Campus n°114

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Dossier | Santé globale

Les parcs nous mettent au vert

La qualité de l’urbanisation est un élément important dans la santé globale. De quelle manière les espaces verts aménagés dans l’environnement construit améliorent-ils la santé et la qualité de vie ? Un programme de recherche européen tente de le savoir

Une ville riche en espaces verts est meilleure pour la santé et la qualité de vie de ses habitants qu’une cité entièrement bétonnée. Personne n’en doute. Mais le simple fait d’aménager un parc dans un quartier a-t-il véritablement comme résultat d’améliorer le bien-être des riverains ? Sa simple existence diminue-t-elle le stress ou motive-t-elle les gens à s’adonner à la course à pied ? En réalité les scientifiques savent peu de choses à propos des liens existant entre l’exposition d’une population à des espaces verts et les effets bénéfiques que cela pourrait avoir sur sa santé. Ces informations concernant la santé environnementale seraient pourtant d’une grande utilité en matière d’aménagement du territoire, de développement urbain et de gestion des espaces verts.

C’est pour en savoir davantage sur ces questions que la Commission européenne, dans son septième programme-cadre, finance sur quatre ans un projet interdisciplinaire baptisé PHENOTYPE (acronyme pour Positive health effects of the natural outdoor environment in typical populations of different regions in Europe). Celui-ci regroupe plusieurs équipes, dont celle du professeur Roderick Lawrence, responsable du groupe écologie humaine à l’Institut des sciences de l’environnement et professeur associé au Département de géographie et environnement (Faculté des sciences économiques et sociales).

« Aujourd’hui, l’aménagement d’espaces naturels dans des zones urbaines répond avant tout à des critères dont les priorités sont d’ordre esthétique, économique, technologique ou encore politique, explique le chercheur genevois. Quand on analyse rationnellement ces critères, il apparaît que la dimension de santé et de qualité de vie des habitants est largement négligée. Le projet PHENOTYPE, qui doit se terminer fin 2015, vise à accumuler davantage de connaissances sur ce sujet et, surtout, à combler le fossé qui sépare cette masse d’informations de leur applicabilité dans la politique, autrement dit leur mise en œuvre concrète. C’est sur ce point-là, justement, que se concentre mon travail. »

En d’autres termes, après ces quatre années de recherches, Roderick Lawrence espère bien être en mesure de fournir un certain nombre de lignes directrices utiles aux décideurs. Des lignes directrices qui, si l’on ramenait la problématique à la situation genevoise, permettraient de répondre à des questions telles que de savoir s’il faut prévoir ou non des parcs dans le futur quartier genevois de la Praille-Acacias-Vernets ; si cela vaut la peine de transformer la pointe de la Jonction en un grand espace vert ; s’il est opportun d’introduire des jardins communautaires en ville ; ou encore comment réaménager les pelouses entre certaines barres d’immeubles à Meyrin qui, au lieu d’être des lieux de rencontre ou d’activité physique, sont en réalité des no man’s land dont on ignore la réelle utilité.

De manière plus générale, l’intérêt récent des chercheurs pour la santé environnementale vient du fait qu’un nombre croissant de maladies chroniques (diabète, cancer, maladies cardiovasculaires) sont reliées à notre mode de vie. Et ce terme ne recouvre pas seulement l’alimentation mais aussi la sédentarité et d’autres facteurs qui doivent beaucoup à l’environnement construit. Ainsi, un quartier sans trottoirs, comme on en trouve aux Etats-Unis, ne favorise pas l’exercice physique, pour prendre un exemple extrême. Dans ce contexte, l’aménagement urbain dont font partie les espaces verts joue un rôle indéniable sur la santé, mais méconnu.

De Barcelone à Vilnius Un des volets du projet PHENOTYPE consiste à consulter le passé et à retrouver toutes les études qui ont été réalisées sur la relation entre les gens et leur milieu de vie. Le problème c’est que la grande majorité de la littérature scientifique, qui remonte aux années 1970, est composée d’études de cas. Réalisées sur de petits groupes de personnes, non représentatifs de la population entière, ces analyses ponctuelles ne peuvent pas répondre aux exigences de la recherche médicale actuelle, basée sur des preuves. Les chercheurs tenteront malgré tout d’en tirer des informations épidémiologiques intégrant la santé mentale, les maladies cardiovasculaires et respiratoires, le cancer, l’obésité, etc.

