Campus n°119

L’univers est plein de mondes

Le Pôle de recherche national PlanetS, codirigé par l’Université de Genève, permettra sans doute à la Suisse de conserver pour au moins une décennie encore le leadership mondial dans la découverte et l’étude des exoplanètes

Le 6 octobre 1995, l’annonce de la découverte de la première planète située hors du système solaire par Michel Mayor et Didier Queloz relançait une quête vieille de plus de deux mille ans: celle d’un autre monde habitable. Depuis, la chasse aux exoplanètes a débouché sur l’identification (et la confirmation) de plus de 1700 de ces objets célestes apportant une foule de nouvelles connaissances – et de nouvelles questions – aux spécialistes de la planétologie. Au point qu’il est aujourd’hui temps de franchir une nouvelle étape en s’attachant non plus uniquement à la découverte de nouvelles planètes, mais également à leur caractérisation physique et chimique. Un gigantesque chantier auquel le Pôle de recherche national (PRN) PlanetS est destiné à apporter une contribution essentielle. Entretien avec Stéphane Udry, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et codirecteur du Pôle.

Campus: Sur le plan scientifique, quels sont les principaux objectifs du PRN «PlanetS»?

En fait, c’est l’évolution même de la science qui dicte nos priorités. Ces vingt dernières années ont été consacrées à la quête de nouvelles planètes et ont été marquées par un climat de forte concurrence entre les différents groupes impliqués dans ces recherches. Mais nous sommes aujourd’hui à un tournant dans la mesure où pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il devient possible d’apporter des réponses scientifiques et objectives aux questions qui entourent l’unicité de la vie. Face à cet enjeu majeur, les grandes orientations sont fixées et chaque membre de la communauté scientifique engagé dans cette voie sait ce qui l’attend pour les deux prochaines décennies. Chacun est également conscient que cette nouvelle étape implique la coopération de toutes les forces en présence. C’est dans cette dynamique que s’inscrit la création de PlanetS. Un petit pays comme la Suisse ne peut pas en effet se permettre d’avoir plusieurs centres d’excellence en compétition sur les mêmes thématiques. Porté par une très forte cohérence scientifique, ce PRN permet à chacun de ses membres, qu’il soit Genevois, Bernois ou Zurichois, de développer des axes de recherche complémentaires.

Concrètement, cela signifie que vous espérez être capable de définir les conditions favorables à l’apparition de la vie sur une autre planète que la nôtre au cours des douze ans impartis au Pôle?

Exactement. Ce qui implique que nous devrons non seulement être capables d’identifier les planètes qui peuvent être de bonnes candidates mais également de comprendre comment ces planètes se sont formées, comment elles interagissent avec leur étoile et de quoi est constituée leur atmosphère. En conséquence, les activités de PlanetS s’articulent autour de trois thèmes principaux: l’origine, l’évolution et la caractérisation des systèmes planétaires.

Quelles sont les principales difficultés de l’exercice?

La première tient au fait que tout est interconnecté. Si on veut analyser l’atmosphère d’une planète, qui dépend de sa gravité, on a besoin de connaître sa masse et son rayon. De la même manière, pour comprendre sa structure interne, il faut connaître sa taille, sa masse et sa densité. Or, les techniques de mesure actuelles n’apportent en général que des informations partielles. Enfin, on ne peut pas non plus négliger la dynamique du système, domaine dans lequel il reste encore beaucoup de choses à comprendre. La seconde difficulté est liée à la nature même de ce qui a été découvert depuis vingt ans.

Qu’entendez-vous par là?

Les résultats que nous avons obtenus montrent qu’une étoile sur deux possède une ou plusieurs planètes gravitant autour d’elle. En extrapolant, cela signifie que notre seule galaxie abriterait au moins 100 milliards de planètes. Or, la principale surprise que nous avons connue depuis la découverte de 51 Peg, c’est la très grande diversité qui prévaut parmi les corps célestes. Si bien que même après avoir détecté plusieurs milliers de nouvelles planètes, il reste difficile d’établir des catégories pertinentes sur le plan statistique. Autant dire que l’on est encore loin de disposer de suffisamment de données observationnelles.

