Campus n°112

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Dossier | linguistique

Gènes et Mots en Asie de l’Est

Une étude génétique et linguistique soutient que l’Asie de l’Est a été peuplée via deux routes contournant l’Himalaya par le sud et par le nord

Le peuplement de l’Asie de l’Est par l’homme moderne est un processus très complexe pour la compréhension duquel la linguistique, une fois de plus, peut apporter une aide précieuse. Selon l’une des théories dominantes, la migration se serait opérée par une route venant d’Afrique et passant par le sud de l’Himalaya. Cette population originelle aurait ensuite essaimé vers le nord et aurait donné naissance à tous les habitants de l’Asie de l’Est dont la plus grande partie est occupée par la Chine actuelle.

Mouvement venu du sud

Dans un article paru le 4 janvier 2011 dans la version en ligne de la revue American Journal of PhysicalAnthropology, Da Di et Alicia Sanchez-Mazas, respectivement assistant et professeure au Laboratoire d’anthropologie, génétique et peuplements de la Faculté des sciences, remettent en question cette vision. Leurs principaux résultats, basés sur des données génétiques provenant d’études en partie chinoises qui, n’ayant jamais été traduites, sont restées ignorées jusque-là en Occident, soutiennent un modèle alternatif, dit «de la pince». Il en ressort que le peuplement de l’Asie de l’Est aurait commencé, il y a entre 50 000 et 60 000 ans, par un mouvement venu du sud mais aurait été suivi quelques dizaines de millénaires plus tard par une migration ayant contourné l’Himalaya par le nord. Les données révèlent même que les groupes de migrants du sud étaient relativement isolés et de petite taille, contrairement à ceux du nord qui auraient vécu une histoire démographique beaucoup plus stable. Les deux courants se seraient rencontrés quelque part au nord du fleuve Bleu (Yangzi Jiang) avant que les nouveaux arrivants ne se mélangent progressivement avec les populations autochtones au cours de leur marche vers le sud.

Dans le cadre de ce travail, la linguistique a d’abord servi à cataloguer les populations actuelles de l’Asie de l’Est selon leur langue. Ces idiomes sont classés en cinq familles. Les langues altaïques (mongoles, toungouses; turques), sino-tibétaines (chinoises et tibéto-birmanes), hmong-mien (parlées au sud de la Chine, nord du Laos et du Vietnam), tai-kadai (dont fait partie le thaïlandais) et austro-asiatiques (vietnamien, khmer, etc.).

«Entre la génétique et la linguistique, on ne travaille pas sur la même échelle de temps, précise Da Di. Si la première permet de remonter dans l’histoire du peuplement humain sur des dizaines de milliers d’années, la seconde, qui cherche à reconstruire les ancêtres communs des langues actuelles, se limite aux dix derniers millénaires, au grand maximum, du moins selon l’avis de la majorité des linguistes.»

Cela dit, dans la plupart des cas, les populations parlant des langues apparentées présentent également moins de différences génétiques. Ainsi, l’étude genevoise a montré qu’existe une affinité génétique entre les locuteurs des langues altaïques, les Japonais et les Coréens. Cette observation tendrait donc à soutenir une hypothèse linguistique – longtemps repoussée mais actuellement de moins en moins contestée – selon laquelle toutes ces langues feraient partie de la même famille, elle-même étant liée, selon de nombreuses études, à des populations migrant en Asie de l’Est par une route passant par le nord de l’Himalaya.

Il semble par ailleurs que les Sino-Tibétains du nord soient plus proches, du point de vue génétique, des Altaïques, tandis que les Sino-Tibétains du sud s’apparenteraient davantage aux Hmong-mien, Tai-kadai et Austro-Asiatiques. Ce profil génétique est cohérent avec la distribution linguistique puisque le mandarin, qui est parlé au nord, a été influencé par les langues altaïques. Au sud, on trouve un assemblage d’un grand nombre de langues ou dialectes chinois (dont le cantonais).