Le projet PHENOTYPE prévoit aussi la réalisation de nouvelles études. Quatre d’entre elles, comptant un millier de participants à chaque fois, sont d’ailleurs en cours dans les villes de Barcelone, Amsterdam, Stockholm et Vilnius. Leur objectif consiste notamment à déterminer dans quelle mesure les espaces verts sont à même, chez les riverains, de réduire le stress ou d’augmenter l’activité physique et l’interaction sociale. Elles seront doublées de quatre autres études, plus approfondies et donc comptant moins de participants (entre 20 et 40), pour cibler davantage certaines questions comme la santé mentale ou les maladies cardiovasculaires. Fidèle à la transdisciplinarité, le projet PHENOTYPE compte plusieurs épidémiologistes dans ses rangs, en plus des sociologues, géographes et autres psychologues.

Pas de formule magique « Ces études ne sont pas réalisées dans des environnements contrôlés mais sur le terrain, dans le milieu de vie réel des gens, explique Roderick Lawrence. Certains paramètres environnementaux sont assez faciles à collecter, comme la qualité de l’air ou de l’eau, le niveau du bruit, le nombre de parcs et leur étendue, la pression artérielle des sujets étudiés, ou encore l’état de leurs poumons. Mais d’autres informations sont nettement plus subtiles à obtenir. L’idée consiste à soumettre aux participants des questionnaires sur leur niveau de satisfaction, leur santé, leur qualité de vie… La conception de ces questionnaires n’est pas aisée. Le nombre de paramètres qui entrent en ligne de compte est en effet très important. Et il faut pouvoir isoler le facteur des espaces verts de tous les autres, comme par exemple le fait d’avoir des voisins sympathiques ou de bénéficier d’un climat agréable. »

Les chercheurs impliqués dans le projet PHENOTYPE doivent aussi lutter contre la volonté de certains (politiques, promoteurs…) de produire comme résultat final un ou des chiffres faciles à manipuler. Pour Roderick Lawrence, il est illusoire de penser que le projet aboutisse à une recette magique, comme le nombre de mètres carrés d’espace vert par habitant nécessaire à leur bonheur ou encore la distance minimale qui devrait exister entre une habitation et un parc.

www.phenotype.eu/fr

SANTE ENVIRONNEMENTALE: LA SUISSE A LA TRAINE

En matière de santé environnementale, la Suisse, autrefois pionnière, est désormais à la traîne. C’est un des résultats de la thèse qu’est en train de terminer Julien Forbat, doctorant à l’Institut des sciences de l’environnement. Ce dernier a comparé les politiques publiques en la matière dans trois pays au régime fédéral, la Suisse, l’Allemagne et la Belgique, entre 1995 et 2008.

La santé environnementale est la discipline qui vise à évaluer les facteurs environnementaux qui ont un impact sur la santé des individus. Cela peut comprendre la qualité de l’air et de l’eau mais pas seulement. Une vision plus large du concept comprend aussi l’environnement socio-économique, esthétique, culturel, etc. Sous la pression de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Union européenne (UE), les différents pays européens, y compris la Suisse, ont défini dans les années 1990 des stratégies spécifiques en matière de santé environnementale. Dans l’UE, certains ont joué le rôle de moteur, comme l’Allemagne et, plus tardivement la France. Les autres, en se contentant d’un rôle de suiveur, ont néanmoins réussi à maintenir un bon niveau dans le domaine.

En Suisse, la mise en œuvre de la stratégie a été confiée à une section de l’Office fédéral de la santé publique qui ne disposait pas des compétences adéquates. L’équipe n’a pas réussi à développer une expertise propre ni à trouver des soutiens politiques. En 2007, en période de restriction du budget, ce service a donc été sacrifié sans beaucoup de résistance. Toute la stratégie de santé environnementale au niveau fédéral a alors été totalement abandonnée.