Campus n°113

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Coup d’œil dans l’enfance de l’Univers

Le satellite européen Planck a produit l’image la plus précise du rayonnement cosmologique, témoin d’une époque remontant à 380 000 ans après le big bang. Des physiciens genevois font partie de l’aventure

C’est un peu comme avec l’art conceptuel : sans explications, il est difficile de s’émouvoir devant l’image du ciel produite en mars dernier par l’Agence spatiale européenne grâce aux données du satellite Planck. Pourtant, il s’agit là d’une photo de l’Univers tel qu’il était dans sa toute petite enfance, la photo la plus nette qui existe d’un gros bébé d’à peine 380 000 ans, sur laquelle on aperçoit la moindre de ses irrégularités. Ces dernières font d’ailleurs la joie des physiciens qui, ressemblant à des voyantes penchées sur un marc de café bleu-orange, tentent d’y lire les secrets les mieux gardés du cosmos : sa composition (matière ordinaire, matière noire, énergie sombre), sa dynamique (vitesse d’expansion, le phénomène d’inflation), sa vie (formation des premières étoiles et galaxies) et, bien entendu, son avenir. Pour l’instant, le marc cosmologique n’a pas contredit la théorie actuellement en vigueur, le modèle standard cosmologique. Il l’a plutôt conforté même s’il apporte quelques corrections importantes.

Concrètement, l’image montre le rayonnement cosmologique, un flux de photons qui nous parvient de toutes les directions. Ces grains de lumière, invisibles à l’œil nu, sont des micro-ondes guère différentes de celles émises par les fours du même nom. Sauf que, dans ce cas, elles ont été produites il y a 13,8 milliards d’années, au moment où l’Univers est devenu transparent.

«A ses débuts, l’Univers est très chaud et très dense, explique Martin Kunz, maître d’enseignement et de recherche au Département de physique théorique (Faculté des sciences) et l’un des chercheurs impliqués dans l’analyse et l’interprétation des données fournies par le satellite Planck. Les électrons sont alors tellement excités qu’ils ne peuvent pas se lier aux noyaux atomiques et circulent donc librement dans l’espace. Ils interagissent cependant très fortement avec les photons qu’ils diffusent sans cesse. Cet état de la matière, un mélange dense d’électrons, de protons et de photons, s’appelle un plasma. On peut le voir aussi comme un épais brouillard qui empêche de distinguer quoi que ce soit.»

Le brouillard se dissipe

Tandis que l’Univers poursuit son expansion, la température diminue graduellement. A l’âge de 380 000 ans (après le big bang), celle-ci passe sous un seuil (2700° C environ) qui autorise la formation des atomes les plus simples, ceux d’hydrogène. C’est alors comme si le brouillard se dissipait progressivement, sur une période couvrant plusieurs millénaires. Les électrons étant piégés dans les atomes, les photons sont libérés et produisent un « éclair de lumière » indescriptible. Cet événement est tellement brillant que, 13,8 milliards d’années plus tard, on le mesure encore.

«Entre-temps, l’Univers a beaucoup grandi, précise Marc Türler, chercheur au centre ISDC rattaché à l’Observatoire astronomique (Faculté des sciences) et responsable de la conception d’un logiciel permettant de réceptionner, trier et archiver les données envoyées par l’un des deux instruments de mesure (LFI pour Low Frequency Instrument) montés sur le satellite Planck. Le rayonnement qui nous parvient aujourd’hui a parcouru un très long chemin et sa température est passée de 2700° C à -270,4 °C

Ce qui aurait dû être un rayonnement parfaitement homogène quelle que soit la direction de provenance (dans une vision d’un Univers idéal) est en réalité truffé d’imperfections. Les différences de couleur sur l’image indiquent de légères différences de fréquence et donc de température entre les photons. Après une route longue de 13,8 milliards d’années-lumière, ces derniers ont indéniablement rencontré un grand nombre d’obstacles ayant perturbé leur trajectoire, voire parfois leur énergie. En plus, de nombreuses sources ponctuelles (radio galaxies, nuages froids, quasars…), émettant dans la même gamme de longueur d’onde, viennent perturber le signal vu de la Terre, sans même parler de la tranche de la Voie lactée qui bouche hermétiquement quelque 3 % du ciel. Mais les scientifiques sont en mesure de soustraire la plupart de ces contributions parasites. Et même après correction, l’aspect granuleux persiste.

«Ces irrégularités, parfaitement aléatoires, proviennent en fait des fluctuations quantiques qui se manifestent normalement à une échelle très petite, poursuit Marc Türler. Celles-ci jouaient un rôle important dans les premières fractions de seconde de l’Univers. Elles ont ensuite été amplifiées par un phénomène très violent qu’on appelle l’inflation cosmique et qui a vu la taille de l’Univers être multipliée par au moins 1026 en un clin d’œil. Grâce à ce processus, on retrouve finalement l’empreinte de ces fluctuations quantiques dans le rayonnement cosmologique.»

Ces petites zones de photons plus froids ou plus chauds reflètent en réalité des zones de densité de matière ordinaire plus ou moins élevées. Avec le temps (des centaines de millions voire des milliards d’années), les régions plus denses verront les nuages de gaz qu’ils abritent s’effondrer pour donner naissance à des étoiles et des galaxies. Les physiciens pensent ainsi voir, dans l’image de Planck, la distribution des super-amas de galaxies d’un Univers en devenir.

En d’autres termes, si les astronomes continuaient à observer cette région, située à 13,8 milliards d’années-lumière de la Terre, durant un milliard d’années supplémentaires – ce qui est évidemment de la science-­fiction – ils verraient petit à petit se former les grandes structures de l’Univers selon l’arrangement visible aujourd’hui dans le rayonnement cosmologique.

En attendant, les scientifiques essaient de tirer le maximum d’informations des irrégularités de l’image de Planck. « A partir des milliers de milliards de données fournies par le satellite, nous avons fabriqué neuf cartes du ciel qui ont été, à leur tour, compilé en une seule carte de quelques millions de pixels, explique Martin Kunz. Et de cette carte, nous avons calculé la valeur pour seulement six paramètres relatifs au modèle standard cosmologique. »

Univers plus lent que prévu

Il ressort de l’article à paraître dans la revue Astronomy et Astrophysics que le satellite, lancé en 2009, confirme les prédictions du modèle standard cosmologique. Il apporte néanmoins quelques corrections, notamment sur les proportions de matière ordinaire, de matière noire et d’énergie sombre. Selon Planck, la première contribue toujours pour 5 % seulement à la masse totale de l’univers, alors que la deuxième (dont la nature est inconnue) est légèrement augmentée à 27 % et la troisième (tout aussi mystérieuse) diminuée à 68 %. Autre ajustement: la vitesse d’expansion de l’Univers est sensiblement plus lente que prévu.

Fondamentalement, cela ne change pas grand-chose. Les physiciens savent juste avec beaucoup plus de précision qu’avant l’étendue de leur ignorance. Il n’en reste pas moins que les résultats de Planck deviennent automatiquement la nouvelle référence en la matière.

«J’ai également fait des recherches sur d’éventuelles limites de l’Univers, précise encore Martin Kunz. Le fond cosmologique est ce que l’on peut observer de plus lointain. Si l’Univers était fini alors il aurait été possible de mesurer une signature de cette frontière dans les données de Planck. Je n’en ai pas trouvé

Anton Vos