femme qui en est atteinte: il est potentiellement mortel, les traitements sont très lourds en effets secondaires et il affecte une partie intime du corps à caractère sexuel. Mais la patiente n’est souvent pas seule dans l’adversité. Son entourage, et plus particulièrement la relation de couple qu’elle entretient avec un(e) partenaire, encaisse lui aussi le coup. C’est ce dernier aspect – l’impact du cancer du sein sur les relations interpersonnelles – que se proposent d’étudier Nicolas Favez, professeur, et Linda Charvoz, assistante à la Section de psychologie, dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES.

Une trentaine de couples

L’enquête genevoise n’en est encore qu’à ses débuts. Une soixantaine de femmes vaudoises – recrutée via l’Unité de sénologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) – ont accepté de répondre aux questions des enquêteurs. Une trentaine d’entre elles ont réussi à convaincre le partenaire (quand il y en avait un) de participer aussi. C’est peu mais caractéristique des études de ce type en psychologie.

Les résultats de l’étude seront donc tout autant qualitatifs que quantitatifs. «Avec une maladie comme le cancer du sein, dont la nature, le traitement et l’acceptation par la patiente peuvent prendre des formes très diverses, chaque relation de couple devient une situation particulière, souligne Nicolas Favez. Cela dit, nous avons l’habitude de travailler avec des échantillons aussi petits. Même dans des études sur la parentalité normale, pour lesquelles il y aurait a priori beaucoup plus de candidats, il nous est très difficile de recruter des couples.»

Les participants à l’enquête sont suivis sur deux ans. L’idée est de connaître non seulement l’état de la relation au moment du diagnostic mais aussi son évolution dans le temps.

Concrètement, les membres du couple reçoivent un questionnaire et participent à des entretiens filmés, seuls ou à deux. Les questions ont trait à la manière dont ils ont réagi au diagnostic, à la façon dont la maladie est vécue, au soutien, à l’existence de réseaux sociaux, à l’impact que pourrait avoir l’affection sur la relation, etc.

Bien que l’analyse des données n’ait pas encore vraiment commencé, Nicolas Favez a déjà noté plusieurs observations. Les réactions du partenaire à l’annonce de la maladie, par exemple, varient beaucoup. Elles vont du soutien sans conditions à l’apparition d’importantes réticences face à la perspective d’affronter le cancer de sa compagne et ses conséquences. Et face au comportement de leur conjoint, certaines patientes font des aménagements. Comme cette femme qui affirme se sentir soutenue et n’avoir eu aucun problème à partager ses sentiments avec son partenaire tandis qu’elle admet, plus tard dans l’entretien, que son conjoint ne l’a plus vue nue depuis que la maladie s’est déclarée.

«Nous entrons dans l’intimité des gens mais cela se fait selon un protocole éprouvé depuis longtemps en matière de consentement et de confidentialité, explique Nicolas Favez. Nous travaillons étroitement avec l’infirmière de référence de l’Unité de sénologie du CHUV. Cette professionnelle assure de toute façon le suivi de ces femmes. Cela dit, les confidences intimes sortent relativement vite. L’impact symbolique du cancer du sein sur la vie de couple y est évidemment pour beaucoup.»

Décalage

Pour se faire une idée de la qualité de la relation maritale, les chercheurs font appel à une technique éprouvée. Ils demandent à chaque partenaire de décrire l’autre en cinq minutes. Ils savent, grâce à des études antérieures, qu’avec un temps si court, les personnes issues d’un couple en difficulté ont tendance à émettre très rapidement des critiques sur leur conjoint.

Quant au choix de filmer les entretiens, cela permet de tirer des informations sur les émotions véhiculées par les gestes, les postures et les expressions. Les messages ainsi transmis peuvent d’ailleurs être en décalage avec le discours.

Parmi les nombreux points abordés par le questionnaire se trouve aussi la sexualité. L’enquête se focalise particulièrement sur le désir, l’attirance et la satisfaction sexuelle, autant de sentiments que la maladie est susceptible d’altérer chez la patiente comme chez le partenaire. Le sujet demeure néanmoins délicat et provoque parfois des réactions surprenantes. «Une femme atteinte par le cancer du sein, à qui nous avions soumis nos questionnaires pour évaluation avant le début proprement dit de l’étude, a d’abord pensé que nous nous moquions d’elle lorsqu’elle a compris que nous voulions poser des questions sur la sexualité, se souvient Nicolas Favez. A ses yeux, il était évident qu’elle ne referait plus jamais l’amour. Elle n’imaginait pas qu’il puisse en aller autrement.»

L’étude genevoise est l’une des premières menées en Suisse à s’intéresser aux effets d’une maladie somatique sur les relations interpersonnelles en employant une méthodologie d’investigation mixte, alliant questionnaires et entretiens. Il en existe ailleurs dans le monde, notamment aux Etats-Unis, mais relativement peu. Et les travaux réalisés jusqu’ici, contrairement à l’approche des psychologues genevois, ne récoltent souvent que le témoignage d’un seul membre du couple. Cela permet de rassembler des échantillons plus importants mais les chercheurs risquent ainsi de passer à côté d’une partie importante des données du problème.

«En effet, une différence apparaît parfois entre le soutien perçu par la patiente et celui qui est réellement reçu, explique Nicolas Favez. En récoltant l’avis des deux membres du couple, nous nous faisons une idée plus précise de la situation réelle. C’est important dans une perspective clinique. Chez une femme qui déclare qu’elle manque de soutien, par exemple, la cible d’intervention d’un thérapeute ne sera pas la même s’il constate qu’elle en manque effectivement ou s’il s’aperçoit qu’elle bénéficie en réalité d’une aide importante sans le percevoir comme tel.»

Aider à aider

L’objectif, pour Nicolas Favez, serait de pouvoir intégrer le couple dans l’action médicale et psychologique mise en place en cas de cancer du sein et qui demeure jusqu’ici focalisée essentiellement sur la patiente. Une telle stratégie permettrait non seulement d’aider le conjoint qui peut se trouver lui aussi dans une grande souffrance tout en n’osant pas l’exprimer. Cela fournirait aussi la possibilité d’aider le partenaire à soutenir la patiente.

Ce dernier point n’est de loin pas trivial. «Le soutien efficace, qui permet à la patiente d’aller mieux, est un moyen terme, conclut Nicolas Favez. Le risque principal identifié jusqu’ici était que le conjoint, incapable ou non désireux de faire face, s’enfuie. Mais il arrive aussi qu’il se dédie totalement à la maladie et que cet engagement excessif ait finalement un impact négatif. L’idéal consiste à la fois à fournir un soutien et à avoir confiance dans la capacité de la patiente à s’en sortir toute seule.»