Campus n°117

En 1814, Genève commerce avec Paris, pas avec Zurich

L’industrie des indienneries, florissante durant le XVIIIe siècle, périclite dans la cité du bout du lac après la chute de l’Empire français. Le poumon économique de la ville, qui compte alors parmi les plus riches de Suisse, est alors l’horlogerie

Du point de vue économique, Genève joue dès le départ un rôle important dans la Confédération. En 1814, elle est la plus grande ville du pays, avec ses presque 30 000 habitants, et probablement l’une des plus riches. Cependant, au cours du XVIIIe siècle, les échanges commerciaux entre Genève et le reste de la Suisse sont faibles. Il n’y a guère que le fromage de Gruyère qui trouve dans la cité du bout du lac un débouché naturel pour sa commercialisation. Quant aux banques genevoises, qui gèrent alors de grandes quantités d’argent appartenant presqu’exclusivement à l’élite locale, elles ne font que rarement affaire avec la Suisse alémanique. Les réseaux traditionnels des industriels et hommes d’affaires genevois sont tournés vers Paris, Londres ou Amsterdam.

Au sortir des guerres napoléoniennes, la situation économique en Europe n’est guère brillante. Le blocus continental ordonné par l’empereur français pour isoler la Grande Bretagne a pris fin. Mais durant des années, le Royaume-Uni, ne pouvant plus exporter, a accumulé sur son territoire des surplus très importants de biens manufacturés. Dès que les frontières se sont ouvertes, ceux-ci ont brusquement inondé les marchés à prix cassés, ruinant de nombreuses industries continentales.

C’est le cas en particulier des indienneries (fabriques de tissus imprimés destinés à l’exportation) à Genève. L’industrie textile est moribonde au moment du débarquement des Confédérés le 1er juin 1814 après avoir été l’un des plus florissants de la ville jusqu’à la Révolution française. La dernière indiennerie genevoise ferme ses portes en 1822.

Pour ne rien arranger, en 1815, l’éruption du volcan Tambora dans les Indes occidentales néerlandaises (aujourd’hui l’Indonésie) entraîne l’année suivante de graves perturbations climatiques dans tout l’hémisphère nord. Les pluies incessantes font monter le niveau des lacs suisses et, à Genève, les Pâquis sont constamment inondés, comme le rapporte la Gazette de Lausanne. Plus grave: les intempéries, qui vaudront à l’année 1816 le surnom d’année sans été, provoquent une chute de la production agricole dans toute l’Europe. La Suisse, privée d’accès à la mer, est particulièrement touchée. Des émeutes de subsistance éclatent et la famine fait exploser la mortalité.

Malgré ce coup dur, Genève tire son épingle du jeu. Le véritable poumon économique de la cité, c’est alors l’horlogerie, un secteur qui subit la morosité économique, mais qui résiste. La Fabrique, comme on l’appelle, est basée sur une production éclatée tenues par des cabinotiers, composée d’environ 150 métiers différents, du faiseur de boîtiers, à celui des rouages en passant par celui des chaînettes. Les ouvriers, bien payés, sont installés dans toute la ville. Les conditions de travail sont comparativement meilleure que celles d’un ouvrier dans le textile en Angleterre à la même époque.

Seules deux ou trois firmes assemblent les composants et commercialisent les montres. Les réseaux officiels sont lucratifs mais, selon Olivier Perroux, maître assistant à la Maison de l’histoire (Faculté des lettres), une bonne part de la production s’écoule par la contrebande. Les montres sont en effet des objets qui se monnayent cher et se dissimulent facilement. Résultat: une grande partie de la production se retrouve sur le marché noir à Paris.

A partir des années 1830, la concurrence des ateliers de l’Arc jurassien se fait sentir. Des horlogers Français se sont en effet installés dans cette région durant les guerres napoléoniennes. Mais à l’époque, leur créneau est davantage le bas de gamme tandis que Genève est spécialisée dans le luxe.

En dehors de l’horlogerie, certains auteurs citent le tourisme naissant comme une autre activité économique importante à Genève. A la Restauration, la ville ne compte cependant quasiment pas d’hôtels et, surtout, il n’y a pas grand chose à visiter qui vaille la peine d’entreprendre le voyage. Sauf peut-être la cathédrale pour les visiteurs protestants. Genève sert souvent d’étape pour les premiers touristes anglais en partance vers les Alpes et ses paysages. La Gazette de Lausanne du 16 août 1816 parle en tout cas d’un «nombre immense» d’Anglais séjournant à Genève, venus admirer les glaciers de Chamonix.