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Coup d’œil sur l’enfance des galaxies

Une protogalaxie éloignée de plus de 13 milliards d’années-lumière a été détectée grâce aux télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. L’analyse des clichés permet d’en savoir plus sur sa formation et sur les âges sombres de l’univers

C’est un beau bébé. Elle s’appelle Y1 et n’a que 650 millions d’années. C’est peu pour une galaxie. Il s’agit même de l’une des plus jeunes jamais découvertes. Elle a été dénichée par les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer dans le cadre d’une campagne de mesure du ciel profond appelée Hubble Frontier Fields. Et une équipe internationale d’astronomes, dont fait partie Daniel Schaerer, professeur associé au Département d’astronomie, l’a analysée dans un article paru dans la revue Astronomy et Astrophysics du mois de février. Il en ressort que Y1 est un objet très dense qui fonctionne comme une pouponnière d’étoiles très active.

Sur la photo prise par Hubble, on n’aperçoit qu’un point diffus et rougeâtre. Et encore, en agrandissant beaucoup. Il faut dire que la lumière émise par Y1 a subi au cours de son trajet vers la Terre un très fort décalage vers le rouge (un redshift égal à 8). Et quel trajet! L’objet se trouve à plus de 13 milliards d’années-lumière. Autrement dit, son image a mis plus de 13 milliards d’années pour parvenir jusqu’à la Terre. Comme l’âge de l’Univers n’est que de 13,7 milliards d’années selon les dernières estimations, les astronomes ont pu déduire l’âge maximal que pouvait avoir Y1.

Prendre une photo d’une protogalaxie aussi lointaine n’est possible qu’en exploitant un phénomène de loupe naturelle appelé lentille gravitationnelle. Cet effet est provoqué par la présence, entre l’observateur et la source de lumière, d’une masse phénoménale. Celle-ci, à très grande échelle, courbe la trajectoire des rayons de façon à faire apparaître la source à un autre endroit du ciel que là où elle se trouve normalement tout en amplifiant la quantité de lumière. Le phénomène, prédit par la relativité générale d’Einstein, a été observé pour la première fois dans les années 1980 et est utilisé de manière presque routinière par les astronomes depuis une dizaine d’années.

Le premier sur la liste Plus elles sont massives, plus les lentilles gravitationnelles sont efficaces. Et les meilleures dans ce rôle sont les amas de galaxies, à savoir des regroupements de centaines ou de milliers de galaxies. La campagne Hubble Frontier Fields, qui a commencé à la fin de l’année dernière et qui devrait durer trois ans, s’intéressera à six de ces amas. Abell 2744, qui a révélé Y1, est le premier sur la liste.

Tandis que le télescope Hubble couvre les ultraviolets, la lumière visible et le proche infrarouge, le télescope Spitzer s’occupe de l’infrarouge plus lointain. En tout, neuf bandes de longueur d’onde sont ainsi enregistrées. Chacune des images est le résultat de six à vingt-cinq heures d’exposition, ce qui permet de faire apparaître des objets très peu brillants.

A partir de toutes ces données et grâce aux modèles de simulation développés par Daniel Schaerer, les chercheurs ont pu déterminer la taille et la masse de la jeune galaxie, ou protogalaxie. Il en ressort que le rayon de Y1 est environ 30 fois plus petit que celui de la Voie lactée. Sa masse, elle, est 10 fois plus faible. En revanche, elle démontre une activité propre à sa jeunesse puisqu’elle produit en son sein de nouvelles étoiles à une cadence au moins 10 fois supérieure à notre vieille galaxie.

«Pour son âge, en comparaison avec les quelques autres objets similaires qui ont été détectés à ce jour, elle possède une masse relativement importante, commente Daniel Schaerer. C’est un résultat intéressant puisque cela donne un premier aperçu de la vitesse à laquelle les galaxies croissent au début de leur vie

Soupe de quarks et de gluons Les chercheurs pensent en effet que les protogalaxies commencent leur existence comme des structures relativement petites et denses qui croissent avec le temps grâce à l’accumulation constante de matière qui leur tombe dessus. Ensuite, les protogalaxies fusionnent entre elles pour former des objets encore plus grands et ainsi de suite.

«L’étude d’un objet comme Y1 permet d’en savoir plus sur les premières phases de la formation des galaxies mais aussi sur l’Univers tel qu’il était moins d’un milliard d’années après le big bang», souligne Daniel Schaerer.

Selon le scénario généralement admis, l’Univers est d’abord très chaud et se refroidit ensuite progressivement, passant notamment par le stade d’une «soupe de quarks et de gluons». A partir de 300 000 ans après le big bang, les atomes d’hydrogène et d’hélium se recombinent. Durant les millions d’années qui suivent, l’Univers n’est alors peuplé que d’atomes neutres, qui absorbent la lumière, et de matière noire, dont la nature est aujourd’hui encore inconnue. Ce sont les âges sombres.

Il faut attendre que la matière noire, sous l’action de la gravitation, commence à se concentrer. Certaines régions de l’espace deviennent alors plus denses que d’autres. Les atomes d’hydrogène et d’hélium suivent le mouvement et tombent dans ces puits de potentiel. Quand le gaz devient assez dense, les réactions thermonucléaires s’amorcent et les premières étoiles, en même temps que les premières galaxies qui les contiennent, s’allument dans la noirceur.

Univers opaque A cette époque, toutefois, à cause des quantités encore très importantes de gaz intergalactique absorbant la lumière, l’Univers est très opaque. Au fur et à mesure que le rayonnement des étoiles naissantes ionise à nouveau les atomes d’hydrogène et d’hélium intergalactique, l’Univers devient de plus en plus transparent à la lumière. L’image de Y1 provient justement de cette époque trouble.

«C’est probablement pour cette raison qu’il est très difficile de confirmer de manière indépendante les mesures d’objets montrant un fort décalage vers le rouge, explique Daniel Schaerer. Il est d’ailleurs déjà arrivé pour d’autres observations qu’un redshift mesuré une première fois à une valeur de plus de 8 retombe par la suite bien plus bas après une seconde observation réalisée avec un autre appareil. Il existe actuellement une centaine de candidats avec un redshift de 8 ou plus. A ce jour, seuls deux d’entre eux ont reçu une confirmation

Anton Vos