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Aux Nations unies, le lac souffle le chaud et le froid

Le système Genève-Lac-Nations, qui rafraîchit des bâtiments en utilisant les eaux profondes du Léman, remplit son rôle mais pourrait mieux valoriser la ressource naturelle, estime une thèse en sciences de l’environnement

C’est bien, mais peut mieux faire. Le système de climatisation utilisant les eaux profondes du Léman pour refroidir une dizaine de bâtiments de la Genève internationale (le réseau GLN, pour Genève-Lac-Nations) a atteint son objectif principal: il rafraîchit les locaux durant l’été et son impact sur l’environnement est négligeable. En revanche, le dimensionnement de l’installation n’est pas optimal et le choix d’offrir, pour les prestations de froid, du 100% renouvelable dans tous les cas de figure n’est pas des plus pertinents. C’est ce qui ressort de la thèse en sciences de l’environnement défendue l’été dernier par Pierre-Alain Viquerat, alors doctorant au Groupe Energie de l’Institut Forel (Institut des sciences de l’environnement, Faculté des sciences).

Le réseau GLN a été mis en service en juin 2009 dans le but d’offrir une alternative à la multiplication rapide de systèmes de climatisation classiques, très gourmands en électricité. Le dispositif, exploité par les Services industriels de Genève (SIG), capte de l’eau du lac à 37 mètres de profondeur et l’achemine, via une station de pompage, vers les bâtiments. Là, un ou plusieurs échangeurs de chaleur permettent de transmettre le froid à un circuit secondaire et de rafraîchir les locaux. L’eau, en sortant du Léman, possède une température variant entre 6 et 9° C. Elle y retourne après utilisation réchauffée aux alentours de 14°C. La seule énergie nécessaire au fonctionnement du dispositif est l’électricité utilisée pour faire tourner les pompes.

Économies d’électricité

«Le rafraîchissement en été fonctionne bien, précise Pierre-Alain Viquerat. Il n’y a pas de soucis du point de vue du confort du client. En plus, la mise en service du réseau GLN a eu un effet positif sur la consommation d’électricité du quartier. Celle-ci a légèrement diminué ces dernières années contrairement à une tendance générale à la hausse.» La satisfaction est identique du côté du refroidissement des salles de serveurs informatiques, qui est nécessaire tout au long de l’année.

Le bilan environnemental est lui aussi positif. Le fait de prélever de l’eau froide du fond du lac et de la rejeter proche de la surface à une température plus élevée induit des effets thermiques mais, selon les mesures réalisées régulièrement, ceux-ci sont très localisés et faibles. La faune et la flore n’y ont vu, pour l’instant, que du feu. La dynamique naturelle, en particulier les fortes bises qui brassent les couches thermiques du lac et décapent les sédiments, provoquent beaucoup plus de remous parmi les bêtes et les plantes.

Le problème, c’est que la valorisation de la ressource naturelle n’est pas optimale. La thèse de Pierre-Alain Viquerat identifie plusieurs raisons à cela. D’abord, les SIG ont voulu offrir à leurs clients un système de refroidissement fourni à 100% par le réseau GLN. Ils ont aussi dimensionné le débit d’eau froide de façon à ce qu’il puisse répondre au maximum de puissance demandée, notamment lors des pics de chaleur en plein été. Finalement, l’efficacité globale du système est fortement liée à la gestion de l’une des pièces clés du système, l’échangeur de chaleur dont le réglage par le client lui-même n’est pas toujours parfaitement adapté. Résultat: le système n’est pas exploité au maximum de ses possibilités, ce qui se traduit par une température trop basse de l’eau rejetée dans le lac. Pour le chercheur, qui travaille depuis pour les SIG, seul un travail main dans la main entre son nouvel employeur et les clients permettrait de mieux maîtriser les débits, et donc d’améliorer l’efficacité globale du réseau et la qualité de la prestation.

«Selon moi, pour valoriser ce réseau thermique, il vaudrait mieux dimensionner les concessions octroyées aux clients de manière à les approvisionner aux environs de 90% en énergie thermique du lac, explique Pierre-Alain Viquerat. Cela permettrait de couvrir de 50 à 90% de la demande maximale (puissance) selon le type de bâtiment, De cette manière, le système serait utilisé de façon optimale durant une plus grande partie de l’année. Il suffirait de recourir aux appareils de climatisation traditionnels (machines frigorifiques) pour faire face aux demandes de pointe. Du coup, on pourrait ainsi connecter plus de bâtiments au réseau.»

Le chercheur propose également des pistes pour améliorer les choses du point de vue économique. L’une d’elles consiste à brancher, en hiver, l’eau du lac à des pompes à chaleur et de réchauffer ainsi les bâtiments. Cela permet d’utiliser le même volume d’eau plusieurs fois. Durant le reste de l’année, et en addition des prestations de refroidissement, l’eau du lac peut aussi être utilisée pour l’arrosage des parcs, particulièrement vastes dans cette partie de la ville. Cette pratique a déjà été mise en œuvre mais pourrait être intensifiée. Elle a d’ailleurs déjà contribué à une diminution d’environ 7% de la consommation d’eau potable du quartier.

Anton Vos