Campus n°118

La pérovskite se fait une place au soleil

PHYSIQUE

Une nouvelle classe de semi-conducteurs dévoile des performances photovoltaïques prometteuses. Des physiciens genevois ont scruté ces nouveaux matériaux à l’aide de lasers ultrarapides

La pérovskite est à la mode. Certains membres de cette classe de minéraux ont récemment révélé des aptitudes hors du commun à transformer la lumière en électricité, mettant ainsi le petit monde du photovoltaïque en émoi. L’ascension est fulgurante. Le rendement en laboratoire des premiers dispositifs expérimentaux rapportés par la presse scientifique est passé de 4 % en 2009 à 7 % en 2012, puis à 17 % selon les derniers chiffres, très provisoires, de 2014. Ces performances dépassent déjà celles des meilleures cellules à pigments photosensibles qui sont en développement depuis vingt ans. Elles sont même comparables à celles du silicium, l’acteur principal et actuellement indéboulonnable du marché du photovoltaïque. Autre atout : le type de pérovskite dont il est question ici est relativement facile à fabriquer. Cela laisse présager un faible coût de production si un jour des modules solaires en cette matière sont commercialisés.

Dans un article paru le 16 mai dans le Journal of the American Chemical Society, Jean-Pierre Wolf, professeur au Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences), apporte sa contribution à ce nouveau champ de recherche en pleine expansion. Le travail, effectué en collaboration avec une équipe de l’Université de Lund en Suède, ne vise pas à établir un nouveau record de rendement mais plutôt à comprendre pourquoi ces matériaux obtiennent de si bonnes performances.

Laser ultrarapide Le physicien genevois a été approché en raison de son expérience dans des lasers capables de générer des impulsions lumineuses n’excédant pas quelques femtosecondes (millionièmes de milliardièmes de seconde ou 10-15 seconde). Un tel appareil permet d’étudier les réactions physico-chimiques les plus rapides de la nature. Il est donc idéal pour suivre ce qui se passe lorsqu’un électron appartenant à la pérovskite absorbe un photon (grain de lumière), se retrouve dans un état d’excitation supérieur et se met à circuler dans le matériau, laissant derrière lui un «trou » chargé positivement.

L’échantillon étudié est une pérovskite organométallique classique, CH3NH3PbI3, déposée dans une matrice poreuse d’oxyde de titane (TiO2) qui est utilisée pour séparer les charges électriques négatives et positives créées par la lumière.

« A l’aide de nos lasers, nous avons observé que, dans la pérovskite, la création de ces paires électrons-trous est quasiment instantanée, explique Jean-Pierre Wolf. Elle se déroule en moins de 2 picosecondes (10-12 seconde). C’est nettement plus rapide que ce qui se passe dans les cellules à base de colorants. Ensuite, nous avons pu montrer que les charges électriques ainsi produites (positives et négatives) sont particulièrement mobiles jusqu’à une microseconde (10-6 seconde) après leur création.»

Les collègues suédois du professeur genevois ont, quant à eux, montré que la conductivité et la mobilité électriques dans la pérovskite demeurent excellentes sur le temps plus long, c’est-à-dire jusqu’à une centaine de microseconde. Ces deux paramètres sont toutefois limités par la présence du TiO2. Il est donc probable que l’on puisse améliorer les performances de la pérovskite utilisée dans cette étude en remplaçant le TiO2 par un oxyde de métal plus adapté.

Charges mobiles «Une cellule solaire idéale doit être capable de générer très rapidement des charges électriques très mobiles afin qu’elles ne se recombinent pas immédiatement, résume Jean-Pierre Wolf. Il faut également que ces porteurs de charges vivent longtemps afin de pouvoir être extraits par les électrodes. Nos résultats montrent que les pérovskites excellent dans tous ces domaines. La faiblesse de ces matériaux est, pour l’instant, l’étendue relativement limitée du spectre de lumière solaire absorbée par la cellule.»

Du point de vue pratique, les pérovskites organométalliques étudiées par le physicien genevois ont également l’avantage de pouvoir être fabriquées à température ambiante et à l’aide d’une technique simple : l’enduction centrifuge (spin coating). Le procédé consiste à placer le matériau sous forme liquide sur un disque qui, en tournant, homogénéise la solution et la fait sécher. La structure cristalline des pérovskites s’organise spontanément. La technique est facile et légère comparée au silicium cristallin dont la production est beaucoup plus lourde et passe notamment par des températures de 3000 °C et un processus de découpage de gros lingots en tranches fines.

«Les pérovskites forment sans conteste une nouvelle classe de semi-conducteurs très prometteuse dans la production d’énergie solaire, confirme Christophe Ballif, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et directeur du PV-Center au Centre suisse d’électronique et de microtechnique. Les rendements obtenus en laboratoire sont très intéressants. Néanmoins, il y a encore pas mal de problèmes à régler notamment concernant la stabilité, ces composés ayant tendance à se dégrader rapidement en présence d’humidité. En d’autres termes, il faudra encore énormément de travail avant que l’on obtienne un produit fiable, capable de fonctionner normalement durant vingt-cinq ou trente ans

Le chercheur précise encore que la déposition de la pérovskite dans une matrice poreuse comme TiO2 n’est pas indispensable. Une idée permettant d’obtenir, théoriquement du moins, des rendements de l’ordre de 30 % serait de déposer une cellule de pérovskite directement sur une cellule en silicium. « Depuis trois ans, on voit un nombre incroyablement élevé d’équipes, nous compris, se lancer dans la recherche sur les pérovskites, nuance Christophe Ballif. Ça va très vite. Trop peut-être car, parmi les articles publiés, on trouve aujourd’hui le meilleur comme le pire

Anton Vos

Les pérovskites contre le cancer

Jean-Pierre Wolf, professeur au Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences), étudie les pérovskites depuis plusieurs années, mais ce ne sont pas les mêmes que celles qui possèdent les propriétés photovoltaïques décrites ci-dessus. Leur domaine d’application, cette fois-ci, est la biomédecine et plus particulièrement l’étude des cellules souches et la détection ainsi que le traitement de cellules cancéreuses.

Les travaux de Jean-Pierre Wolf s’inscrivent dans le cadre d’un programme européen (Namdiatream) qui s’est terminé en juin. L’objectif consistait à développer des nanoparticules composées de pérovskites, comme le ferrite de bismuth (BiFeO3) ou le niobate de potassium (KNbO3), façonnées de telle sorte qu’elles s’attachent spécifiquement aux cellules cancéreuses, laissant les cellules saines tranquilles.

Ces pérovskites ont la particularité de doubler la fréquence de la lumière qui les traverse. En les illuminant avec un laser de couleur verte, les nanoparticules ont commencé à produire de l’ultraviolet, une radiation nocive qui détruit l’ADN. Comme l’illustre un article paru dans la revue Nanoscale du 7 mars 2014, les chercheurs ont ainsi réussi à tuer spécifiquement des cellules tumorales au cours d’expériences limitées pour l’instant à des lignées de cellules humaines.

L’étape suivante, consistant à passer à des expérimentations sur des animaux, est prévue dans le cadre d’un autre projet en collaboration avec l’Institut Curie, à Paris, et qui doit démarrer en fin d’année. Il semble d’ores et déjà que les nanoparticules ne sont pas toxiques. Selon Jean-Pierre Wolf, les cancers potentiellement visés par cette technique, qui allie diagnostic et thérapie, sont ceux dits de surface, comme les cancers du col de l’utérus, de l’œsophage, des bronches, de la cavité buccale, etc. A.Vs