Comment comptez-vous dépasser ces divers obstacles?

Nous allons tenter d’y parvenir, d’une part, en optimisant les ressources à disposition afin de consacrer les bons instruments au suivi des bonnes étoiles. Puis en faisant converger différentes techniques vers les mêmes objets, nous devrions déjà augmenter nettement la confiance que nous pouvons avoir dans nos résultats et mieux trier les différents signaux que nous captons. D’autre part, nous pourrons dans quelques années recourir à une nouvelle génération d’instruments dont le lancement dans l’espace ou l’installation sur Terre est prévu à partir de 2017 afin de combler les manques actuels.

Par exemple…

La méthode actuellement la plus prolifique dans la détection d’exoplanètes est celle dite des transits (lire en page 36), grâce surtout au satellite américain KEPLER, qui a déniché à lui seul plus de 4000 candidats. L’inconvénient majeur de cette approche, c’est que la nature planétaire des objets découverts doit être systématiquement confirmée de manière indépendante. En effet, la mesure d’un transit fournit la taille du corps mais pas sa masse. Du coup, on ne sait pas s’il s’agit vraiment d’une planète ou d’une petite étoile, qui peut avoir la taille de Jupiter, ou encore d’une naine blanche, au diamètre similaire à celui de la Terre. Le problème, c’est que les étoiles suivies par KEPLER sont souvent trop faibles pour être étudiées par d’autres techniques comme celle dite des vitesses radiales qui permet d’obtenir la masse. C’est pourquoi les projets suisse CHEOPS (lire en page 40) et européen PLATO, deux futurs satellites spécialisés dans la mesure de transits, vont se concentrer sur des étoiles brillantes avec l’espoir de découvrir des dizaines de milliers de nouvelles planètes à portée de télescope et de compléter les données de nombreuses autres déjà connues. Parallèlement, les astronomes de PlanetS participent à la construction de nouveaux spectrographes (dont ESPRESSO, prévu pour 2017) destinés à la mesure de la vitesse radiale des étoiles et de l’étude de l’atmosphère de leurs éventuels compagnons (lire en page 36).

Avec ces nouveaux outils, sera-t-il possible d’observer des planètes similaires à la Terre et se trouvant à une distance suffisante d’une étoile de type solaire pour que la vie soit envisageable?

Oui. C’est le but du projet PLATO, un observatoire spatial de l’Agence spatiale européenne, auquel nous participons également et dont le lancement est prévu pour 2024. Cela dit, les instruments actuels ne le permettent pas. Plus les planètes sont petites par rapport à leur étoile et plus elles en sont éloignées, plus il est difficile de les détecter. Pour l’instant, on peut trouver des Terre dans la zone habitable de petites étoiles comme les naines rouges ou les naines M. Dans ces cas, les distances planète-étoile sont relativement petites. Mais faire de même autour d’une étoile aussi massive que le Soleil, c’est une autre paire de manches.

Quand on découvre une planète évoluant dans la zone habitable de son étoile, il faut encore déterminer si l’atmosphère de cette planète est compatible avec la vie. Est-ce possible aujourd’hui?

Des études d’atmosphères d’exoplanètes existent déjà. Elles exploitent en général la lumière qui provient directement du corps céleste quand on a la chance de pouvoir l’observer grâce à la technique dite de l’imagerie directe. On peut aussi essayer d’isoler et d’analyser la faible portion du rayonnement d’une étoile qui passe à travers l’atmosphère d’une planète lorsque cette dernière effectue un transit (lire en page 36). Toutefois, indépendamment de la méthode utilisée, le principal défi consistera à bien comprendre les résultats obtenus.

C’est-à-dire?

Si les choses se passent comme sur Terre, la présence de gaz carbonique (CO2) et d’eau indiquera que la planète est habitable et si l’on y trouve de l’ozone, on aura la preuve qu’elle est habitée. Cependant, les choses pourraient très bien se passer différemment.

Dans quelle mesure?

Il n’est pas certain que le cycle du CO2, si essentiel sur Terre, revêt la même importance sur une planète dont la masse est cinq fois supérieure. Et quel pourrait être le rôle de la tectonique des plaques sur de tels mondes, pour autant qu’elle existe? Ces questions sont au cœur de nombreuses études actuelles, mais il n’existe pas encore de réponse définitive.

Peut-on imaginer un monde où le vivant fonctionnerait sur la base d’une chimie différente de celle qui prévaut sur Terre?

Théoriquement, oui, mais la nature a tendance à toujours choisir les solutions les plus simples. Il se trouve que les éléments de base de la vie terrestre sont les plus abondants dans l’Univers (hydrogène, carbone, azote, oxygène…). Donc si l’on retrouve les mêmes ingrédients sur d’autres planètes et que les lois de la physique et de la chimie sont identiques (ce qui est une hypothèse de base), alors il n’y a pas de raison de penser que la vie, si elle devait apparaître, aurait une base tellement différente.

La constitution du PRN PlanetS assure-t-elle à la Suisse un leadership durable dans le domaine des exoplanètes?

Ce pôle, qui devrait à terme se transformer en un Institut national des sciences planétaires, va nous permettre de rester sur le devant de la scène pour une bonne dizaine d’années. A l’heure actuelle, il n’existe pas d’autre projet dédié aux exoplanètes disposant d’une telle force de feu. Et puis, au-delà du Pôle, nous sommes également engagés dans l’instrumentation du futur, comme PLATO ou le spectrographe qui devrait être installé sur l’E-ELT (European Extremly Large Telescope) de 40 mètres de diamètre, avec laquelle se fera la science de haut niveau de demain.

Malgré ces atouts, l’idée de PlanetS a mis du temps à se faire accepter…

En effet, nous avons dû nous y reprendre à trois reprises pour convaincre la Confédération. La première fois, lors du tout premier appel à projet, on nous a reproché de faire de la science-fiction, alors que la plupart des projets que nous proposions sont depuis devenus réalité. Il y a 4 ans, nous sommes arrivés dans les 13 derniers candidats, mais nous n’avons finalement pas été retenus.

A l’intérieur du PRN, chaque groupe a sa spécialité. Dans les grandes lignes, comment se répartissent les tâches?

Aucun des deux partenaires qui partagent la direction du pôle, à savoir les universités de Genève et de Berne, n’aurait pu se lancer sans l’autre. Nos activités sont complémentaires et c’est une des raisons d’être du PRN. Les équipes genevoises se concentreront sur l’observation, le développement des instruments nécessaires aux mesures que nous souhaitons réaliser et le développement de modèles théoriques qui permettront de les interpréter. De son côté, l’équipe de Willy Benz, professeur à l’Institut de physique de l’Université de Berne et directeur du Pôle, est surtout active dans la réalisation de modèles théoriques de formations planétaires, qu’il s’agisse de leur structure interne mais aussi de leur atmosphère. D’autres groupes bernois participent à PlanetS, notamment au niveau de l’exploration du système solaire.

Qu’en est-il des autres partenaires de PlanetS, l’Université et l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ)?

La spécialité de l’équipe de Michael Meyer, professeur à l’EPFZ, est la gestation des planètes. Sa tâche consiste à étudier des disques proto-planétaires afin d’augmenter nos connaissances sur les conditions initiales nécessaires à la formation d’une planète. Les chercheurs zurichois vont aussi se pencher sur la détection d’objets célestes très jeunes. Lorsque les planètes sont en formation, elles sont en effet beaucoup plus brillantes que les plus anciennes. Elles sont donc plus facilement repérables, notamment dans l’infra-rouge. Ce volet de la recherche est indispensable. Une des choses les plus surprenantes que nous avons apprises depuis la découverte de 51 PEG, il y a 20 ans, c’est la très grande diversité des exoplanètes: des systèmes à plusieurs étoiles, d’autres extrêmement compacts, des planètes gravitant très près de leur étoile, bref beaucoup d’exemples qui ne collent pas avec les modèles théoriques existants. Il s’agit donc d’en développer de nouveaux, qui soient à même de rendre compte de ce qui se passe non seulement dans le système solaire, mais également ailleurs.